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Шарль Бодлер - Цветы зла

Читать бесплатно Шарль Бодлер - Цветы зла. Жанр: Поэзия издательство -, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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русский

XC

LES SEPT VIEILLARDS

À Victor Hugo.

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,Où le spectre en plein jour raccroche le passant!Les mystères partout coulent comme des sèvesDans les canaux étroits du colosse puissant.

Un matin, cependant que dans la triste rueLes maisons, dont la brume allongeait la hauteur,Simulaient les deux quais d'une rivière accrue,Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,

Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,Je suivais, roidissant mes nerfs comme un hérosEt discutant avec mon âme déjà lasse,Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.

Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunesImitaient la couleur de ce ciel pluvieux,Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,

M'apparut. On eût dit sa prunelle trempéeDans le fiel; son regard aiguisait les frimas,Et sa barbe à longs poils, roide comme une épéeSe projetait, pareille à celle de Judas.

Il n'était pas voûté, mais cassé, son échineFaisant avec sa jambe un parfait angle droit,Si bien que son bâton, parachevant sa mine,Lui donnait la tournure et le pas maladroit

D'un quadrupède infirme ou d'un Juif à trois pattes.Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant,Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.

Son pareil le suivait: barbe, œil, dos, bâton, loques,Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroquesMarchaient du même pas vers un but inconnu.

À quel complot infâme étais-je donc en butte,Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait?Car je comptai sept fois, de minute en minute,Ce sinistre vieillard qui se multipliait!

Que celui-là qui rit de mon inquiétude,Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel,Songe bien que malgré tant de décrépitudeCes sept monstres hideux avaient l'air éternel!

Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième,Sosie inexorable, ironique et fatal,Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même?— Mais je tournais le dos au cortège infernal.

Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,Blessé par le mystère et par l'absurdité!

Vainement ma raison voulait prendre la barre;La tempête en jouant déroutait ses efforts,Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarreSans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords!

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XCI

LES PETITES VIEILLES

À Victor Hugo

I Dans les plis sinueux des vieilles capitales,Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,Je guette, obéissant à mes humeurs fatales,Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,Éponyme ou Laïs! Monstres brisés, bossusOu tordus, aimons-les! Ce sont encor des âmes.Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,Frémissant au fracas roulant des omnibus,Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes;Se traînent, comme font les animaux blessés,Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettesOù se pend un Démon sans pitié! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit;Ils ont les yeux divins de la petite filleQui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

— Avez-vous observé que maints cercueils de vieillesSont presque aussi petits que celui d'un enfant?La mort savante met dans ces bières pareillesUn symbole d'un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débileTraversant de Paris le fourmillant tableau,Il me semble toujours que cet être fragileS'en va tout doucement vers un nouveau berceau;

À moins que, méditant sur la géométrie,Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,Combien de fois il faut que l'ouvrier varieLa forme d'une boîte où l'on met tous ces corps.

— Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,Des creusets qu'un métal refroidi pailleta…Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmesPour celui que l'austère Infortune allaita!

II De Frascati défunt Vestale enamourée;Prêtresse de Thalie, hélas! Dont le souffleurEnterré sait le nom; célèbre évaporéeQue Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent! Mais parmi ces êtres frêlesIl en est qui, faisant de la douleur un miel,Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes:Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel!

L'une, par sa patrie au malheur exercée,L'autre, que son époux surchargea de douleurs,L'autre, par son enfant Madone transpercée,Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs!

III Ah! Que j'en ai suivi de ces petites vieilles!Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombantEnsanglante le ciel de blessures vermeilles,Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,Dont les soldats parfois inondent nos jardins,Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,Versent quelque héroïsme au cœur des citadins.

Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,Humait avidement ce chant vif et guerrier;Son œil parfois s'ouvrait comme œil d'un vieil aigle;Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier!

IV Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,À travers le chaos des vivantes cités,Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes,Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,Nul ne vous reconnaît! Un ivrogne incivilVous insulte en passant d'un amour dérisoire;Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs;Et nul ne vous salue, étranges destinées!Débris d'humanité pour l'éternité mûrs!

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,Œil inquiet, fixé sur vos pas incertains,Tout comme si j'étais votre père, ô merveille!Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins:

Je vois s'épanouir vos passions novices;Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus;Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices!Mon âme resplendit de toutes vos vertus!

Ruines! Ma famille! Ô cerveaux congénères!Je vous fais chaque soir un solennel adieu!Où serez-vous demain, Èves octogénaires,Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu?

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XCII

LES AVEUGLES

Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux!Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;Terribles, singuliers comme les somnambules;Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,Comme s'ils regardaient au loin, restent levésAu ciel; on ne les voit jamais vers les pavésPencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,Ce frère du silence éternel. Ô cité!Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Éprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,Vois! Je me traîne aussi! Mais, plus qu'eux hébété,Je dis: Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles?

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XCIII

À UNE PASSANTE

La rue assourdissante autour de moi hurlait.Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,Une femme passa, d'une main fastueuseSoulevant, balançant le feston et l'ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… Puis la nuit! — Fugitive beautéDont le regard m'a fait soudainement renaître,Ne te verrai-je plus que dans l'éternité?

Ailleurs, bien loin d'ici! Trop tard! jamais peut-être!Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!

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XCIV

LE SQUELETTE LABOUREUR

I Dans les planches d'anatomieQui traînent sur ces quais poudreuxOù maint livre cadavéreuxDort comme une antique momie,

Dessins auxquels la gravitéEt le savoir d'un vieil artiste,Bien que le sujet en soit triste,Ont communiqué la Beauté,

On voit, ce qui rend plus complètesCes mystérieuses horreurs,Bêchant comme des laboureurs,Des Écorchés et des Squelettes.

II De ce terrain que vous fouillez,Manants résignés et funèbres,De tout l'effort de vos vertèbres,Ou de vos muscles dépouillés,

Dites, quelle moisson étrange,Forçats arrachés au charnier,Tirez-vous, et de quel fermierAvez-vous à remplir la grange?

Voulez-vous (d'un destin trop durÉpouvantable et clair emblème!)Montrer que dans la fosse mêmeLe sommeil promis n'est pas sûr;

Qu'envers nous le Néant est traître;Que tout, même la Mort, nous ment,Et que sempiternellement,Hélas! Il nous faudra peut-être

Dans quelque pays inconnuÉcorcher la terre revêcheEt pousser une lourde bêcheSous notre pied sanglant et nu?

русский

XCV

LE CRÉPUSCULE DU SOIR

Voici le soir charmant, ami du criminel;Il vient comme un complice, à pas de loup; le cielSe ferme lentement comme une grande alcôve,Et l'homme impatient se change en bête fauve.

Ô soir, aimable soir, désiré par celuiDont les bras, sans mentir, peuvent dire: Aujourd'huiNous avons travaillé! - c'est le soir qui soulageLes esprits que dévore une douleur sauvage,Le savant obstiné dont le front s'alourdit,Et l'ouvrier courbé qui regagne son lit.Cependant des démons malsains dans l'atmosphèreS'éveillent lourdement, comme des gens d'affaire,Et cognent en volant les volets et l'auvent.À travers les lueurs que tourmente le ventLa Prostitution s'allume dans les rues;Comme une fourmilière elle ouvre ses issues;Partout elle se fraye un occulte chemin,Ainsi que l'ennemi qui tente un coup de main;Elle remue au sein de la cité de fangeComme un ver qui dérobe à l'Homme ce qu'il mange.On entend çà et là les cuisines siffler,Les théâtres glapir, les orchestres ronfler;Les tables d'hôte, dont le jeu fait les délices,S'emplissent de catins et d'escrocs, leurs complices,Et les voleurs, qui n'ont ni trêve ni merci,Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,Et forcer doucement les portes et les caissesPour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.

Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,Et ferme ton oreille à ce rugissement.C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent!La sombre Nuit les prend à la gorge; ils finissentLeur destinée et vont vers le gouffre commun;L'hôpital se remplit de leurs soupirs. — Plus d'unNe viendra plus chercher la soupe parfumée,Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

Encore la plupart n'ont-ils jamais connuLa douceur du foyer et n'ont jamais vécu!

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