Шарль Бодлер - Цветы зла
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IV
CORRESPONDANCES
La Nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles;L'homme y passe à travers des forêts de symbolesQui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondentDans une ténébreuse et profonde unité,Vaste comme la nuit et comme la clarté,Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,— Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encensQui chantent les transports de l'esprit et des sens.
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V
J'aime le souvenir de ces époques nues,Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues.Alors l'homme et la femme en leur agilitéJouissaient sans mensonge et sans anxiété,Et, le ciel amoureux leur caressant l'échine,Exerçaient la santé de leur noble machine.Cybèle alors, fertile en produits généreux,Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux,Mais, louve au cœur gonflé de tendresses communes,Abreuvait l'univers à ses tétines brunes.L'homme, élégant, robuste et fort, avait le droitD'être fier des beautés qui le nommaient leur roi;Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures,Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures!
Le poète aujourd'hui, quand il veut concevoirCes natives grandeurs, aux lieux où se font voirLa nudité de l'homme et celle de la femme,Sent un froid ténébreux envelopper son âmeDevant ce noir tableau plein d'épouvantement.Ô monstruosités pleurant leur vêtement!Ô ridicules troncs! Torses dignes des masques!Ô pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques,Que le dieu de l'utile, implacable et serein,Enfants, emmaillota dans ses langes d'airain!Et vous, femmes, hélas! Pâles comme des cierges,Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges,Du vice maternel traînant l'héréditéEt toutes les hideurs de la fécondité!
Nous avons, il est vrai, nations corrompues,Aux peuples anciens des beautés inconnues:Des visages rongés par les chancres du cœur,Et comme qui dirait des beautés de langueur;Mais ces inventions de nos muses tardivesN'empêcheront jamais les races maladivesDe rendre à la jeunesse un hommage profond,- À la sainte jeunesse, à l'air simple, au doux front,À œil limpide et clair ainsi qu'une eau courante,Et qui va répandant sur tout, insoucianteComme l'azur du ciel, les oiseaux et les fleurs,Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs!
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VI
LES PHARES
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer;
Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,Où des anges charmants, avec un doux sourisTout chargé de mystère, apparaissent à l'ombreDes glaciers et des pins qui ferment leur pays;
Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,Et d'un grand crucifix décoré seulement,Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement;
Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des herculesSe mêler à des Christs, et se lever tout droitsDes fantômes puissants qui dans les crépusculesDéchirent leur suaire en étirant leurs doigts;
Colères de boxeur, impudences de faune,Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,Grand cœur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,Puget, mélancolique empereur des forçats;
Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,Comme des papillons, errent en flamboyant,Décors frais et légers éclairés par des lustresQui versent la folie à ce bal tournoyant;
Goya, cauchemar plein de choses inconnues,De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas;
Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,Ombragé par un bois de sapins toujours vert,Où sous un ciel chagrin, des fanfares étrangesPassent, comme un soupir étouffé de Weber;
Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,Sont un écho redit par mille labyrinthes;C'est pour les cœurs mortels un divin opium!
C'est un cri répété par mille sentinelles,Un ordre renvoyé par mille porte-voix;C'est un phare allumé sur mille citadelles,Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois!
Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignageQue nous puissions donner de notre dignitéQue cet ardent sanglot qui roule d'âge en âgeEt vient mourir au bord de votre éternité!
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VII
LA MUSE MALADE
Ma pauvre muse, hélas! Qu'as-tu donc ce matin?Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teintLa folie et l'horreur, froides et taciturnes.
Le succube verdâtre et le rose lutinT'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes?Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin,T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes?
Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santéTon sein de pensers forts fût toujours fréquenté,Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques
Comme les sons nombreux des syllabes antiques,Où règnent tour à tour le père des chansons,Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.
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VIII
LA MUSE VÉNALE
Ô muse de mon cœur, amante des palais,Auras-tu quand janvier lâchera ses Borées,Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbréesAux nocturnes rayons qui percent les volets?Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir,Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appasEt ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
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IX
LE MAUVAIS MOINE
Les cloîtres anciens sur leurs grandes muraillesÉtalaient en tableaux la sainte vérité,Dont l'effet, réchauffant les pieuses entrailles,Tempérait la froideur de leur austérité.
En ces temps où du Christ florissaient les semailles,Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité,Prenant pour atelier le champ des funérailles,Glorifiait la mort avec simplicité.
— Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,Depuis l'éternité je parcours et j'habite;Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux.
Ô moine fainéant! Quand saurai-je donc faireDu spectacle vivant de ma triste misèreLe travail de mes mains et l'amour de mes yeux?
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X
L'ENNEMI
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,Traversé çà et là par de brillants soleils;Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,Et qu'il faut employer la pelle et les râteauxPour rassembler à neuf les terres inondées,Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêveTrouveront dans ce sol lavé comme une grèveLe mystique aliment qui ferait leur vigueur?
- Ô douleur! Ô douleur! Le temps mange la vie,Et l'obscur ennemi qui nous ronge le cœurDu sang que nous perdons croît et se fortifie!
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XI
LE GUIGNON
Pour soulever un poids si lourd,Sisyphe, il faudrait ton courage!Bien qu'on ait du cœur à l'ouvrage,L'art est long et le temps est court.
Loin des sépultures célèbres,Vers un cimetière isolé,Mon cœur, comme un tambour voilé,Va battant des marches funèbres.
— Maint joyau dort enseveliDans les ténèbres et l'oubli,Bien loin des pioches et des sondes;
Mainte fleur épanche à regretSon parfum doux comme un secretDans les solitudes profondes.
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XII
LA VIE ANTÉRIEURE
J'ai longtemps habité sous de vastes portiquesQue les soleils marins teignaient de mille feux,Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
Les houles, en roulant les images des cieux,Mêlaient d'une façon solennelle et mystiqueLes tout-puissants accords de leur riche musiqueAux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeursEt des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,Et dont l'unique soin était d'approfondirLe secret douloureux qui me faisait languir.
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XIII
BOHÉMIENS EN VOYAGE
La tribu prophétique aux prunelles ardentesHier s'est mise en route, emportant ses petitsSur son dos, ou livrant à leurs fiers appétitsLe trésor toujours prêt des mamelles pendantes.
Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantesLe long des chariots où les leurs sont blottis,Promenant sur le ciel des yeux appesantisPar le morne regret des chimères absentes.
Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,Les regardant passer, redouble sa chanson;Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,
Fait couler le rocher et fleurir le désertDevant ces voyageurs, pour lesquels est ouvertL'empire familier des ténèbres futures.
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XIV
L'HOMME ET LA MER
Homme libre, toujours tu chériras la mer!La mer est ton miroir; tu contemples ton âmeDans le déroulement infini de sa lame,Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image;Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cœurSe distrait quelquefois de sa propre rumeurAu bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets:Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes,Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des siècles innombrablesQue vous vous combattez sans pitié ni remord,Tellement vous aimez le carnage et la mort,Ô lutteurs éternels, ô frères implacables!
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