Шарль Бодлер - Цветы зла
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LXX
SÉPULTURE
Si par une nuit lourde et sombreUn bon chrétien, par charité,Derrière quelque vieux décombreEnterre votre corps vanté,
À l'heure où les chastes étoilesFerment leurs yeux appesantis,L'araignée y fera ses toiles,Et la vipère ses petits;
Vous entendrez toute l'annéeSur votre tête condamnéeLes cris lamentables des loups
Et des sorcières faméliques,Les ébats des vieillards lubriquesEt les complots des noirs filous.
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LXXI
UNE GRAVURE FANTASTIQUE
Ce spectre singulier n'a pour toute toilette,Grotesquement campé sur son front de squelette,Qu'un diadème affreux sentant le carnaval.Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,Fantôme comme lui, rosse apocalyptique,Qui bave des naseaux comme un épileptique.Au travers de l'espace ils s'enfoncent tous deux,Et foulent l'infini d'un sabot hasardeux.Le cavalier promène un sabre qui flamboieSur les foules sans nom que sa monture broie,Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,Le cimetière immense et froid, sans horizon,Où gisent, aux lueurs d'un soleil blanc et terne,Les peuples de l'histoire ancienne et moderne.
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LXXII
LE MORT JOYEUX
Dans une terre grasse et pleine d'escargotsJe veux creuser moi-même une fosse profonde,Où je puisse à loisir étaler mes vieux osEt dormir dans l'oubli comme une requin dans l'onde.
Je hais les testaments et je hais les tombeaux;Plutôt que d'implorer une larme du monde,Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeauxÀ saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.
Ô vers! Noirs compagnons sans oreille et sans yeux,Voyez venir à vous un mort libre et joyeux;Philosophes viveurs, fils de la pourriture,
À travers ma ruine allez donc sans remords,Et dites-moi s'il est encor quelque torturePour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts!
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LXXIII
LE TONNEAU DE LA HAINE
La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes;La Vengeance éperdue aux bras rouges et fortsA beau précipiter dans ses ténèbres videsDe grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,
Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes,Par où fuiraient mille ans de sueurs et d'efforts,Quand même elle saurait ranimer ses victimes,Et pour les pressurer ressusciter leurs corps.
La Haine est un ivrogne au fond d'une taverne,Qui sent toujours la soif naître de la liqueurEt se multiplier comme l'hydre de Lerne.
— Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur,Et la Haine est vouée à ce sort lamentableDe ne pouvoir jamais s'endormir sous la table.
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LXXIV
LA CLOCHE FÊLÉE
Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,Les souvenirs lointains lentement s'éleverAu bruit des carillons qui chantent dans la brume.
Bienheureuse la cloche au gosier vigoureuxQui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,Jette fidèlement son cri religieux,Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente!
Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuisElle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,Il arrive souvent que sa voix affaiblie
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublieAu bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts,Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
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LXXV
SPLEEN
Pluviôse, irrité contre la ville entière,De son urne à grands flots verse un froid ténébreuxAux pâles habitants du voisin cimetièreEt la mortalité sur les faubourgs brumeux.
Mon chat sur le carreau cherchant une litièreAgite sans repos son corps maigre et galeux;L'âme d'un vieux poète erre dans la gouttièreAvec la triste voix d'un fantôme frileux.
Le bourdon se lamente, et la bûche enfuméeAccompagne en fausset la pendule enrhumée,Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,
Héritage fatal d'une vieille hydropique,Le beau valet de cœur et la dame de piqueCausent sinistrement de leurs amours défunts.
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LXXVI
SPLEEN
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,De vers, de billets doux, de procès, de romances,Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,Cache moins de secrets que mon triste cerveau.C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.— Je suis un cimetière abhorré de la lune,Où comme des remords se traînent de longs versQui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,Où gît tout un fouillis de modes surannées,Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.
Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,Quand sous les lourds flocons des neigeuses annéesL'ennui, fruit de la morne incuriosité,Prend les proportions de l'immortalité.— Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux;Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,Oublié sur la carte, et dont l'humeur faroucheNe chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.
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LXXVII
SPLEEN
Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très-vieux,Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,Ni son peuple mourant en face du balcon.Du bouffon favori la grotesque balladeNe distrait plus le front de ce cruel malade;Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,Ne savent plus trouver d'impudique toilettePour tirer un souris de ce jeune squelette.Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais puDe son être extirper l'élément corrompu,Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,Il n'a su réchauffer ce cadavre hébétéOù coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.
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LXXVIII
SPLEEN
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercleSur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,Et que de l'horizon embrassant tout le cercleIl nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,Où l'Espérance, comme une chauve-souris,S'en va battant les murs de son aile timideEt se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées,D'une vaste prison imite les barreaux,Et qu'un peuple muet d'infâmes araignéesVient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furieEt lancent vers le ciel un affreux hurlement,Ainsi que des esprits errants et sans patrieQui se mettent à geindre opiniâtrement.
— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
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LXXIX
OBSESSION
Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales;Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos cœurs maudits,Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles,Répondent les échos de vos De profundis.
Je te hais, Océan! Tes bonds et tes tumultes,Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amerDe l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,Je l'entends dans le rire énorme de la mer.
Comme tu me plairais, ô nuit! Sans ces étoilesDont la lumière parle un langage connu!Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!
Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toilesOù vivent, jaillissant de mon œil par milliers,Des êtres disparus aux regards familiers.
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LXXX
LE GOÛT DU NÉANT
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,L'espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur,Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle bute.
Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur,L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute;Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte!Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur!
Le Printemps adorable a perdu son odeur!
Et le Temps m'engloutit minute par minute,Comme la neige immense un corps pris de roideur;Je contemple d'en haut le globe en sa rondeurEt je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?
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LXXXI
ALCHIMIE DE LA DOULEUR
L'un t'éclaire avec son ardeur,L'autre en toi met son deuil, Nature!Ce qui dit à l'un: Sépulture!Dit à l'autre: Vie et splendeur!
Hermès inconnu qui m'assistesEt qui toujours m'intimidas,Tu me rends l'égal de Midas,Le plus triste des alchimistes;
Par toi je change l'or en ferEt le paradis en enfer;Dans le suaire des nuages
Je découvre un cadavre cher,Et sur les célestes rivagesJe bâtis de grands sarcophages.
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LXXXII
HORREUR SYMPATHIQUE
De ce ciel bizarre et livide,Tourmenté comme ton destin,Quels pensers dans ton âme videDescendent? Réponds, libertin.
— Insatiablement avideDe l'obscur et de l'incertain,Je ne geindrai pas comme OvideChassé du paradis latin.
Cieux déchirés comme des grèves,En vous se mire mon orgueil;Vos vastes nuages en deuil
Sont les corbillards de mes rêves,Et vos lueurs sont le refletDe l'Enfer où mon cœur se plaît.
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LXXXIII
L'HÉAUTONTIMOROUMÉNOS
À J.G.F.
Je te frapperai sans colèreEt sans haine, comme un boucher,Comme Moïse le rocher!Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Saharah,Jaillir les eaux de la souffrance.Mon désir gonflé d'espéranceSur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,Et dans mon cœur qu'ils soûlerontTes chers sanglots retentirontComme un tambour qui bat la charge!
Ne suis-je pas un faux accordDans la divine symphonie,Grâce à la vorace IronieQui me secoue et qui me mord?
Elle est dans ma voix, la criarde!C'est tout mon sang, ce poison noir!Je suis le sinistre miroirOù la mégère se regarde!
Je suis la plaie et le couteau!Je suis le soufflet et la joue!Je suis les membres et la roue,Et la victime et le bourreau!
Je suis de mon cœur le vampire,— Un de ces grands abandonnésAu rire éternel condamnés,Et qui ne peuvent plus sourire!
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