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Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien

Читать бесплатно Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Je… je ne sais pas…

Alors Van Damme frappa la table avec une pièce de monnaie, demanda au garçon :

— Combien ?…

— La tournée ?… Neuf francs septante-cinq…

Ils étaient debout tous les trois, évitant de se regarder, et le garçon de café les aidait tour à tour à s’habiller.

— Bonsoir, messieurs…

Dehors, il y avait du brouillard, et c’est à peine si l’on distinguait la lueur des réverbères. Tous les volets étaient clos. Quelque part, assez loin, des pas résonnaient sur le trottoir.

Il y eut une hésitation sur la direction à suivre. Aucun des trois hommes ne prenait la responsabilité de diriger la marche. Derrière eux, l’on fermait à clé la porte du café et l’on posait les barres de sûreté.

A gauche, s’amorçait une ruelle bordée de vieilles maisons aux façades irrégulièrement alignées.

— Eh bien ! messieurs, prononça enfin Maigret, il ne me reste qu’à vous souhaiter une bonne nuit…

La main de Belloir, qu’il serra la première, était froide, nerveuse. Celle que Van Damme lui tendit à regret était moite et molle.

Le commissaire releva le col de son pardessus, toussota et se mit à marcher, tout seul, le long de la rue déserte. Et ses facultés étaient tendues vers un seul objet : percevoir le moindre bruit, le plus léger frémissement de l’air qui l’avertirait du danger.

Sa main droite, dans sa poche, étreignait la crosse d’un revolver. Il lui sembla que, dans le réseau des ruelles qui s’étendait à sa gauche, enclavé dans le centre de Liège comme un îlot lépreux, des gens marchaient à pas précipités en essayant de ne pas faire de bruit.

Il devina le murmure d’une conversation à voix basse, très loin ou très près, il n’eût pu le dire, à cause du brouillard qui déroutait ses sens.

Et brusquement il se jeta de côté, se colla contre une porte tandis qu’une détonation sèche éclatait, que quelqu’un, dans la nuit, courait à toutes jambes.

Maigret avança alors de quelques pas, plongea le regard dans la ruelle d’où l’on avait tiré, ne vit rien, que des taches plus sombres où débouchaient sans doutes des impasses et tout au bout, à deux cents mètres, le globe en verre dépoli qui servait d’enseigne à un marchand de pommes frites.

Quelques instants plus tard, il passait devant cette boutique, d’où une fille sortait avec un cornet de papier qui contenait des frites dorées. Elle lui lança une invitation, sans conviction, se dirigea vers une rue plus éclairée.

Maigret écrivait paisiblement, en écrasant, de son index énorme, la plume sur le papier et de temps en temps il tassait la cendre chaude dans sa pipe.

Il était installé dans sa chambre de l’Hôtel du Chemin-de-Fer et l’horloge lumineuse de la gare, qu’il apercevait par la fenêtre, marquait deux heures du matin.

Mon vieux Lucas,

Comme on ne sait pas ce qui peut arriver, je te donne ci-joint quelques indications qui te permettront, le cas échéant, de poursuivre l’enquête que j’ai commencée.

1. La semaine dernière, à Bruxelles, un homme mal vêtu, aux allures de vagabond, fait un paquet de trente billets de mille francs et les expédie à sa propre adresse, rue de la Roquette, à Paris. L’enquête démontrera qu’il s’est adressé souvent des sommes aussi fortes dont il ne se servait pas. La preuve en est qu’on retrouve dans sa chambre les cendres de nombreux billets de banque brûlés volontairement.

Il vit sous le nom de Louis Jeunet, travaille à peu près régulièrement dans un atelier de la même rue.

Il a été marié (voir Mme Jeunet, herboriste, rue Picpus) et a un enfant. Mais il a quitté femme et enfant dans des circonstances troublantes, après des crises aiguës d’alcoolisme.

A Bruxelles, l’argent expédié, il achète une valise pour y mettre des effets qu’il possède dans une chambre d’hôtel. Cette valise, alors qu’il est en route pour Brême, je la remplace par une autre.

Et Jeunet, qui ne semble pas avoir pensé auparavant au suicide et qui s’est muni de quoi dîner, se tue en s’apercevant que ses effets lui ont été dérobés.

Il s’agit d’un vieux complet qui ne lui appartient pas et qui, des années plus tôt, a été déchiré comme au cours d’une lutte et inondé de sang. Le complet a été confectionné à Liège.

A Brême, un homme vient voir le cadavre et c’est un nommé Joseph Van Damme, commissionnaire en marchandises, né à Liège.

A Paris, j’apprends que Louis Jeunet est en réalité Jean Lecocq d’Arneville, né à Liège, dont on n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il a fait des études jusqu’à l’Université incluse. A Liège, d’où il a disparu voilà environ dix ans, on n’a rien à lui reprocher.

2. A Reims, on a vu Jean Lecocq d’Arneville, avant son départ pour Bruxelles, pénétrer de nuit chez Maurice Belloir, sous-directeur de banque, né à Liège, qui nie cette rencontre.

Mais les trente mille francs expédiés de Bruxelles proviennent de ce même Belloir.

Chez lui, je rencontre : Van Damme, arrivé par avion de Brême, Jef Lombard, photograveur à Liège et Gaston Janin, né, lui aussi, dans cette ville.

Comme je rentre à Paris en compagnie de Van Damme, il tente de me pousser dans la Marne.

Et je le retrouve à Liège, chez Jef Lombard. Celui-ci, voilà dix ans environ, s’adonnait à la peinture et les murs de sa demeure sont couverts de dessins de cette époque représentant des pendus.

Dans les journaux, où je me rends, les numéros du 15 février de l’année des pendus ont été arrachés par Van Damme.

Le soir, une lettre non signée me promet des révélations complètes et me donne rendez-vous dans un café de la ville. J’y trouve, non un homme, mais trois : Belloir (arrivé de Reims), Van Damme et Jef Lombard.

Ils m’accueillent avec gêne. J’ai la conviction que c’est un des trois qui était décidé à parler. Les autres semblent n’être là que pour l’en empêcher.

Jef Lombard, crispé, s’en va brusquement. Je reste avec les deux autres. Je les quitte dehors, passé minuit, dans le brouillard, et une balle est tirée vers moi quelques instants plus tard.

Je conclus que l’un des trois a voulu parler et que, d’autre part, un des trois encore a tenté de me supprimer.

Et il est évident que, ce dernier geste constituant un aveu, son auteur n’a que la ressource de recommencer et de ne pas me rater.

Mais qui est-ce ? Belloir, Van Damme, Jef Lombard ?

Je le saurai quand il recommencera. Comme un accident peut arriver, je t’adresse à tout hasard ces notes qui te permettront de reprendre l’enquête à son début.

Pour la partie morale de l’affaire, voir en particulier Mme Jeunet et Armand Lecocq d’Arneville, frère du mort.

Maintenant, je vais me coucher. Mes amitiés à tout le monde là-bas.

Maigret.

Le brouillard s’était dissipé, laissant sur les arbres et sur chaque brin d’herbe du square d’Avroy, que Maigret traversait, des perles de gelée blanche.

Dans le ciel bleu pâle luisait un soleil frileux, et le givre, de minute en minute, se transformait en gouttelettes d’eau qui tombaient, limpides, sur le gravier.

Il était huit heures du matin quand le commissaire arpenta le Carré encore désert où les panneaux réclame des cinémas étaient appuyés aux volets clos.

Maigret s’arrêta devant une borne postale, y laissa tomber sa lettre au brigadier Lucas et regarda autour de lui avec une pointe d’émotion.

Dans la même ville, dans ces rues ruisselantes de soleil blond, un homme, à la même heure, pensait à lui, et cet homme n’avait d’autre chance de salut que de le tuer. Il avait sur le commissaire l’avantage de connaître le terrain, comme il l’avait prouvé la nuit en s’enfonçant dans les ruelles inextricables.

Et il connaissait Maigret aussi, peut-être même le voyait-il à cet instant, tandis que le commissaire ignorait son identité.

Etait-ce Jef Lombard ? Le danger était-il dans la vieille maison de la rue Hors-Château où une accouchée dormait au premier étage, veillée par une brave femme de maman, tandis que des ouvriers nonchalants allaient d’un bac d’acide à l’autre, houspillés par les cyclistes des journaux ?

Joseph Van Damme, sombre et farouche, audacieux, intrigant, ne guettait-il pas le commissaire dans un endroit où il savait qu’il finirait par venir ?

Car celui-là, depuis Brême, avait tout prévu ! Trois lignes dans les journaux allemands et il était accouru à la morgue !

Un déjeuner avec Maigret et il était arrivé à Reims avant le policier !

Et il se trouvait le premier rue Hors-Château ! Il précédait l’enquêteur dans les rédactions de journaux !

Il était au Café de la Bourse, enfin !

Il est vrai que rien ne prouvait que ce n’était pas lui qui était décidé à parler. Rien ne prouvait le contraire !

C’était peut-être Belloir, froid, correct, avec sa morgue de grand bourgeois de province, qui avait tiré, dans le brouillard. C’était peut-être lui qui n’avait plus que la ressource d’achever Maigret !

Ou Gaston Janin, le petit sculpteur à barbiche ! Il n’était pas au Café de la Bourse, mais il pouvait être à l’affût dans la rue !

Quel rapport tout cela avait-il avec un pendu se balançant à la croix d’une église ? Avec des pendus multiples ? Avec des forêts dont les arbres ne portaient comme fruits que des pendus ? Avec un vieux complet taché de sang et éraillé aux revers par des ongles exacerbés ?…

Des dactylos allaient à leur travail. Une balayeuse municipale roulait au ralenti, avec son double arrosoir mécanique et son balai en forme de rouleau qui repoussait les détritus dans le ruisseau.

Au coin des rues, les sergents de ville montraient leur casque d’émail blanc et dirigeaient la circulation de leurs bras gainés de ripolin.

— Le commissariat central ? s’informa Maigret.

On lui montra le chemin. Il y arriva alors que les femmes de ménage étaient encore occupées au nettoyage, mais un secrétaire jovial reçut son collègue et, quand celui-ci demanda à voir des procès-verbaux vieux de dix ans, en précisant que c’était le mois de février qui l’intéressait, s’écria :

— Vous êtes le deuxième en vingt-quatre heures !… Il s’agit de savoir si une nommée Joséphine Bollant a bien commis un vol domestique à cette époque, n’est-ce pas ?…

— Quelqu’un est venu ?…

— Hier, vers cinq heures de l’après-midi… Un Liégeois qui a fait joliment son chemin à l’étranger, bien qu’il soit encore tout jeune !… Son père était médecin… Quant à lui, il a une belle affaire, en Allemagne…

— Joseph Van Damme ?

— C’est cela !… Mais il a eu beau fouiller le dossier, il n’a pas trouvé ce qu’il cherchait…

— Voulez-vous me le montrer ?

C’était un classeur vert, où les rapports journaliers étaient reliés, portant chacun un numéro d’ordre. A la date du 15 février, il y avait cinq procès-verbaux : deux pour ivresse et tapage nocturne, un pour vol à l’étalage, un pour coups et blessures et un dernier pour bris de clôture et vol de lapins.

Maigret ne les lut même pas. Il regardait les numéros inscrits en tête des feuilles.

— M. Van Damme a compulsé le livre lui-même ? questionna-t-il.

— Oui… Il s’est installé dans le bureau voisin…

— Je vous remercie !

Les cinq procès-verbaux étaient numérotés : 237, 238, 239, 241 et 242.

Autrement dit, il en manquait un, qui avait été arraché, comme les journaux avaient été arrachés des collections : le 240.

Maigret se retrouva quelques minutes plus tard sur la place située derrière l’Hôtel de Ville, où des voitures amenaient une noce. Et, malgré lui, il tendait l’oreille au moindre bruit, en proie à une petite angoisse qu’il n’aimait pas.

VIII

Le petit Klein

Ce fut de justesse ! Il était neuf heures. Les employés arrivaient à l’Hôtel de Ville, traversaient la cour d’honneur, s’arrêtaient un moment pour se serrer la main sur un bel escalier de pierre au-dessus duquel un concierge à casquette galonnée, à barbe soignée, fumait sa pipe.

C’était une pipe d’écume, Maigret nota le détail, sans savoir pourquoi, peut-être parce que le soleil matinal y mettait un reflet, qu’elle était déjà culottée et qu’un instant le commissaire envia l’homme qui fumait à petites bouffées voluptueuses et qui était là comme un symbole de la paix et de la joie de vivre.

Car, ce matin-là, l’air était vibrant, le devenait davantage à mesure que le soleil montait dans le ciel. Et il y avait une cacophonie savoureuse, des cris en patois wallon, la sonnerie aigre des tramways jaune et rouge, le quadruple jet d’une fontaine monumentale surmontée du perron liégeois qui tentait de dominer la rumeur du marché proche.

Or, le long de l’escalier à deux ailes, Maigret vit passer Joseph Van Damme, qui s’engouffra dans la salle des pas perdus.

Le commissaire s’élança derrière lui. A l’intérieur, les escaliers continuaient à être à deux volées qui se rejoignaient à chaque étage. Sur un palier, les deux hommes se trouvèrent face à face, haletants d’avoir couru, s’efforçant de paraître naturels à un huissier à chaîne d’argent.

Ce fut bref, aigu. Une question de précision, de quart de seconde.

Le temps de monter l’escalier et Maigret avait pensé que Van Damme ne venait là, comme il s’était rendu dans les journaux et au commissariat central, que pour faire disparaître quelque chose. Un des procès-verbaux du 15 février avait déjà été déchiré.

Mais, comme c’est l’habitude dans la plupart des villes, la police ne transmettait-elle pas chaque matin au bourgmestre un double des rapports journaliers ?

— Je voudrais voir le secrétaire communal, prononça Maigret, qui était à deux mètres de Van Damme… C’est urgent…

Leurs regards se croisèrent. Ils hésitèrent à se saluer, ne le firent pas, et l’homme d’affaires de Brême, que l’huissier interrogeait à son tour, se contentait de murmurer :

— Rien… Je reviendrai…

Il s’en alla. On entendit le bruit de ses pas décroître dans la salle des pas perdus. Un peu plus tard, Maigret était introduit dans un bureau somptueux où le secrétaire, raidi par sa jaquette et un faux col trop haut, s’affaira pour retrouver les rapports journaliers vieux de dix ans.

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