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Simenon, Georges - Maigret

Читать бесплатно Simenon, Georges - Maigret. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Et dans six mois Philippe sera encore en prison.

— Son avocat veut demander sa mise en liberté provisoire. Comme il n’est inculpé que d’homicide par imprudence, il l’obtiendra sûrement.

Maigret ne sentait plus sa fatigue.

— Vous remettez ça ? proposa Amadieu en désignant les verres.

— Avec plaisir.

Pauvre Amadieu ! Ce qu’il devait être embêté au moment d’entrer dans le salon de l’hôtel ! Maintenant, il avait eu le temps de reprendre contenance et il affectait une assurance qu’il n’avait pas, parlait même de l’affaire avec une certaine désinvolture.

— Je me demande d’ailleurs, ajouta-t-il en avalant une gorgée d’armagnac, si Cageot a tué lui-même. J’ai beaucoup pensé à votre thèse. Pourquoi n’aurait-il pas chargé Audiat de tirer ? Lui-même pouvait être embusqué dans la rue…

— Audiat ne serait pas revenu sur ses pas pour bousculer mon neveu et donner l’alarme. Il retombe aussi vite qu’il s’est emballé. C’est un sale petit voyou sans envergure.

— Et Eugène ?

Maigret haussa les épaules, non qu’il crût Eugène innocent, mais parce qu’il aurait été gêné de l’accabler. C’était très vague. Fernande y était pour quelque chose.

D’ailleurs, Maigret était à peine à la conversation. Son crayon à la main, il traçait sur le marbre de la table des traits sans signification aucune. Il faisait chaud. L’armagnac provoquait un doux bien-être, donnait la sensation que toute la fatigue amassée s’écroulait peu à peu.

Lucas, qui entrait en compagnie d’un jeune inspecteur, sursauta en voyant les deux commissaires attablés côte à côte, et Maigret, à travers la salle, lui adressa une œillade.

— Vous ne venez pas jusqu’à la « maison » ? proposa Amadieu. Je vous montrerais le procès-verbal des interrogatoires.

— À quoi bon ?

— Que comptez-vous faire ?

Cela le tarabustait. Quelle idée pouvait bien se cacher derrière le front buté de Maigret ? Déjà sa cordialité avait baissé d’un ton.

— Il ne faudrait pas que nos efforts se détruisent mutuellement. Le patron est du même avis que moi, et c’est lui qui m’a conseillé de me mettre d’accord avec vous.

— Eh bien ! ne sommes-nous pas d’accord ?

— Sur quoi ?

— Sur le fait que Cageot a tué Pepito et que c’est probablement lui aussi qui a tué Barnabé quinze jours auparavant.

— Il ne suffit pas que nous soyons d’accord là-dessus pour l’arrêter.

— Évidemment.

— Alors ?

— Alors rien. Ou plutôt, je vous demande une seule chose. Je suppose que vous obtiendrez facilement du juge Gastambide un mandat d’amener au nom de Cageot ?

— Et ensuite ?

— Ensuite je voudrais qu’il y ait un inspecteur en permanence au quai des Orfèvres avec ce mandat dans la poche. Dès que je lui téléphonerai, il lui suffira de me rejoindre.

— Vous rejoindre où ?

— Où je serai ! Cela vaudrait encore mieux qu’au lieu d’un mandat il en possède plusieurs. On ne sait jamais.

Le terne visage d’Amadieu s’était allongé.

— Très bien, dit-il sèchement. J’en parlerai au directeur.

Il appela le garçon, paya une des tournées. Puis il fut longtemps à boutonner et à déboutonner son pardessus dans l’espoir que Maigret se déciderait enfin à parler.

— Et voilà ! Je vous souhaite de réussir.

— Vous êtes bien aimable. Je vous remercie.

— Pour quand croyez-vous que ça sera ?

— Peut-être pour tout à l’heure. Peut-être seulement pour demain matin. Tenez ! Je crois préférable que la chose se passe demain matin…

Au moment où son compagnon s’éloignait, il se ravisa.

— Et merci pour votre visite, hein !

— C’était naturel.

Resté seul, il paya la seconde tournée, s’arrêta un instant à la table de Lucas et de son collègue.

— Du nouveau, patron ?

— Presque. Où pourrai-je te toucher, demain matin, vers huit heures ?

— Je serai quai des Orfèvres. Si vous préférez, je peux venir ici.

— À demain, ici !

Dehors, Maigret arrêta un taxi et se fit conduire rue Fontaine. La nuit tombait. Les vitrines s’éclairaient. En passant devant le tabac, il fit ralentir l’allure de la voiture.

Dans le petit bar, la jeune fille molle était à la caisse, le patron derrière le comptoir, tandis que le garçon essuyait les tables. Mais il n’y avait là ni Audiat, ni Eugène, ni le Marseillais.

— Ce qu’ils vont râler, ce soir, de ne pas pouvoir faire leur belote !

Quelques instants plus tard, le taxi s’arrêtait en face du Floria. Maigret le garda, poussa la porte entrouverte.

C’était l’heure du nettoyage. Une seule lampe était allumée et jetait un jour indécis sur les tentures et sur les peintures rouges et vertes des murs. Les nappes n’étaient pas encore posées sur les tables sans vernis, et, sur l’estrade, les instruments de musique étaient enveloppés de leur housse.

L’ensemble était pauvre, lugubre. La porte du bureau, au fond, était ouverte, et Maigret aperçut en partie une silhouette de femme, passa près d’un garçon qui balayait, émergea soudain en pleine lumière.

— C’est toi ! s’étonna sa belle-sœur.

Elle avait rougi, perdu contenance.

— J’ai voulu voir le… la…

Un jeune homme était adossé au mur et fumait une cigarette. C’était M. Henry, le nouveau propriétaire du Floria, ou plus exactement le nouvel homme de paille de Cageot.

— Ce monsieur a été bien aimable… balbutia Mme Lauer.

— J’aurais voulu pouvoir en faire davantage, s’excusa le jeune homme ; Madame me dit qu’elle est la maman du policier qui a tué… je veux dire qui est accusé d’avoir assassiné Pepito. Moi, je ne sais rien. J’ai pris possession de la maison le lendemain.

— Encore une fois merci, monsieur. Je vois que vous comprenez ce que c’est qu’une mère.

Elle s’attendait à une scène de la part de Maigret. Quand il la fit monter dans le taxi qui attendait, elle parla pour parler.

— Tu as pris une voiture. Il y a un très bon autobus… Tu peux fumer ta pipe… Je suis habituée.

Maigret donna l’adresse de l’hôtel, puis, chemin faisant, il murmura d’une drôle de voix :

— Voilà ce que nous allons faire. Il y a une longue soirée à passer. Demain matin, nous devons être dispos, les nerfs calmes et le cerveau frais. Si tu veux, nous irons au théâtre.

— Au théâtre, alors que Philippe, lui, est en prison ?

— Bah ! c’est sa dernière nuit.

— Tu as découvert quelque chose ?

— Pas encore. Laisse-moi faire. L’hôtel est triste. Nous n’avons rien à faire.

— Moi qui voulais en profiter pour aller mettre de l’ordre dans la chambre de Philippe !

— Il serait furieux. Un jeune homme n’aime pas que sa mère fouille ses affaires.

— Tu crois que Philippe a une liaison ?

C’était toute sa province qui éclatait dans ces mots, et Maigret l’embrassa sur la joue.

— Mais non, vieille bête ! il n’en a malheureusement pas. Philippe est tout le portrait de son papa.

— Je ne suis pas sûre qu’Émile avant son mariage…

N’était-ce pas comme un bain d’eau pure ? En arrivant à l’hôtel, Maigret fit retenir des places pour le Palais-Royal, puis, en attendant le dîner, écrivit une lettre à sa femme. Il semblait avoir oublié le meurtre de Pepito et l’arrestation de son neveu.

— On va faire une petite bombe tous les deux ! annonça-t-il à sa belle-sœur. Si tu es bien sage, je te montrerai même le Floria en pleine action.

— Je ne suis pas habillée pour ça !

Il tint parole. Après un dîner soigné dans un restaurant des Boulevards – car il n’avait pas voulu manger à l’hôtel – il emmena sa belle-sœur au théâtre et la vit avec satisfaction qui riait malgré elle aux quiproquos du vaudeville.

— Je suis honteuse de ce que tu me fais faire, soupira-t-elle pourtant à l’entracte. Si Philippe, à cette heure-ci, savait où est sa mère !

— Et Émile donc ! Pourvu qu’il ne soit pas en train de conter fleurette à la bonne.

— Elle a cinquante ans, la pauvre fille.

Ce fut plus difficile de la décider à pénétrer au Floria, car l’entrée seule du cabaret, illuminée au néon, l’impressionnait. Maigret la dirigea vers une table proche du bar, frôla Fernande, qui s’y trouvait en compagnie d’Eugène et du Marseillais.

Comme on pouvait s’y attendre, il y eut des sourires à la vue de la brave femme que pilotait l’ancien commissaire.

Et Maigret était ravi ! On eût dit que c’était ce qu’il cherchait ! Comme un brave provincial en bombe, il commanda du champagne.

— Je vais être ivre ! minaudait Mme Lauer.

— Tant mieux !

— Sais-tu que c’est la première fois que je mets les pieds dans un endroit pareil ?

Elle sentait vraiment le gâteau ! C’était une merveille de santé morale et physique !

— Qui est-ce, cette femme qui te regarde tout le temps ?

— C’est Fernande, une copine à moi.

— À la place de ma sœur, je ne serais pas tranquille, car elle a l’air d’être amoureuse.

C’était vrai et faux. Fernande, en effet, regardait drôlement Maigret, comme si elle eût regretté leur intimité interrompue. Mais aussitôt elle se suspendait au bras d’Eugène et le taquinait avec une ostentation exagérée.

— Elle est avec un bien beau garçon !

— Le malheur, c’est que demain le beau garçon sera en prison.

— Qu’est-ce qu’il a fait ?

— C’est un des bandits qui ont fait arrêter Philippe.

— Lui ?

Elle n’en revenait pas. Et ce fut pis quand, comme il le faisait chaque soir, Cageot passa sa tête par le rideau afin de voir comment allaient les affaires.

— Tu vois ce monsieur qui a l’air d’un avoué ?

— Avec ses cheveux gris ?

— Oui ! Eh bien ! attention ! Essaie de ne pas crier. C’est l’assassin.

Les yeux de Maigret riaient, riaient comme si déjà il eût tenu Cageot et les autres à sa merci. Il riait tellement que Fernande se retourna, étonnée, fronça les sourcils, soudain inquiète et rêveuse.

Un peu plus tard, elle se dirigeait vers les lavabos et, en passant, lançait un coup d’œil à Maigret, qui se leva à son tour pour la rejoindre.

— Vous avez du nouveau ? questionna-t-elle alors, presque méchamment.

— Et toi ?

— Rien. Vous le voyez bien. Nous sommes de sortie.

Elle épiait Maigret et articula après un silence :

— On va l’arrêter ?

— Pas tout de suite.

D’impatience, elle frappa le sol de ses hauts talons.

— Grand amour ?

Mais elle s’éloignait déjà en laissant tomber :

— Sais pas encore.

Mme Lauer fut honteuse de se coucher à deux heures du matin, et Maigret, à peine au lit, s’endormit profondément, ronfla comme il ne l’avait plus fait depuis quelques jours.

IX

À huit heures moins dix, Maigret s’arrêta au bureau de l’hôtel au moment où le propriétaire, qui venait d’arriver, passait en revue, avec le veilleur de nuit, la liste des voyageurs. Un seau d’eau sale encombrait le passage ; un balai était appuyé au mur, et Maigret, avec le plus grand sérieux, saisit ce balai, dont il examina le manche.

— Vous permettez que je l’utilise ? demanda-t-il au propriétaire, qui bégaya :

— Je vous en prie…

Puis, il se ravisa, questionna avec inquiétude :

— Votre chambre n’est pas propre ?

Maigret fumait sa première pipe avec une joie sans mélange.

— Je crois que si ! répliqua-t-il tranquillement. Ce n’est pas le balai qui m’intéresse. Je voudrais seulement un petit morceau du manche.

La femme de ménage, qui s’était approchée, en s’essuyant les mains à son tablier bleu, dut croire qu’il était devenu fou.

— Vous n’auriez pas une petite scie ? continuait Maigret à l’adresse du veilleur de nuit.

— Eh bien ! Joseph, dut répéter le patron, va chercher une scie pour M. Maigret…

Ainsi la journée décisive commençait comme une joyeuse loufoquerie. Un matin de soleil succédait à un matin de soleil. Une femme de chambre passa avec un plateau à petit déjeuner. Le sol du corridor venait d’être lavé à grande eau. Le facteur entrait et fouillait dans son sac de cuir.

Maigret, le balai à la main, attendait une scie.

— Il y a un appareil téléphonique au salon, je crois ? dit-il au propriétaire.

— Mais oui, monsieur Maigret. Sur la table de gauche. Je vous branche immédiatement.

— Ce n’est pas la peine.

— Vous ne voulez pas de communication ?

— Merci. Ce n’est pas nécessaire.

Il pénétra dans le salon avec son balai, tandis que la femme de ménage en profitait pour déclarer :

— Vous remarquerez que ce n’est pas ma faute si je ne fais rien. Il ne faudra pas m’engueuler tout à l’heure parce que le hall n’est pas fini !

Le veilleur revint avec une scie rouillée qu’il avait trouvée à la cave. Maigret, de son côté, réapparut avec le balai, prit la scie et entama le bout du manche. Il appuyait le balai au bureau. De la sciure tombait sur le pavé déjà lavé. L’autre bout de bois frottait sur le registre que le patron observait avec angoisse.

— Et voilà ! Je vous remercie, prononça enfin le commissaire en ramassant une petite tranche de bois qu’il venait de scier.

Il rendait en même temps à la femme de ménage un balai raccourci de quelques centimètres.

— C’est ce qu’il vous fallait ? questionna le directeur de l’hôtel en gardant son sérieux.

— Exactement.

À la Chope-du-Pont-Neuf, où il retrouva Lucas, dans la salle du fond, les femmes de ménage et leurs seaux sévissaient, comme à l’hôtel.

— Vous savez, patron, que la brigade a travaillé toute la nuit. Quand Amadieu vous a quitté, il s’est mis en tête d’arriver avant vous, et il a lancé tout son monde sur l’affaire. Tenez, je peux vous dire que vous êtes allé au Palais-Royal avec une dame.

— Puis que je suis allé au Floria. Pauvre Amadieu ! Mais les autres ?

— Eugène était au Floria aussi. Vous l’avez sans doute vu. À trois heures moins le quart, il est sorti avec une professionnelle.

— Fernande, je sais. Je parie qu’il a couché avec elle, rue Blanche.

— Vous avez raison. Il a même laissé sa voiture toute la nuit au bord du trottoir. Elle y est toujours.

Maigret avait tiqué, bien qu’il ne fût pas amoureux. L’autre matin, c’était lui qui était chez elle, dans l’appartement baigné de soleil. Fernande buvait son café au lait, à peine vêtue, et il y avait entre eux une intimité confiante.

Ce n’était pas de la jalousie, mais il n’aimait pas beaucoup les hommes dans le genre d’Eugène, qu’il imaginait maintenant, encore couché, tandis que Fernande s’affairait à lui préparer son café et à le lui servir au lit ! Quel sourire condescendant il devait esquisser !

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