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Simenon, Georges - Liberty Bar

Читать бесплатно Simenon, Georges - Liberty Bar. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Et les deux femmes ?

— On n’a rien décidé… Peut-être le fils préférerait-il…

— À quel hôtel dites-vous qu’il est descendu ?

— Au Provençal. Vous voulez le voir ?

— À demain ! dit Maigret. Je suppose que vous serez à l’enterrement ?

Il était d’une drôle d’humeur. À la fois joyeuse et macabre ! Un taxi le conduisit au Provençal, où il fut reçu par un portier, puis par un autre employé à galons, enfin par un maigre jeune homme en noir, embusqué derrière un bureau.

— M. Brown ?… Je vais voir s’il est visible… Voulez-vous me dire votre nom ?…

Et des sonneries. Des allées et venues du chasseur. Cela dura au moins cinq minutes, après quoi l’on vint chercher Maigret pour le conduire à travers d’interminables couloirs vers une porte marquée du numéro 37. Derrière la porte, un cliquetis de machine à écrire. Une voix excédée :

— Entrez !

Maigret se trouva en face de Brown fils, celui des trois chargé du département Laines-Europe.

Pas d’âge. Peut-être trente ans, mais peut-être aussi quarante. Un grand garçon maigre, aux traits déjà burinés, rasé de près, vêtu d’un complet correct, une perle piquée à sa cravate noire rayée de blanc.

Pas une ombre de désordre ni d’imprévu. Pas un cheveu hors de l’alignement. Et pas un tressaillement à la vue du visiteur.

— Vous permettez un instant ?… Asseyez-vous…

Une dactylo était installée devant la table Louis XV. Un secrétaire parlait anglais au téléphone.

Et Brown fils achevait de dicter un câble, en anglais, où il était question de dommages-intérêts à cause d’une grève de dockers.

Le secrétaire appela :

— Monsieur Brown…

Et il lui tendit le récepteur du téléphone.

— Allô !… Allô !… Yes !…

Il écouta longtemps, sans un mot d’interruption, trancha enfin, au moment de raccrocher :

— No !

Il appuya sur un timbre électrique, demanda à Maigret :

— Un porto ?

— Merci.

Et, comme le maître d’hôtel se présentait, il commanda néanmoins :

— Un porto !

Il faisait tout cela sans fièvre, mais d’un air soucieux, comme si, de ses moindres faits et gestes, du plus petit tressaillement de ses traits, eussent dépendu les destinées du monde.

— Tapez dans ma chambre ! dit-il à la dactylo en désignant la pièce voisine.

Et, à son secrétaire :

— Demandez le juge d’instruction…

Enfin, il s’assit, soupira en se croisant les jambes :

— Je suis fatigué. C’est vous qui devez faire l’enquête ?

Et il poussa vers Maigret le porto que le domestique apportait.

— C’est une ridicule histoire, n’est-ce pas ?

— Pas si ridicule que ça ! grogna Maigret de son air le moins aimable.

— Je veux dire ennuyeuse…

— Évidemment ! C’est toujours ennuyeux de recevoir un coup de couteau dans le dos et d’en mourir…

Le jeune homme se leva, impatienté, ouvrit la porte de la chambre voisine, fit mine de donner des ordres en anglais, revint vers Maigret, à qui il tendit un étui à cigarettes.

— Merci ! Rien que la pipe…

L’autre prit sur un guéridon une boîte de tabac anglais.

— Du gris ! fit Maigret en tirant son paquet de sa poche.

Brown arpentait la pièce à grands pas.

— Vous savez, n’est-ce pas ? que mon père avait une vie très… scandaleuse…

— Il avait une maîtresse !

— Et autre chose ! Beaucoup d’autres choses ! Vous avez besoin de savoir, autrement vous risquez de faire… comment dites-vous ?… gaffe.

Le téléphone l’interrompit. Le secrétaire accourut, répondit cette fois en allemand, tandis que Brown lui adressait des signes négatifs. Cela dura longtemps. Brown s’impatientait. Et comme le secrétaire n’en finissait pas assez vite, le jeune homme vint lui prendre le récepteur des mains et raccrocha.

— Mon père est venu en France, il y a longtemps, sans ma mère… Et il nous a presque ruinés…

Brown ne tenait pas en place. Tout en parlant, il avait refermé la porte de sa chambre sur le secrétaire. Il toucha du doigt le verre de porto.

— Vous ne buvez pas ?

— Merci !

Il haussa les épaules avec impatience.

— On a nommé un conseil judiciaire… Ma mère a été très malheureuse… Elle a beaucoup travaillé…

— Ah ! c’est votre mère qui a remonté l’affaire ?

— Avec mon oncle, oui !

— Le frère de votre mère, évidemment !

— Yes ! Mon père avait perdu… dignité… oui, la dignité… Alors, il vaut mieux qu’on ne parle pas trop… Vous comprenez ?…

Maigret ne l’avait pas encore quitté du regard, et cela semblait mettre le jeune homme hors de lui. Surtout que ce regard lourd était impossible à déchiffrer. Peut-être ne voulait-il rien dire ? Peut-être au contraire était-il terriblement menaçant ?

— Une question, monsieur Brown – monsieur Harry Brown, à ce que je vois d’après vos bagages. Où étiez-vous mercredi dernier ?

Il fallut attendre que le jeune homme eût parcouru par deux fois la pièce dans toute la longueur.

— Qu’est-ce que vous croyez !

— Je ne crois rien du tout. Je vous demande seulement où vous étiez.

— Cela a de l’importance ?

— Peut-être que oui, peut-être que non !

— J’étais à Marseille, à cause de l’arrivée du Glasco ! Un bateau avec de la laine de chez nous, qui est maintenant à Amsterdam et qui ne peut pas décharger à cause de la grève des dockers…

— Vous n’avez pas vu votre père ?

— Je n’ai pas vu…

— Une autre question, la dernière. Qui faisait une rente à votre père ? Et de combien était-elle ?

— Moi ! Cinq mille francs par mois… Vous voulez raconter ça aux journaux ?

On entendait toujours la machine à écrire, sa sonnerie au bout de chaque ligne, le heurt du chariot.

Maigret se leva, prit son chapeau.

— Je vous remercie !

Brown en était sidéré.

— C’est tout ?

— C’est tout… Je vous remercie…

Le téléphone sonnait encore, mais le jeune homme ne pensait pas à décrocher. Il regardait, comme sans y croire, Maigret se diriger vers la porte.

Alors, désespéré, il saisit une enveloppe sur la table :

— J’avais préparé, pour les œuvres de la police…

Maigret était déjà dans le corridor. Un peu plus tard, il descendait l’escalier somptueux, traversait le hall, précédé d’un larbin en livrée.

À neuf heures, il dînait, tout seul, dans la salle à manger de l’Hôtel Bacon, tout en consultant l’annuaire des téléphones. Il demanda coup sur coup trois numéros de Cannes. Au troisième seulement, on lui répondit :

— Oui, c’est à côté…

— Parfait ! Voulez-vous être assez aimable pour dire à Mme Jaja que l’enterrement aura lieu demain à sept heures à Antibes… Oui, l’enterrement… Elle comprendra…

Il marcha un peu dans la pièce. De la fenêtre, il apercevait, à cinq cents mètres, la villa blanche de Brown, où deux fenêtres étaient éclairées.

Est-ce qu’il avait le courage ?…

Non ! Il avait surtout sommeil !

— Ils ont le téléphone, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur le commissaire ! Voulez-vous que j’appelle ?

Brave petite bonniche en bonnet blanc, qui faisait penser à une souris trottant dans la pièce !

— Monsieur… J’ai une de ces dames à l’appareil…

Maigret prit le récepteur.

— Allô !… Ici, commissaire… Oui !… Je n’ai pas pu aller vous voir… L’enterrement est à sept heures, demain matin… Comment ?… Non ! Pas ce soir… J’ai du travail… Bonsoir, madame…

Ça devait être la vieille. Et sans doute courait-elle, affolée, annoncer la nouvelle à sa fille. Puis toutes les deux discutaient pour savoir ce qu’elles avaient à faire.

La patronne de l’Hôtel Bacon était entrée dans la pièce, souriante, mielleuse.

— Est-ce que la bouillabaisse vous a plu ?… Je l’ai faite exprès pour vous, étant donné que…

La bouillabaisse ? Maigret cherchait dans ses souvenirs.

— Ah ! oui ! Excellente ! Fameuse ! s’empressa-t-il de dire avec un sourire poli.

Mais il ne s’en souvenait pas. C’était noyé dans l’ombre des choses inutiles, pêle-mêle avec Boutigues, l’autobus, le garage…

En fait de détails culinaires, il n’y en avait qu’un qui surnageât : le gigot de chez Jaja… Avec de la salade fleurant l’ail…

Pardon ! il y en avait un autre : l’odeur sucrée du porto qu’il n’avait pas bu, au Provençal, et qui se mariait avec l’odeur tout aussi fade du cosmétique de Brown fils.

— Vous me ferez monter une bouteille de Vittel ! dit-il en s’engageant dans l’escalier.

V

L’enterrement de William Brown

Le soleil était déjà capiteux, et si, dans les rues de la ville, tous les volets étaient clos, les trottoirs déserts, la vie du marché, elle, avait commencé. Une vie légère, nonchalante de gens qui se lèvent tôt et qui ont du temps devant eux, l’emploient à criailler en italien et en français plutôt qu’à s’agiter.

Or, la mairie dresse sa façade jaune et son double perron au beau milieu du marché. La morgue est au sous-sol.

C’est là, à sept heures moins dix, qu’un corbillard s’arrêta, tout noir, saugrenu, au milieu des fleurs et des légumes. Maigret arriva presque en même temps et vit accourir Boutigues qui, à peine levé de dix minutes, avait omis de boutonner son gilet.

— Nous avons le temps de boire quelque chose… Il n’y a encore personne…

Et il poussait la porte d’un petit bar, commandait du rhum.

— Vous savez que ça a été très compliqué… Le fils n’avait pas pensé à nous dire le prix qu’il voulait mettre pour le cercueil… Hier soir, je lui ai téléphoné… Il m’a répondu que ça lui était égal, mais qu’il fallait de la bonne qualité… Or, il n’y avait plus un seul cercueil en chêne massif à Antibes… On en a apporté un de Cannes, à onze heures du soir… Alors, j’ai pensé à la cérémonie… Est-ce qu’il fallait passer par l’église, oui ou non ?… J’ai retéléphoné au Provençal, où l’on m’a dit que Brown était couché… J’ai fait pour le mieux… Regardez !…

Il désigna à cent mètres de là, sur la place du marché, le portail tendu de noir d’une église.

Maigret préféra ne rien dire, mais le fils Brown lui donnait plutôt l’impression d’un protestant que d’un catholique.

Le bar, à l’angle d’une petite rue, avait une porte sur chaque façade. Au moment où Maigret et Boutigues sortaient d’un côté, un homme entrait de l’autre, et le commissaire croisa son regard.

C’était Joseph, le garçon de café de Cannes, qui se demanda s’il devait saluer ou non et qui se décida pour un geste vague.

Maigret supposa que Joseph avait amené Jaja et Sylvie à Antibes. Il ne se trompait pas. Elles marchaient devant lui, se dirigeant vers le corbillard. Jaja était essoufflée. Et l’autre, qui semblait avoir peur d’arriver trop tard, l’entraînait.

Sylvie portait son petit tailleur bleu qui lui donnait un air de jeune fille comme il faut. Quant à Jaja, elle s’était déshabituée de marcher. Peut-être aussi avait-elle les pieds sensibles, ou les jambes enflées. Elle était vêtue de soie noire très brillante.

N’avaient-elles pas dû se lever toutes les deux vers cinq heures et demie du matin pour prendre le premier autocar ? Un événement unique, sans doute, au Liberty-Bar !

Boutigues questionnait :

— Qui est-ce ?

— Je ne sais pas… fit vaguement Maigret.

Mais au même moment, les deux femmes s’arrêtaient, se retournaient, car elles étaient arrivées près du corbillard. Et comme Jaja apercevait le commissaire, elle se précipita vers lui.

— Nous ne sommes pas en retard ?… Où est-il…

Sylvie avait les yeux cernés, et toujours cette même réserve hostile à l’égard de Maigret.

— Joseph vous a accompagnées ?

Elle fut sur le point de mentir.

— Qui vous a dit ça ?

Boutigues se tenait à l’écart. Maigret apercevait un taxi qui, ne pouvant traverser la foule du marché, s’arrêtait à un coin de rue.

Les deux femmes qui en sortirent firent sensation, car elles étaient en grand deuil, avec voile de crêpe touchant presque le sol.

C’était inattendu, dans ce soleil, dans ce bourdonnement de vie joyeuse. Maigret murmura à Jaja :

— Vous permettez…

Boutigues était inquiet. Il demandait au croque-mort, qui voulait aller chercher le cercueil, de patienter un peu.

— Nous ne sommes pas en retard ?… demandait la vieille. C’est ce taxi qui ne venait pas nous prendre…

Et, tout de suite, son regard repérait Jaja et Sylvie.

— Qui est-ce ?

— Je ne sais pas.

— Je suppose qu’elles ne vont pas se mêler à…

Encore un taxi, dont la portière s’ouvrit avant l’arrêt complet et dont descendit un Harry Brown impeccable, tout en noir, les cheveux blonds bien peignés, le teint frais. Son secrétaire, en noir aussi, l’accompagnait, portant une couronne de fleurs naturelles.

Au même moment, Maigret remarqua que Sylvie avait disparu. Il la retrouva au milieu du marché, près des corbeilles d’un fleuriste, et, quand elle revint, elle portait un énorme bouquet de violettes de Nice.

Est-ce ce qui donna aux deux femmes en deuil l’idée de s’éloigner à leur tour ? On devinait qu’elles discutaient en s’approchant du marchand. La vieille compta des pièces de monnaie et la jeune choisit des mimosas.

Cependant, Brown s’était arrêté à quelques mètres du char funèbre, se contentant d’esquisser un salut à l’adresse de Maigret et de Boutigues.

— Il vaudrait mieux le prévenir de ce que j’ai arrangé pour l’absoute… soupira celui-ci.

La partie du marché la plus proche avait ralenti son rythme, et les gens suivaient le spectacle des yeux. Mais, à vingt mètres déjà, c’était le bruissement habituel, les cris, les rires et toutes ces fleurs, ces fruits, ces légumes dans le soleil, et l’odeur d’ail, de mimosa.

Quatre employés portaient le cercueil qui était énorme, garni d’une profusion d’ornements de bronze. Boutigues revenait.

— Je crois que ça lui est égal. Il a haussé les épaules…

La foule s’écartait. Les chevaux se mettaient en marche.

Harry Brown, tout raide, le chapeau à la main, s’avançait en regardant la pointe de ses souliers vernis.

Les quatre femmes hésitèrent. Il y eut des regards échangés. Puis, comme la foule se refermait, elles se trouvèrent sans le vouloir sur un seul rang, juste derrière le fils Brown et son secrétaire.

L’église, dont les portes étaient larges ouvertes, était rigoureusement vide, d’une fraîcheur qui ravissait.

Brown attendait au haut du perron qu’on eût retiré la bière du corbillard. Il avait l’habitude des cérémonies. Cela ne le gênait pas d’être le point de mire de tous les regards.

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