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Simenon, Georges - Maigret

Читать бесплатно Simenon, Georges - Maigret. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Il manifestait l’intention de se lever pour mettre fin à l’entretien. Il fallait trouver autre chose immédiatement.

— Voulez-vous que je vous dise ce qui va arriver ? articula lentement Maigret.

Il prit un temps, laissa tomber syllabe par syllabe :

— Avant deux jours, vous serez obligé de tuer votre petit camarade Audiat.

Le coup avait porté, c’était certain. Cageot évitait de regarder son compagnon, qui poursuivait, par crainte de perdre son avantage :

— Vous le savez aussi bien que moi ! Audiat est un gamin. Je le soupçonne en outre de prendre des stupéfiants, ce qui le rend impressionnable. Depuis qu’il me sent derrière lui, il fait gaffe sur gaffe, s’affole, et l’autre nuit dans ma chambre, il a déjà mangé le morceau. C’était si bien prévu que vous étiez sur le seuil de la Police judiciaire pour l’empêcher de répéter ce qu’il m’avait dit. Mais, ce que vous avez réussi une fois, vous ne le réussirez pas toujours. Audiat, cette nuit, s’est enivré dans tous les bistrots. Il recommencera ce soir. Sans cesse il aura quelqu’un sur ses talons…

Cageot était rigoureusement immobile, les yeux fixés sur le mur grenat.

— Continuez, dit-il pourtant d’une voix naturelle.

— C’est nécessaire ? Comment vous y prendrez-vous pour supprimer un homme gardé jour et nuit par la police ? Si vous ne le tuez pas, Audiat parlera. C’est mathématique ! Et si vous le tuez, c’est vous qui serez pris, car il est difficile de commettre un meurtre dans de telles conditions.

Le rayon de soleil que filtrait la vitre sale glissait sur le bureau et, dans quelques minutes, atteindrait le téléphone. Maigret fumait à bouffées précipitées.

— Qu’est-ce que vous répondez à cela ?

Sans élever la voix, Cageot dit :

— Marthe ! fermez la porte.

Elle le fit en ronchonnant. Alors Cageot baissa le ton, à tel point que Maigret se demanda si la voix porterait au téléphone.

— Et si Audiat était déjà mort ?

Pas un trait n’avait bougé pendant qu’il prononçait cette phrase. Maigret se souvenait de sa conversation avec Lucas, à la Chope-du-Pont-Neuf. Le brigadier ne lui avait-il pas affirmé qu’Audiat, suivi par un inspecteur, était rentré à son hôtel, rue Lepic, vers une heure du matin ? Or, l’inspecteur avait dû surveiller l’hôtel pendant le reste de la nuit.

Sa main posée sur le maroquin usé du bureau à quelques centimètres du revolver, Cageot reprit :

— Vous voyez que vos propositions ne tiennent pas debout. Je vous croyais plus fort que ça.

Et il ajouta, cependant que Maigret se figeait d’effroi :

— Si vous voulez en savoir davantage, vous pouvez téléphoner au commissariat du 18e arrondissement.

Il aurait pu, en disant cela, tendre la main vers le récepteur, le décrocher pour le pousser vers Maigret. Il ne le fit pas, et le commissaire respira à nouveau, se hâta de dire :

— Je vous crois. Mais, moi non plus, je n’ai pas fini de vider mon sac.

Il ne savait pas ce qu’il allait dire. Mais il fallait rester encore. Il fallait, coûte que coûte, amener Cageot à prononcer certaines paroles, dont le bonhomme semblait se méfier comme de la peste.

Jusqu’ici, il n’avait pas une seule fois nié le crime. Mais il n’avait pas non plus prononcé une phrase, un mot pouvant être considéré comme un aveu formel.

Maigret imaginait Lucas impatient, l’écouteur à l’oreille, le pauvre Lucas passant par des phases d’espoir et de découragement et disant aux sténographes :

— Ce n’est pas la peine de prendre cela.

Et si Eugène ou un autre téléphonait ?

— Vous êtes sûr que ce que vous avez à me dire en vaut la peine ? insista M. Cageot. Il est l’heure de m’habiller.

— Je vous demande encore six minutes.

Maigret se versa à boire et se leva comme un homme surexcité qui va faire un discours.

X

Cageot ne fumait pas, ne bougeait pas, n’avait aucun tic qui pût servir de soupape à sa nervosité.

Maigret ne s’était pas encore rendu compte que c’était précisément cette immobilité de son interlocuteur qui le gênait, mais il comprit quand il le vit tendre la main vers un drageoir posé sur le bureau et y prendre une praline.

C’était peu de chose, et pourtant les petits yeux du commissaire pétillèrent comme s’il eût découvert le défaut de la cuirasse. Cageot, qui n’était ni fumeur, ni buveur, ni amateur de femmes, mangeait des sucreries, suçait une praline en la faisant lentement passer d’un côté de la bouche à l’autre !

— Je pourrais dire que nous sommes entre gens de métier, articula enfin Maigret. C’est en homme de métier que je vais vous dire pourquoi, fatalement, vous devez être pris.

La praline remua davantage.

— Prenons le premier meurtre. Je parle du premier meurtre de la série, car il est possible que vous en ayez d’autres à votre actif. Est-ce que l’avoué chez qui vous avez été premier clerc n’est pas mort empoisonné ?

— On ne l’a pas prouvé, dit simplement Cageot.

Il cherchait à savoir où Maigret voulait en venir, et, de son côté, l’esprit du commissaire travaillait à plein régime.

— Peu importe ! Voilà trois semaines, vous décidez de supprimer Barnabé. À ce que j’ai cru comprendre, Barnabé faisait la liaison entre Paris et Marseille, c’est-à-dire entre vous et les Levantins qui apportent la drogue par le bateau. Je suppose que Barnabé a voulu se tailler une trop grosse part. On l’invite à monter en voiture. C’est la nuit. Soudain, Barnabé sent un couteau qui lui entre dans le dos et quelques instants après son corps va s’écraser sur le trottoir. Voyez-vous la faute ?

Maigret alla prendre ses allumettes pour s’assurer que la rondelle de bois était toujours en place. En même temps, il voulait cacher une pointe de sourire qu’il ne pouvait maîtriser, car Cageot réfléchissait, cherchait vraiment la faute, comme un écolier consciencieux.

— Je vous le dirai tout à l’heure ! promit Maigret en interrompant ses réflexions. Pour le moment, je continue. La police, par je ne sais quel hasard, est sur la trace de Pepito. Comme la marchandise est au Floria, et que le Floria est surveillé, la situation est dangereuse. Pepito sent qu’il va être pris. Il menace, si vous ne le sauvez pas, de manger le morceau. Vous le descendez d’une balle de revolver alors qu’il se croit seul dans le cabaret vide. Ici, pas de faute.

Cageot redressa la tête, et la praline resta en suspens sur la langue.

— Pas de faute jusqu’à présent. Commencez-vous à comprendre ? Mais vous vous apercevez qu’il y a un policier dans la boîte. Vous sortez. Vous ne résistez pas au désir de faire pincer le policier. À première vue, cela a l’air d’un trait de génie. Et pourtant c’est la faute, la deuxième.

Maigret tenait le bon bout. Il n’y avait plus qu’à continuer, sans rien brusquer. Cageot écoutait, réfléchissait, tandis que l’inquiétude commençait à grignoter son calme.

— Troisième meurtre : celui d’Audiat, lequel Audiat, lui aussi, va parler. La police le surveille. Le couteau et le revolver sont impossibles. Je parie qu’Audiat avait l’habitude de boire pendant la nuit. Cette fois, il boira d’autant plus qu’il est ivre, et il ne se réveillera pas parce que l’eau de la carafe a été empoisonnée. Troisième faute.

Maigret jouait le tout pour le tout, mais il était sûr de lui ! Les choses ne pouvaient s’être passées autrement.

— J’attends les trois fautes ! prononça enfin Cageot en tendant la main vers la boîte de pralines.

Et le commissaire imaginait l’hôtel de la rue Lepic, habité surtout par des musiciens, par des danseurs mondains, par des filles.

— Dans l’affaire Audiat, la faute c’est que quelqu’un a mis le poison dans la carafe !

Cageot ne comprenait pas, suçait une nouvelle praline, et il y avait dans l’air une légère odeur sucrée, un relent de vanille.

— Pour Barnabé, poursuivit Maigret en se versant à boire, vous emmenez au moins deux personnes : Pepito et celui qui conduisait la voiture, sans doute Eugène. Et c’est Pepito qui, par la suite, menace de trahir.

« Vous me suivez ? Conséquence : la nécessité de supprimer Pepito. Vous vous occupez seul du coup de revolver. Mais, raffinement, vous allez chercher ensuite Audiat, chargé de bousculer l’inspecteur. Qu’arrive-t-il automatiquement ? Eugène, Louis, le patron du tabac, un joueur de belote, qui s’appelle Colin, et Audiat sont dans le jeu.

« C’est Audiat qui flanche. Et voilà, vous êtes obligé d’en finir avec lui !

« Or, hier après-midi, vous n’avez pas été vous-même rue Lepic. Vous avez dû vous servir d’un locataire de l’hôtel à qui vous avez téléphoné.

« Encore un complice ! Un homme susceptible de parler !

« Y êtes-vous, cette fois ?

Cageot réfléchissait toujours. Le soleil atteignait le récepteur nickelé du téléphone. Il était tard. La foule devenait plus dense autour des petites charrettes, et la rumeur de la rue pénétrait dans l’appartement en dépit des fenêtres fermées.

— Que vous soyez fort, c’est entendu. Mais alors, pourquoi vous encombrer chaque fois de complices inutiles, qui sont susceptibles de vous trahir ? Vous pouviez sans peine, n’importe où, descendre Barnabé, qui ne se méfiait pas de vous. Vous n’aviez pas besoin d’Audiat dans l’affaire Pepito. Et hier, alors que vous n’étiez pas surveillé, vous pouviez aller vous-même rue Lepic. Dans ces hôtels-là, où il n’y a pas de portier, on entre et l’on sort comme dans un moulin.

Parfois on entendait des pas dans l’escalier, et Maigret devait faire un effort pour paraître calme et pour continuer son discours comme si de rien n’était.

— À l’heure qu’il est, cinq personnes au moins peuvent vous mettre dedans. Or jamais cinq personnes n’ont gardé longtemps un secret de ce genre.

— Je n’ai pas donné le coup de couteau à Barnabé, dit lentement Cageot, qui était plus terne que jamais.

Maigret saisit la balle au bond, affirma avec assurance :

— Je sais !

L’autre le regarda avec surprise, plissa les paupières.

— Un coup de couteau, c’est plutôt l’affaire d’un Italien comme Pepito.

Il ne fallait plus qu’un tout petit effort, mais à ce moment la femme de ménage ouvrit la porte, et Maigret crut que son édifice s’écroulait.

— Je vais faire le marché, annonça-t-elle. Qu’est-ce que je prends comme légumes ?

— Ce que vous voudrez.

— Vous avez de l’argent ?

Cageot en prit dans un porte-monnaie solide, usé, à fermoir de métal, qui était un vrai porte-monnaie d’avare. Il choisit deux pièces de dix francs. La bouteille à vin était vide, sur la table, et il la tendit à la servante.

— Tenez ! Vous pourrez la reporter. C’est vous qui avez le ticket.

Son esprit, pourtant, était ailleurs. Marthe sortit sans refermer la porte, mais elle referma celle du palier, et l’on entendit le murmure de l’eau qui bouillait sur le réchaud de la cuisine.

Maigret avait suivi du regard tous les gestes de son interlocuteur, et voilà qu’il en oubliait l’appareil téléphonique et les sténographes embusqués à l’autre bout du fil. Un déclic venait de se faire en lui, il n’aurait pu dire à quel moment au juste. Il avait beaucoup parlé, sans trop penser à ce qu’il disait, et son raisonnement improvisé l’avait amené à quelques millimètres de la vérité.

Il y avait aussi les bonbons du drageoir, le porte-monnaie, et même le mot légume.

— Je parie que vous êtes au régime.

— Depuis vingt ans.

Cageot ne parlait plus de mettre son visiteur à la porte. On eût même dit qu’il avait besoin de lui. Voyant son verre vide, il articula :

— Marthe va rapporter du vin. Il n’y en a jamais qu’une bouteille à la maison.

— Je sais.

— Comment le savez-vous ?

Parce que c’était en harmonie avec le reste, parbleu ! Parce que maintenant Cageot cessait d’être pour Maigret un adversaire quelconque et devenait un homme. Cet homme, il le connaissait davantage à chaque seconde, il le sentait vivre, respirer, penser, craindre et espérer, il entendait le bruit agaçant de la praline contre les dents.

Le décor s’animait aussi, le bureau, les meubles, les tableaux douceâtres comme de la confiture.

— Savez-vous ce que je pense, Cageot ?

Cette phrase n’était pas une phrase en l’air, mais elle faisait suite à une longue suite de pensées.

— Je suis en train de me demander si vous avez réellement tué Pepito. À l’heure qu’il est, je suis presque sûr du contraire.

Le ton n’était plus le même que dans le précédent discours. Maigret se passionnait, penché en avant pour voir Cageot de plus près.

— Je vais vous dire tout de suite pourquoi je pense ainsi. Si vous aviez été capable de tuer Pepito vous-même, d’un coup de revolver, vous n’auriez eu besoin de personne pour supprimer Barnabé et Audiat. La vérité, c’est que vous avez peur.

Les lèvres de Cageot étaient sèches. Il tenta pourtant de sourire avec ironie.

— Osez me dire que vous avez déjà tué un poulet ou un lapin ! Osez me dire que vous êtes capable de regarder du sang qui coule !

Maigret ne doutait plus. Il avait compris. Il fonçait droit devant lui.

— Entendons-nous ! Vous avez peur de tuer de vos mains, mais cela ne vous fait rien de condamner quelqu’un ! Au contraire ! Vous avez peur de tuer, peur de mourir. Mais vous y mettez d’autant plus de rage à ordonner des meurtres. N’est-ce pas vrai, Cageot ?

La voix de Maigret était sans haine comme sans pitié. Il étudiait Cageot avec la passion qu’il apportait à l’étude de tout ce qui était humain. Et le Notaire l’était terriblement à ses yeux. Il n’y avait pas jusqu’au métier de clerc d’avoué qu’il avait fait dans sa jeunesse qui n’eût été providentiel.

Cageot était, avait toujours été, l’homme enfermé en lui-même. Tout seul, les yeux clos, il devait échafauder des combinaisons merveilleuses, des combinaisons de toutes sortes, aussi bien financières que criminelles ou érotiques.

On ne l’avait jamais vu avec des femmes ? Parbleu ! Les femmes n’étaient pas capables de réaliser ses imaginations exacerbées !

Cageot se repliait sur lui-même, dans sa tanière imprégnée de ses pensées, de ses rêves, de son odeur.

Et quand, par la fenêtre, il regardait la rue ensoleillée où la foule grouillait devant les étalages, où déferlaient les autobus gonflés de vies, c’était, non avec le désir de se mêler à la masse vivante du dehors, mais avec celui de baser sur elle de savantes combinaisons.

— Vous êtes un froussard, Cageot ! tonna la voix de Maigret. Un froussard comme tous ceux qui ne vivent que par leur cerveau. Vous vendez des femmes, de la cocaïne, Dieu sait quoi encore, car je vous crois capable de tout. Mais en même temps vous vous faites indicateur de police !

Les yeux gris de Cageot ne quittaient pas Maigret, qui ne pouvait plus s’arrêter.

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