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Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien

Читать бесплатно Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Il s’en aperçut, fut repris, quelques secondes, par le vertige, hésita sans doute à tirer.

— Lâchez ça !…

Les doigts s’ouvrirent. Le revolver tomba sur le plancher, près d’un tas de copeaux.

Et Maigret tourna le dos à l’ennemi, continua à fureter dans l’ahurissant amas de choses hétéroclites. Ce fut une chaussette qu’il ramassa, jaunâtre, marbrée, elle aussi, de moisissure.

— Dites donc, Van Damme…

Il se retourna, parce qu’il flairait quelque chose d’anormal dans le silence. Il vit l’homme se passer la main sur les joues où ses doigts laissèrent un sillon mouillé.

— Vous pleurez ?…

— Moi ?…

Ce moi était agressif, sardonique, désespéré.

— Dans quelle arme avez-vous servi ?…

L’autre ne comprit pas. Il était prêt à se jeter sur n’importe quel semblant d’espoir.

— J’étais à l’ESLR… L’Ecole des sous-lieutenants de réserve, à Beverloo…

— Fantassin ?

— Cavalier…

— Autrement dit, vous mesuriez alors entre un mètre soixante-cinq et un mètre soixante-dix… Et vous ne pesiez pas soixante-dix kilos… C’est depuis lors que vous avez pris de l’embonpoint…

Maigret repoussa une chaise qu’il avait heurtée, ramassa encore un bout de papier, fragment d’une lettre vraisemblablement, qui ne portait plus qu’une ligne : Ma chère vieille branche…

Mais il ne cessait d’observer Van Damme, qui essayait de comprendre et qui, devinant soudain, s’écria, bouleversé, le visage défait :

— Ce n’est pas moi !… Je jure que je n’ai jamais porté ce costume-là !…

Du pied, Maigret envoya le revolver de son compagnon rouler à l’autre bout de la pièce.

Pourquoi, à cet instant, refit-il le compte des enfants ? Un gamin chez Belloir ! Trois gosses rue Hors-Château où la dernière-née n’avait pas encore les yeux ouverts ! Et le fils du faux Louis Jeunet !

Par terre, on voyait la belle fille nue cambrer les reins sur une sanguine qui n’était pas signée.

On entendait des pas hésitants dans l’escalier. Une main frôla la porte, cherchant la ficelle qui servait de loquet.

IX

Les Compagnons de l’Apocalypse

Dans les scènes qui suivirent, tout porta : les mots, les silences, les regards et jusqu’aux frémissements involontaires des muscles. Tout fut lourd de sens, et l’on devinait derrière les personnages quelque chose de livide : la silhouette immatérielle de la peur.

La porte s’ouvrait. Maurice Belloir paraissait, et son premier coup d’œil allait à Van Damme, collé au mur, dans un coin, puis au revolver qui gisait sur le sol.

C’était assez pour comprendre. Surtout lorsqu’on voyait ensuite Maigret qui, paisible, la pipe aux dents, fouillait toujours parmi les vieux croquis.

— Lombard arrive !… lança Belloir sans qu’on pût savoir s’il s’adressait au commissaire ou à son compagnon. J’ai pris une voiture…

Et, rien que par ces mots, Maigret devina que le sous-directeur de banque venait d’abandonner la partie. C’était à peine sensible. Les traits moins tendus. Une intonation lasse, honteuse dans la voix.

Ils étaient trois à se regarder. Joseph Van Damme commença :

— Qu’est-ce qu’il…

— Il est comme fou… J’ai tenté de le calmer… Mais il m’a échappé… Il est parti en parlant tout seul, en gesticulant…

— Armé ? questionna Maigret.

— Armé…

Et Maurice Belloir tendait l’oreille, avec ce visage douloureux des gens trop bouleversés qui essaient en vain de se maîtriser.

— Vous étiez tous les deux rue Hors-Château ?… Vous attendiez le résultat de mon entrevue avec…

Du doigt, il désigna Van Damme, tandis que Belloir avouait d’un signe de tête.

— Et vous étiez d’accord tous les trois pour me proposer…

Il n’y avait pas besoin d’achever les phrases. On comprenait tout à demi-mot. On comprenait même les silences, on avait l’impression de s’entendre penser.

Soudain il y eut des pas précipités dans l’escalier. Quelqu’un buta, dut s’étaler, poussa un grognement de rage. L’instant d’après, la porte était ouverte d’un coup de pied et le chambranle encadrait Jef Lombard, qui resta un moment immobile, à regarder les trois hommes de ses prunelles effrayantes de fixité.

Il tremblait. Il était en proie à la fièvre, peut-être à une sorte de démence.

Tout devait danser devant ses yeux : la silhouette de Belloir qui s’écartait de lui, le visage congestionné de Van Damme, Maigret enfin, avec ses larges épaules, qui ne faisait pas un mouvement, retenait son souffle.

Et par-dessus le marché tout ce bric-à-brac ahurissant, les dessins étalés, la fille nue dont on ne voyait que les seins et le menton, la lanterne et le divan défoncé…

Ce n’est que par fractions de seconde que la scène pouvait se mesurer. Au bout de son long bras, Jef tenait un revolver à barillet.

Maigret l’observait, calmement. Mais un soupir n’en gonfla pas moins sa poitrine quand Jef Lombard lança l’arme sur le sol, se prit la tête à deux mains, éclata en sanglots rauques et gémit :

— Je ne peux pas !… Je ne peux pas !… Entendez-vous ?… Je ne peux pas, n… de D… !

Et il s’appuya les deux bras au mur, tandis qu’on voyait ses épaules tressauter, qu’on l’entendait renifler.

Le commissaire alla fermer la porte, car les bruits de la scie et du rabot arrivaient jusque-là, ainsi qu’un lointain piaillement de gosses.

Jef Lombard s’essuya le visage de son mouchoir, rejeta ses cheveux en arrière, regarda autour de lui de ces yeux vides que l’on a après les crises nerveuses.

Il n’était pas tout à fait calmé. Ses doigts se crispaient. Ses narines palpitaient. Au moment où il essaya de parler, il dut se mordre la lèvre, parce qu’un nouveau sanglot naissait.

— … Pour en arriver là !… articula-t-il alors d’une voix que l’ironie rendait mate, mordante.

Il voulut rire, d’un rire désespéré.

— Neuf ans !… Presque dix !… Je suis resté tout seul, sans un sou, sans métier…

Il parlait pour lui-même et sans doute ne se rendait-il pas compte qu’il fixait durement l’étude de nu à la chair crue.

— Dix ans d’efforts quotidiens, de déboires, de difficultés de toutes sortes !… Et pourtant j’ai pris une femme… J’ai voulu des gosses… Je me suis acharné comme une bête, à leur donner une vie propre… Une maison !… Et l’atelier !… Et tout !… Vous avez vu… Mais ce que vous n’avez pas vu, c’est l’effort pour bâtir tout ça… Et les écœurements… Les traites qui, au début, m’empêchaient de dormir…

Il avala sa salive, se passa la main sur le front. Sa pomme d’Adam montait et descendait.

— Et voilà !… Je viens d’avoir une petite fille… Je me demande si je l’ai seulement regardée !… Ma femme, qui est couchée, ne comprend pas, m’épie avec épouvante parce qu’elle ne me reconnaît plus… Les ouvriers me questionnent et je ne sais pas ce que je leur réponds…

» Fini !… En quelques jours, brusquement !… Sapé, détruit, cassé, réduit en miettes !… Tout !… Le travail de dix ans !…

» Et cela parce que…

Il serra les poings, regarda l’arme qui était par terre, puis Maigret. Il était à bout.

— Finissons-en ! soupira-t-il avec un geste las. Qui est-ce qui va parler ?… C’est tellement bête !…

Et ces mots avaient l’air de s’adresser à la tête de mort, au tas de vieux croquis, aux dessins échevelés des murs.

— Tellement bête !… répéta-t-il.

On aurait pu croire qu’il allait à nouveau pleurer. Mais non ! Il était vide de nerfs. La crise était passée. Il alla s’asseoir au bord du divan, mit ses coudes sur ses genoux pointus, son menton dans ses mains et resta ainsi, à attendre.

Il ne bougea que pour gratter, à coups d’ongle, une tache de boue au bas de son pantalon.

— Je ne vous dérange pas ?…

La voix était joyeuse. Le menuisier entra, couvert de sciure de bois, regarda d’abord les murs ornés de dessins et éclata de rire.

— Alors, vous êtes revenu voir tout ça ?…

Personne ne bougeait. Belloir était seul à essayer de prendre un air naturel.

— Vous vous rappelez que vous me devez encore les vingt francs du dernier mois ?… Oh ! ce n’est pas pour vous les réclamer… Cela me fait rire, parce que, quand vous êtes partis en laissant toutes ces vieilleries, je me souviens que vous avez déclaré :

» — Peut-être bien qu’un jour un seul de ces croquis vaudra autant que la bicoque tout entière…

» Je ne le croyais pas… Mais quand même, j’ai hésité à badigeonner les murs… Un jour, j’ai amené un encadreur qui vend des tableaux et il a emporté deux ou trois dessins… Il m’en a donné cent sous… Vous faites toujours de la peinture ?…

Il devinait enfin qu’il y avait quelque chose d’anormal. Joseph Van Damme regardait obstinément le plancher. Belloir faisait claquer ses doigts d’impatience.

— N’est-ce pas vous qui êtes établi rue Hors-Château ? demanda encore le menuisier à Jef. J’ai un neveu qui a travaillé chez vous… Un grand blond…

— Peut-être… soupira Lombard en détournant la tête.

— Vous, je ne vous reconnais pas… Vous étiez de la bande ?…

C’était à Maigret maintenant que le propriétaire adressait la parole.

— Non.

— De drôles de lascars !… Ma femme ne voulait pas que je loue, puis elle m’a conseillé de les mettre dehors, surtout qu’ils ne payaient pas souvent… Mais ça m’amusait… C’était à qui porterait le plus grand chapeau, fumerait la plus longue pipe en terre… Et ils passaient des nuits à chanter des chœurs et à boire !… Il venait parfois de jolies filles… A propos, monsieur Lombard… Celle-là, qui est par terre, savez-vous ce qu’elle est devenue ?…

» Elle a épousé un inspecteur du Grand-Bazar et elle habite à deux cents mètres d’ici… Elle a un fils qui est à l’école avec le mien…

Lombard se leva, marcha vers la baie vitrée, revint sur ses pas, si agité que l’homme se décida à battre en retraite.

— Je vous dérange peut-être ?… Je vais vous laisser… Et, vous savez, s’il y a là-dedans des choses qui vous intéressent… Il est bien entendu que je n’ai jamais eu l’idée de les garder à cause des vingt francs… Je n’ai pris qu’un paysage, pour ma salle à manger…

Sur le palier, il allait peut-être entreprendre un nouveau discours. Mais on l’appela d’en bas :

— Quelqu’un pour vous, patron !…

— A tout à l’heure, messieurs… Cela m’a fait plaisir de…

La voix faiblit, car la porte était refermée. Maigret, pendant qu’il parlait, avait allumé une pipe. Le bavardage du menuisier avait amené malgré tout une certaine détente. Et quand le commissaire prit la parole en désignant une inscription qui entourait, sur le mur, le plus abscons des dessins, Maurice Belloir répondit d’une voix presque naturelle.

— L’inscription était : Les Compagnons de l’Apocalypse.

— C’était le nom de votre groupe ?…

— Oui… Je vais vous expliquer… Il est trop tard, n’est-ce pas ?… Tant pis pour nos femmes, nos enfants…

Mais Jef Lombard intervint :

— Je veux parler… Laisse-moi…

Et il se mit à marcher de long en large dans la pièce, cueillant du regard, à certains moments, tel ou tel objet, comme pour illustrer son récit.

— Il y a un peu plus de dix ans… Je suivais les cours de l’Académie de peinture… Je portais un grand chapeau, une lavallière… Il y en avait deux autres avec moi… Gaston Janin, qui était à la sculpture, puis le petit Klein… Nous étions très fiers de nous promener au Carré… Nous étions des artistes, n’est-ce pas ?… Chacun se croyait au moins l’avenir d’un Rembrandt…

» C’est venu stupidement… Nous lisions beaucoup, surtout des auteurs de l’époque romantique… Nous nous emballions… Pendant huit jours, nous ne jurions que par tel écrivain… Puis nous le reniions pour en adopter un autre…

» Le petit Klein, dont la mère habitait Angleur, a loué cet atelier où nous sommes et nous avons pris l’habitude de nous y réunir… L’atmosphère, surtout les soirs d’hiver, nous impressionnait par ce qu’elle avait de moyenâgeux… Nous chantions de vieux airs, nous récitions du Villon…

» Je ne sais plus qui a découvert l’Apocalypse et s’est obstiné à nous en lire des chapitres entiers…

» Un soir, on a fait la connaissance de quelques étudiants : Belloir, Armand Lecocq d’Arneville, Van Damme et un certain Mortier, un juif dont le père possède non loin d’ici une affaire de boyaux de porc et de tripes…

» On a bu… On les a ramenés dans l’atelier… Le plus âgé n’avait pas vingt-deux ans…

» C’était toi, Van Damme, n’est-ce pas ?…

Cela lui faisait du bien de parler. Son pas devenait moins saccadé, sa voix moins rauque, mais, à la suite de sa crise de larmes, le visage restait marbré de rouge, les lèvres gonflées.

— Je crois que l’idée est venue de moi… Fonder une société, un groupe !… J’avais lu des récits sur les sociétés secrètes qui existaient au siècle dernier dans les universités allemandes. Un club qui réunirait l’art à la science !…

Il ne put s’empêcher de ricaner en regardant les murs.

— Car nous avions plein la bouche de ces mots-là !… Ils nous gonflaient d’orgueil… D’une part les trois rapins que nous étions, Klein, Janin et moi… C’était l’Art !… D’autre part, les étudiants… On a bu… Car on buvait beaucoup !… On buvait pour s’exalter davantage… On dosait l’éclairage, afin de rendre l’atmosphère mystérieuse…

» Nous nous couchions ici, tenez… Les uns sur le divan, les autres par terre… On fumait des pipes et des pipes… L’air devenait épais…

» Alors on chantait des chœurs… Il y avait presque toujours un malade qui devait aller se soulager dans la cour…

» Cela se passait à des deux heures, à des trois heures du matin !… On s’enfiévrait… Le vin aidant – du vin à bon marché qui nous chavirait l’estomac ! - on s’élançait vers le domaine de la métaphysique…

» Je revois le petit Klein… C’était le plus nerveux… Il était mal portant… Sa mère était pauvre et il vivait de rien, se passait de manger pour boire…

» Parce que, quand nous avions bu, nous nous sentions tous d’authentiques génies !…

» Le groupe des étudiants était un peu plus sage, car il était moins pauvre, à part Lecocq d’Arneville… Belloir chipait une bouteille de vieux bourgogne ou de liqueur chez ses parents… Van Damme apportait de la charcuterie…

» Nous étions persuadés que les gens, dans la rue, nous regardaient avec une admiration mêlée d’effroi… Et nous avons choisi un titre mystérieux, bien ronflant : les Compagnons de l’Apocalypse…

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