Шарль Бодлер - Цветы зла
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LXXXIII
L'HÉAUTONTIMOROUMÉNOS
À J.G.F.
Je te frapperai sans colèreEt sans haine, comme un boucher,Comme Moïse le rocher!Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Saharah,Jaillir les eaux de la souffrance.Mon désir gonflé d'espéranceSur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,Et dans mon cœur qu'ils soûlerontTes chers sanglots retentirontComme un tambour qui bat la charge!
Ne suis-je pas un faux accordDans la divine symphonie,Grâce à la vorace IronieQui me secoue et qui me mord?
Elle est dans ma voix, la criarde!C'est tout mon sang, ce poison noir!Je suis le sinistre miroirOù la mégère se regarde!
Je suis la plaie et le couteau!Je suis le soufflet et la joue!Je suis les membres et la roue,Et la victime et le bourreau!
Je suis de mon cœur le vampire,— Un de ces grands abandonnésAu rire éternel condamnés,Et qui ne peuvent plus sourire!
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LXXXIV
L'IRRÉMÉDIABLE
I Une Idée, une Forme, un ÊtreParti de l'azur et tombéDans un Styx bourbeux et plombéOù nul œil du Ciel ne pénètre;
Un Ange, imprudent voyageurQu'a tenté l'amour du difforme,Au fond d'un cauchemar énormeSe débattant comme un nageur,
Et luttant, angoisses funèbres!Contre un gigantesque remousQui va chantant comme les fousEt pirouettant dans les ténèbres;
Un malheureux ensorceléDans ses tâtonnements futiles,Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,Cherchant la lumière et la clé;
Un damné descendant sans lampe,Au bord d'un gouffre dont l'odeurTrahit l'humide profondeur,D'éternels escaliers sans rampe,
Où veillent des monstres visqueuxDont les larges yeux de phosphoreFont une nuit plus noire encoreEt ne rendent visibles qu'eux;
Un navire pris dans le pôle,Comme en un piège de cristal,Cherchant par quel détroit fatalIl est tombé dans cette geôle;
— Emblèmes nets, tableau parfaitD'une fortune irrémédiable,Qui donne à penser que le DiableFait toujours bien tout ce qu'il fait!
II Tête-à-tête sombre et limpideQu'un cœur devenu son miroir!Puits de Vérité, clair et noir,Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal,Flambeau des grâces sataniques,Soulagement et gloire uniques,— La conscience dans le Mal!
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LXXXV
L'HORLOGE
Horloge! Dieu sinistre, effrayant, impassible,Dont le doigt nous menace et nous dit:"Souviens-toi!Les vibrantes douleurs dans ton cœur plein d'effroiSe planteront bientôt comme dans une cible;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizonAinsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;Chaque instant te dévore un morceau du déliceÀ chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la SecondeChuchote: Souviens-toi! — Rapide, avec sa voixD'insecte, maintenant dit: je suis Autrefois,Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!
Remember! Souviens-toi! Prodigue! Esto memor!(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)Les minutes, mortel folâtre, sont des ganguesQu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or!
Souviens-toi que le Temps est un joueur avideQui gagne sans tricher, à tout coup! C'est la loi.Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,Où le Repentir même (oh! La dernière auberge!),Où tout te dira: Meurs, vieux lâche! Il est trop tard!"
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TABLEAUX PARISIENS
LXXXVI
PAYSAGE
Je veux, pour composer chastement mes églogues,Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,Et, voisin des clochers, écouter en rêvantLeurs hymnes solennels emportés par le vent.Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde;Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.
Il est doux, à travers les brumes, de voir naîtreL'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,Les fleuves de charbon monter au firmamentEt la lune verser son pâle enchantement.Je verrai les printemps, les étés, les automnes;Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,Je fermerai partout portières et voletsPour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.Alors je rêverai des horizons bleuâtres,Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,Ne fera pas lever mon front de mon pupitre;Car je serai plongé dans cette voluptéD'évoquer le Printemps avec ma volonté,De tirer un soleil de mon cœur, et de faireDe mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
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LXXXVII
LE SOLEIL
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masuresLes persiennes, abri des secrètes luxures,Quand le soleil cruel frappe à traits redoublésSur la ville et les champs, sur les toits et les blés,Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.
Ce père nourricier, ennemi des chloroses,Éveille dans les champs les vers comme les roses;Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquillesEt les rend gais et doux comme des jeunes filles,Et commande aux moissons de croître et de mûrirDans le cœur immortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,Il ennoblit le sort des choses les plus viles,Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
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LXXXVIII
À UNE MENDIANTE ROUSSE
Blanche fille aux cheveux roux,Dont la robe par ses trousLaisse voir la pauvreté Et la beauté,
Pour moi, poète chétif,Ton jeune corps maladif,Plein de taches de rousseur, A sa douceur.
Tu portes plus galammentQu'une reine de romanSes cothurnes de velours Tes sabots lourds.
Au lieu d'un haillon trop court,Qu'un superbe habit de courTraîne à plis bruyants et longs Sur tes talons;
En place de bas troués,Que pour les yeux des rouésSur ta jambe un poignard d'or Reluise encor;
Que des nœuds mal attachésDévoilent pour nos péchésTes deux beaux seins, radieux Comme des yeux;
Que pour te déshabillerTes bras se fassent prierEt chassent à coups mutins Les doigts lutins,
Perles de la plus belle eau,Sonnets de maître BelleauPar tes galants mis aux fers Sans cesse offerts,
Valetaille de rimeursTe dédiant leurs primeursEt contemplant ton soulier Sous l'escalier,
Maint page épris du hasard,Maint seigneur et maint RonsardÉpieraient pour le déduit Ton frais réduit!
Tu compterais dans tes litsPlus de baisers que de lisEt rangerais sous tes lois Plus d'un Valois!
— Cependant tu vas gueusantQuelque vieux débris gisantAu seuil de quelque Véfour De carrefour;
Tu vas lorgnant en dessousDes bijoux de vingt-neuf sousDont je ne puis, oh! Pardon! Te faire don.
Va donc, sans autre ornement,Parfum, perles, diamant,Que ta maigre nudité, Ô ma beauté!
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LXXXIX
LE CYGNE
À Victor Hugo.
I Andromaque, je pense à vous! Ce petit fleuve,Pauvre et triste miroir où jadis resplenditL'immense majesté de vos douleurs de veuve,Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
A fécondé soudain ma mémoire fertile,Comme je traversais le nouveau Carrousel.Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une villeChange plus vite, hélas! Que le cœur d'un mortel);
Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques,Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.
Là s'étalait jadis une ménagerie;Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieuxFroids et clairs le Travail s'éveille, où la voiriePousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,
Un cygne qui s'était évadé de sa cage,Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec
Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,Et disait, le cœur plein de son beau lac natal:"Eau, quand donc pleuvras-tu? Quand tonneras-tu, foudre?"Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,
Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,Vers le ciel ironique et cruellement bleu,Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,Comme s'il adressait des reproches à Dieu!
II Paris change! Mais rien dans ma mélancolieN'a bougé! Palais neufs, échafaudages, blocs,Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
Aussi, devant ce Louvre une image m'opprime:Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,Comme les exilés, ridicule et sublime,Et rongé d'un désir sans trêve! Et puis à vous,
Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,Auprès d'un tombeau vide en extase courbée;Veuve d'Hector, hélas! Et femme d'Hélénus!
Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique,Piétinant dans la boue, et cherchant, œil hagard,Les cocotiers absents de la superbe AfriqueDerrière la muraille immense du brouillard;
À quiconque a perdu ce qui ne se retrouveJamais, jamais! À ceux qui s'abreuvent de pleursEt tètent la Douleur comme une bonne louve!Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs!
Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exileUn vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor!Je pense aux matelots oubliés dans une île,Aux captifs, aux vaincus!… À bien d'autres encor!
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