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Simenon, Georges - Maigret

Читать бесплатно Simenon, Georges - Maigret. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Il lui fera faire tout ce qu’il voudra ! soupira-t-il. Continue, Lucas.

— Le camarade marseillais a traîné dans deux ou trois boîtes avant de rentrer à l’Hôtel Alsina. À cette heure, il dort, car il ne se lève jamais avant onze heures ou midi.

— Et le petit homme sourd ?

— Il s’appelle Colin. Il vit avec sa femme, car il est légitimement marié, dans un appartement de la rue Caulaincourt. Elle lui fait des scènes quand il rentre tard. C’est l’ancienne sous-maîtresse de sa « maison ».

— Que fait-il à cette heure-ci ?

— Le marché. C’est toujours lui qui va aux provisions, un gros cache-nez autour du cou, des pantoufles charentaises aux pieds.

— Audiat ?

— Il s’est soûlé comme une bourrique dans toute une série de bistrots. Il est rentré à son hôtel, rue Lepic, vers une heure du matin, et le gardien de nuit a dû l’aider à monter l’escalier.

— Quant à Cageot, il est chez lui, je suppose ?

En sortant de la Chope-du-Pont-Neuf, Maigret avait l’impression de voir ses personnages éparpillés là-haut autour du Sacré-Cœur qui émergeait, tout blanc, de la buée de Paris.

Dix minutes durant, il donna des instructions à Lucas, à voix basse, et il murmura enfin en lui serrant la main :

— Tu as bien compris ? Tu es sûr qu’il ne te faudra pas plus d’une demi-heure ?

— Vous êtes armé, patron ?

Maigret donna une tape sur la poche de son pantalon et héla un taxi qui passait.

— Rue des Batignolles !

La porte de la loge était ouverte, et l’employé du gaz se trouvait dans l’entrebâillement.

— Qu’est-ce que c’est ? fit une voix pointue au moment où Maigret passait.

— M. Cageot, s’il vous plaît.

— À l’entresol à gauche.

Maigret s’arrêta sur le paillasson effiloché, reprit sa respiration, tira l’énorme cordon de passementerie, qui ne déclencha, à l’intérieur de l’appartement, qu’une sonnerie de jouet d’enfant.

Ici aussi un balai se promenait sur le plancher et parfois heurtait un meuble. Une voix de femme dit :

— Vous allez ouvrir ?

Puis il y eut des pas feutrés. Une chaîne fut tirée. La clé tourna dans la serrure et le battant s’écarta, mais de dix centimètres à peine.

C’était Cageot qui avait ouvert la porte, un Cageot en robe de chambre, les cheveux en désordre, les sourcils plus broussailleux que jamais. Il ne s’étonna pas. D’une voix maussade, il prononça en regardant Maigret dans les yeux :

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Entrer, d’abord.

— Vous êtes ici officiellement, avec un mandat régulier ?

— Non.

Cageot voulut refermer l’huis, mais le commissaire avait avancé son pied, qui empêcha le battant de bouger.

— Vous croyez qu’il ne vaut pas mieux que nous causions ? disait-il en même temps.

Cageot se rendit compte qu’il ne parviendrait pas à refermer sa porte, et son regard s’alourdit.

— Je pourrais appeler la police…

— Bien entendu ! Seulement, je pense que cela serait sans utilité et qu’une conversation à nous deux est préférable.

Derrière le Notaire, une femme de ménage vêtue de noir avait interrompu son travail pour écouter. Toutes les portes de l’appartement étaient ouvertes pour le nettoyage. On devinait, à droite du couloir, une pièce très claire qui donnait sur la rue.

— Entrez.

Cageot referma la porte à clé, remit la chaîne et dit au visiteur :

— À droite… Dans mon bureau…

C’était le logement type des petits bourgeois de Montmartre, avec une cuisine large d’un mètre à peine et s’éclairant sur la cour, un portemanteau de bambou dans l’entrée, une salle à manger sombre, des rideaux sombres aussi, des papiers peints à ramages fanés.

Ce que Cageot appelait son bureau, c’était la pièce qui était prévue par l’architecte pour faire l’office de salon et, seule de l’appartement, elle avait deux fenêtres qui laissaient pénétrer la lumière.

Le parquet ciré. Au milieu, il y avait un tapis usé, et trois fauteuils en tapisserie avaient pris la même teinte indéfinissable que ce tapis.

Les murs étaient grenat, encombrés d’une infinité de tableaux et de photographies à cadre doré. Et dans les coins, des guéridons, des étagères étaient chargés de bibelots sans valeur.

Près de la fenêtre trônait un bureau en acajou couvert d’un vieux maroquin, et c’est derrière ce bureau que Cageot s’installa, rangeant à sa droite quelques papiers qui traînaient à son arrivée.

— Marthe ! Vous m’apporterez mon chocolat ici.

Il ne regardait plus Maigret. Il attendait, préférant laisser à son interlocuteur le soin de l’offensive.

Quant au commissaire, assis sur une chaise trop frêle pour lui, il avait déboutonné son pardessus et bourrait une pipe, à petits coups de pouce, tout en regardant autour de lui.

Une fenêtre était ouverte, sans doute à cause du nettoyage, et quand la femme de ménage arriva avec le chocolat, Maigret demanda à Cageot :

— Cela ne vous fait rien qu’on ferme la fenêtre ? J’ai pris froid avant-hier et je ne voudrais pas aggraver mon rhume.

— Fermez la fenêtre, Marthe.

Marthe n’avait aucune sympathie pour le visiteur. Cela se voyait à la façon dont elle allait et venait autour de lui et dont, en passant, elle trouva moyen de lui heurter la jambe sans s’excuser.

L’odeur du chocolat était perceptible dans toute la pièce. Cageot tenait les mains sur le bol comme pour les réchauffer. Des voitures de livraison passaient dans la rue, et leur toit arrivait presque au niveau des fenêtres, ainsi que le toit argenté des autobus.

La femme de ménage sortit, mais laissa la porte entrouverte, et elle continua à s’agiter dans l’entrée.

— Je ne vous offre pas de chocolat, dit Cageot, car je suppose que vous avez pris votre petit déjeuner.

— Je l’ai pris, oui. Par contre, si vous aviez un verre de vin blanc…

Tout comptait, les moindres mots, et Cageot fronça les sourcils, se demandant pourquoi son visiteur réclamait à boire.

Maigret comprit, sourit.

— J’ai l’habitude de travailler dehors. L’hiver, il fait froid. L’été, il fait chaud. Dans un cas comme dans l’autre, n’est-ce pas ? on est tenté de boire…

— Marthe, apportez du vin blanc et un verre.

— De l’ordinaire ?

— C’est cela. Je préfère l’ordinaire, répliqua Maigret.

Son chapeau melon était posé sur le bureau, à côté du téléphone. Cageot buvait son chocolat à petites gorgées sans quitter son compagnon des yeux.

Il était plus pâle le matin que le soir, ou plutôt sa peau était incolore, ses yeux du même gris terne que les cheveux et les sourcils. La tête longue, osseuse. Cageot était un de ces hommes qu’on ne peut pas imaginer autrement qu’entre deux âges. Il était difficile de croire qu’il eût jamais été un bébé, ou un gamin allant à l’école, ou encore un jeune homme amoureux. Il n’avait jamais dû tenir une femme dans ses bras, balbutier des mots tendres.

Par contre, ses mains velues, assez soignées, avaient toujours manié une plume. Les tiroirs du bureau devaient être bourrés de papiers de toutes sortes, de comptes, d’additions, de factures, de notes.

— Vous vous levez relativement tôt, remarqua Maigret après avoir regardé sa montre.

— Je ne dors pas plus de trois heures par nuit.

C’était bien cela ! On n’eût pu dire à quoi cela se sentait, mais cela se sentait.

— Alors, vous lisez ?

— Je lis, ou je travaille.

Ils s’accordaient l’un et l’autre un moment de répit. Sans s’être donné le mot, ils décidaient que la conversation sérieuse commencerait après que Marthe aurait servi le vin blanc.

Maigret ne voyait pas de bibliothèque, mais une petite table, près du bureau, supportait des livres reliés, le Code, les Dalloz, des ouvrages juridiques.

— Laissez-nous, Marthe, dit Cageot dès que le vin fut sur la table.

Et, comme elle gagnait la cuisine, il faillit la rappeler pour lui commander de fermer la porte, mais il se ravisa.

— Je vous laisse vous servir vous-même.

Quant à lui, le plus naturellement du monde, il ouvrait un tiroir du bureau, y prenait un revolver automatique qu’il posait à portée de sa main. Cela n’avait pas même l’air d’une provocation. Il agissait comme si ce geste eût été depuis toujours dans les usages, puis il repoussa la tasse vide, s’accouda aux bras de son fauteuil.

— J’écoute votre proposition, prononça-t-il alors de l’air d’un homme d’affaires qui reçoit un client.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai une proposition à vous faire ?

— Pourquoi seriez-vous ici ? Vous n’appartenez plus à la police. Donc, vous ne venez pas m’arrêter. Vous ne venez même pas m’interroger puisque vous n’êtes plus assermenté et que tout ce que vous pourriez raconter ensuite serait sans valeur.

Maigret approuva d’un sourire, tout en allumant sa pipe qu’il avait laissée s’éteindre.

— D’autre part, votre neveu est dans le bain jusqu’au cou, et vous ne voyez aucun moyen de l’en tirer.

Maigret avait posé sa boîte d’allumettes sur le bord de son chapeau et trois fois en quelques instants il dut la reprendre, car le tabac, trop serré sans doute, s’éteignait à tout coup.

— Donc, conclut Cageot, vous avez besoin de moi et je n’ai pas besoin de vous. À présent, je vous écoute.

Sa voix était aussi neutre, aussi terne que sa personne. Avec une pareille tête et une telle voix, il eût fait un président d’assises hallucinant.

— Soit ! décida Maigret en se levant et en esquissant quelques pas dans la pièce. Qu’est-ce que vous demandez pour tirer mon neveu d’embarras ?

— Moi ? Comment voulez-vous que je fasse ?

Maigret sourit, bon enfant.

— Allons ! pas de modestie. On peut toujours défaire ce qu’on a fait. Combien ?

Cageot resta un moment silencieux, à digérer cette proposition.

— Cela ne m’intéresse pas, dit-il enfin.

— Pourquoi ?

— Parce que je n’ai aucune raison de m’occuper de ce jeune homme. Il a fait ce qu’il a fallu pour aller en prison. Je ne le connais pas.

Maigret s’arrêtait de temps en temps, devant un portrait, ou devant la fenêtre, plongeait le regard dans la rue où les ménagères s’affairaient autour des petites charrettes.

— Par exemple, murmura-t-il doucement en rallumant sa pipe une fois de plus, si mon neveu était mis hors de cause, je n’aurais plus la moindre raison de m’occuper de cette affaire. Vous l’avez dit vous-même, je n’appartiens plus à la police. À parler franc, je vous avoue que je prendrais le premier train pour Orléans et que deux heures après je serais dans mon bachot à pêcher à la ligne.

— Vous ne buvez pas !

Maigret se versa un plein verre de vin blanc, qu’il vida d’une gorgée.

— Quant aux moyens que vous avez à votre disposition, reprit-il en s’asseyant et en posant les allumettes sur le bord du chapeau, ils sont nombreux. Audiat pourrait, à la seconde confrontation, être moins sûr de ses souvenirs et ne pas reconnaître formellement Philippe. Cela se voit tous les jours.

Cageot réfléchissait et, à son regard absent, Maigret devinait qu’il ne l’écoutait pas, ou à peine. Non ! Sa préoccupation devait être celle-ci : « Pourquoi diable est-il venu me trouver ? »

Et, dès lors, celle de Maigret fut d’éviter, coûte que coûte, de tourner son regard dans la direction du chapeau et du téléphone. Elle fut aussi d’avoir l’air de penser ce qu’il disait. Or, en réalité, il parlait à vide. Pour se donner de l’éloquence, il s’emplit un nouveau verre et le but.

— Il est bon ?

— Le vin ? Pas mauvais. Je sais ce que vous allez me répondre. Philippe hors de cause, l’enquête reprend de plus belle, puisque la justice ne tient plus le coupable.

Cageot leva imperceptiblement la tête, intéressé par ce qui allait suivre. Au même moment, Maigret devenait rouge d’un seul coup, en même temps qu’une pensée lui traversait l’esprit.

Qu’arriverait-il si, à la même heure, Eugène ou le Marseillais, ou le patron du tabac, ou n’importe qui demandait Cageot au téléphone ? C’était une chose possible, probable même. La veille, toute la bande avait été réunie au quai des Orfèvres et une certaine inquiétude devait régner parmi ses membres. Cageot n’avait-il pas l’habitude de donner des ordres et de recevoir les rapports par téléphone ?

Or, pour l’instant, le téléphone ne marchait pas, il devait rester dans le même état pendant de longues minutes encore, peut-être pendant une heure.

Si Maigret avait posé son chapeau sur la table, c’était de telle sorte que de sa place son interlocuteur ne pût voir la base de l’appareil. Et en prenant sans cesse ses allumettes, il avait glissé sous le récepteur la rondelle de bois qu’il avait sciée le matin.

Autrement dit, la communication était déclenchée. Au central, Lucas était posté, avec deux sténographes qui serviraient de témoins.

— Je comprends qu’il vous faille un coupable, murmurait le commissaire en regardant le tapis.

Ce qui arriverait si Eugène, par exemple, essayait de téléphoner et n’y parvenait pas, c’est que, inquiet, il accourrait. Tout serait à recommencer ! Ou plutôt il serait impossible de recommencer, car Cageot serait désormais sur ses gardes.

— Ce n’est pas difficile, poursuivit-il en essayant de conserver une voix égale. Il suffit de trouver un garçon quelconque qui ait à peu près la même silhouette que mon neveu. Cela ne manque pas à Montmartre. Et il y en a bien un que vous ne seriez pas fâché de voir au bagne. Deux ou trois témoignages par là-dessus et le tour est joué.

Maigret avait si chaud qu’il retira son pardessus et le posa sur le dossier d’une chaise.

— Vous permettez ?

— On pourrait ouvrir la fenêtre, proposa Cageot.

Que non ! Avec le bruit de la rue, les sténographes, au bout du fil, risquaient de perdre la moitié des phrases prononcées.

— Je vous remercie. Mais c’est ma grippe qui me met en nage. L’air me ferait plus de mal. Je disais…

Il vida son verre, bourra une nouvelle pipe.

— La fumée ne vous gêne pas, au moins ?

On entendait toujours la femme de ménage aller et venir, mais parfois le bruit s’arrêtait, et Marthe devait tendre l’oreille.

— Il suffirait de me citer un chiffre. Qu’est-ce que ça vaut, une opération comme celle-là ?

— Le bagne ! riposta carrément Cageot.

Maigret sourit, mais il commençait à douter de son système.

— Dans ce cas, si vous avez peur, proposez une autre combinaison.

— Je n’ai pas besoin de combinaison, moi ! La police a arrêté un homme qu’elle accuse d’avoir tué Pepito. Cela la regarde. De temps en temps, c’est vrai, je rends de menus services à la rue des Saussaies et au quai des Orfèvres. En l’occurrence, je ne sais rien. Je regrette pour vous…

Il manifestait l’intention de se lever pour mettre fin à l’entretien. Il fallait trouver autre chose immédiatement.

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