Шарль Бодлер - Цветы зла
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XXXIV
LE CHAT
Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux; Retiens les griffes de ta patte,Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux, Mêlés de métal et d'agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir Ta tête et ton dos élastique,Et que ma main s'enivre du plaisir De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard, Comme le tien, aimable bête,Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusques à la tête,Un air subtil, un dangereux parfum, Nagent autour de son corps brun.
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XXXV
DUELLUM
Deux guerriers ont couru l'un sur l'autre; leurs armesOnt éclaboussé l'air de lueurs et de sang.Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmesD'une jeunesse en proie à l'amour vagissant.
Les glaives sont brisés! Comme notre jeunesse,Ma chère! Mais les dents, les ongles acérés,Vengent bientôt l'épée et la dague traîtresse.— Ô fureur des cœurs mûrs par l'amour ulcérés!
Dans le ravin hanté des chats-pards et des oncesNos héros, s'étreignant méchamment, ont roulé,Et leur peau fleurira l'aridité des ronces.
— Ce gouffre, c'est l'enfer, de nos amis peuplé!Roulons-y sans remords, amazone inhumaine,Afin d'éterniser l'ardeur de notre haine!
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XXXVI
LE BALCON
Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,Ô toi, tous mes plaisirs! Ô toi, tous mes devoirs!Tu te rappelleras la beauté des caresses,La douceur du foyer et le charme des soirs,Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses!
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.Que ton sein m'était doux! Que ton cœur m'était bon!Nous avons dit souvent d'impérissables chosesLes soirs illuminés par l'ardeur du charbon.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!Que l'espace est profond! Que le cœur est puissant!En me penchant vers toi, reine des adorées,Je croyais respirer le parfum de ton sang.Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,Et je buvais ton souffle, ô douceur! Ô poison!Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,Et revis mon passé blotti dans tes genoux.Car à quoi bon chercher tes beautés langoureusesAilleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton cœur si doux?Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses!
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,Comme montent au ciel les soleils rajeunisAprès s'être lavés au fond des mers profondes?— Ô serments! Ô parfums! Ô baisers infinis!
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XXXVII
LE POSSÉDÉ
Le soleil s'est couvert d'un crêpe. Comme lui,Ô lune de ma vie! Emmitoufle-toi d'ombre;Dors ou fume à ton gré; sois muette, sois sombre,Et plonge tout entière au gouffre de l'ennui;
Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd'hui,Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,Te pavaner aux lieux que la folie encombre,C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton étui!
Allume ta prunelle à la flamme des lustres!Allume le désir dans les regards des rustres!Tout de toi m'est plaisir, morbide ou pétulant;
Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;Il n'est pas une fibre en tout mon corps tremblantQui ne crie: Ô mon cher Belzébuth, je t'adore!
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XXXVIII
UN FANTÔME
I LES TÉNÈBRESDans les caveaux d'insondable tristesseOù le destin m'a déjà relégué;Où jamais n'entre un rayon rose et gai;Où seul, avec la nuit, maussade hôtesse,
Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueurCondamne à peindre, hélas! Sur les ténèbres;Où, cuisinier aux appétits funèbres,Je fais bouillir et je mange mon cœur,
Par instants brille, et s'allonge, et s'étaleUn spectre fait de grâce et de splendeur.À sa rêveuse allure orientale,
Quand il atteint sa totale grandeur,Je reconnais ma belle visiteuse:C'est elle! Noire et pourtant lumineuse.
II LE PARFUMLecteur, as-tu quelquefois respiréAvec ivresse et lente gourmandiseCe grain d'encens qui remplit une église,Ou d'un sachet le musc invétéré?
Charme profond, magique, dont nous griseDans le présent le passé restauré!Ainsi l'amant sur un corps adoréDu souvenir cueille la fleur exquise.
De ses cheveux élastiques et lourds,Vivant sachet, encensoir de l'alcôve,Une senteur montait, sauvage et fauve,
Et des habits, mousseline ou velours,Tout imprégnés de sa jeunesse pure,Se dégageait un parfum de fourrure.
III LE CADREComme un beau cadre ajoute à la peinture,Bien qu'elle soit d'un pinceau très-vanté,Je ne sais quoi d'étrange et d'enchantéEn l'isolant de l'immense nature,
Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure,S'adaptaient juste à sa rare beauté;Rien n'offusquait sa parfaite clarté,Et tout semblait lui servir de bordure.
Même on eût dit parfois qu'elle croyaitQue tout voulait l'aimer; elle noyaitSa nudité voluptueusement
Dans les baisers du satin et du linge,Et, lente ou brusque, à chaque mouvementMontrait la grâce enfantine du singe.
IV LE PORTRAITLa maladie et la mort font des cendresDe tout le feu qui pour nous flamboya.De ces grands yeux si fervents et si tendres,De cette bouche où mon cœur se noya,
De ces baisers puissants comme un dictame,De ces transports plus vifs que des rayons,Que reste-t-il? C'est affreux, ô mon âme!Rien qu'un dessin fort pâle, aux trois crayons,
Qui, comme moi, meurt dans la solitude,Et que le temps, injurieux vieillard,Chaque jour frotte avec son aile rude…
Noir assassin de la vie et de l'art,Tu ne tueras jamais dans ma mémoireCelle qui fut mon plaisir et ma gloire!
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XXXIX
Je te donne ces vers afin que si mon nomAborde heureusement aux époques lointaines,Et fait rêver un soir les cervelles humaines,Vaisseau favorisé par un grand aquilon,
Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,Et par un fraternel et mystique chaînonReste comme pendue à mes rimes hautaines;
Être maudit à qui, de l'abîme profondJusqu'au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond!— Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,
Foules d'un pied léger et d'un regard sereinLes stupides mortels qui t'ont jugée amère,Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain!
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XL
SEMPER EADEM
"D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrangeMontant comme la mer sur le roc noir et nu?"— Quand notre cœur a fait une fois sa vendange,Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu,
Une douleur très-simple et non mystérieuse,Et, comme votre joie, éclatante pour tous.Cessez donc de chercher, ô belle curieuse!Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!
Taisez-vous, ignorante! Âme toujours ravie!Bouche au rire enfantin! Plus encor que la vie,La mort nous tient souvent par des liens subtils.
Laissez, laissez mon cœur s'enivrer d'un mensonge,Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songeEt sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils!
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XLI
TOUT ENTIÈRE
Le Démon, dans ma chambre haute,Ce matin est venu me voir,Et, tâchant à me prendre en faute,Me dit:"Je voudrais bien savoir,
Parmi toutes les belles chosesDont est fait son enchantement,Parmi les objets noirs ou rosesQui composent son corps charmant,
Quel est le plus doux."— Ô mon âme!Tu répondis à l'Abhorré:"Puisqu'en Elle tout est dictame,Rien ne peut être préféré.
Lorsque tout me ravit, j'ignoreSi quelque chose me séduit.Elle éblouit comme l'AuroreEt console comme la Nuit;
Et l'harmonie est trop exquise,Qui gouverne tout son beau corps,Pour que l'impuissante analyseEn note les nombreux accords.
Ô métamorphose mystiqueDe tous mes sens fondus en un!Son haleine fait la musique,Comme sa voix fait le parfum!"
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XLII
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri,À la très-belle, à la très-bonne, à la très-chère,Dont le regard divin t'a soudain refleuri?
— Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges:Rien ne vaut la douceur de son autorité;Sa chair spirituelle a le parfum des anges,Et son œil nous revêt d'un habit de clarté.
Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,Que ce soit dans la rue et dans la multitude,Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.
Parfois il parle et dit:"Je suis belle, et j'ordonneQue pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau;Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone."
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XLIII
LE FLAMBEAU VIVANT
Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,Qu'un Ange très-savant a sans doute aimantés;Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.
Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,Ils conduisent mes pas dans la route du Beau;Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave;Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.
Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystiqueQu'ont les cierges brûlant en plein jour; le soleilRougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique;
Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil;Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme!
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