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Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien

Читать бесплатно Simenon, Georges - Le pendu de Saint-Pholien. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Le matin, il était inquiet. Son sourire manquait de spontanéité.

Quand le policier l’avait quitté, au contraire, c’était bien le petit brasseur d’affaires qui va, qui vient, qui s’agite, qui parle, s’extasie, se frotte aux grosses personnalités financières, conduit son auto, téléphone, jette des ordres à sa dactylo et offre des dîners fins, content et fier d’être lui.

De l’autre côté, un vagabond anémique, aux vêtements usés, aux semelles trouées, qui avait acheté des petits pains aux saucisses sans prévoir qu’il ne les mangerait pas !

Van Damme devait avoir trouvé un autre compagnon pour l’apéritif du soir, dans une même atmosphère de musique viennoise et de bière.

A six heures, un casier métallique roulerait sans bruit, se refermerait sur le corps nu du faux Jeunet, et le monte-charge l’acheminerait vers la glacière dont il occuperait jusqu’au lendemain un compartiment numéroté.

Maigret se dirigeait vers la Polizei Praesidium. Des agents, le torse nu malgré la saison, faisaient de la gymnastique dans une cour entourée de murs d’un rouge cru.

Au laboratoire, un jeune homme aux yeux rêveurs l’attendait près d’une table où tous les objets ayant appartenu au mort étaient rangés, ornés d’étiquettes.

Il parlait un français correct, appliqué, mettait son orgueil à trouver le mot juste.

Il commença par le complet grisâtre que Jeunet portait au moment du suicide, expliqua que les doublures avaient été décousues, toutes les coutures examinées et qu’on n’avait rien découvert.

— Le costume sort de la Belle-Jardinière à Paris. Le tissu comporte cinquante pour cent de coton. C’est donc un vêtement bon marché. On a relevé des taches de graisse, entre autres de graisse minérale qui semble indiquer que l’homme a travaillé ou s’est trouvé fréquemment dans une usine, un atelier ou un garage. Son linge ne porte aucune marque. Les chaussures ont été achetées à Reims. Même observation que pour le costume : qualité vulgaire, fabrication en grande série. Les chaussettes sont des chaussettes en coton comme les camelots en vendent à quatre ou cinq francs la paire. Elles sont trouées, mais n’ont jamais été ravaudées.

» Tous ces vêtements ont été enfermés dans un sac de fort papier, secoués, et la poussière recueillie soumise à l’analyse.

» On a obtenu ainsi confirmation de la provenance des taches de graisse. En effet, le tissu est imprégné d’une fine poudre métallique qu’on ne trouve que dans les effets des ajusteurs, tourneurs et en général de ceux qui travaillent dans les ateliers de construction mécanique.

» Ces indices sont absents des vêtements que j’appellerai les vêtements B et qui n’ont pas été portés depuis plusieurs années, six ans au minimum.

» Autre différence : dans les poches du costume A, on trouve des débris de tabac de la régie française, que vous appelez du tabac gris.

» Dans les poches B, au contraire, il reste un peu de poussière de tabac jaune imitant le tabac égyptien.

» Mais j’en arrive au point le plus important. Les taches relevées sur le costume B ne sont plus des taches de graisse. Ce sont d’anciennes taches de sang humain, probablement de sang artériel.

» Le tissu n’a pas été lavé depuis des années. L’homme qui portait ce vêtement a dû être littéralement inondé de sang. Enfin, des déchirures pourraient faire supposer qu’il y a eu lutte, car, à divers endroits, aux revers entre autres, la trame est arrachée comme si des ongles s’y étaient incrustés.

» Ces vêtements B portent une marque : celle de Roger Morcel, tailleur, rue Haute-Sauvenière, à Liège.

» Quant au revolver, il est d’un modèle qu’on ne fabrique plus depuis deux ans.

» Si vous voulez me laisser votre adresse, je vous enverrai une copie du rapport que je dois établir pour mes chefs.

A huit heures du soir, Maigret en avait fini avec les formalités. La police allemande lui avait remis les vêtements du mort ainsi que ceux de la valise, que l’expert appelait les vêtements B. Et il avait été décidé que, jusqu’à nouvel avis, le corps serait gardé à la disposition des autorités françaises au frigorifique de la morgue.

Maigret avait pris copie de la fiche de Joseph Van Damme, né à Liège, de parents flamands, voyageur de commerce, puis directeur d’une maison de commission qui portait son nom.

Il avait trente-deux ans. Il était célibataire. Il n’y avait que trois ans qu’il était installé à Brême, où, après des débuts difficiles, il semblait faire de bonnes affaires.

Le commissaire rentra dans sa chambre d’hôtel, y resta longtemps assis au bord du lit, les deux valises de fibre posées devant lui.

Il avait ouvert la porte de communication avec la pièce voisine, où tout était resté dans le même état que la veille. Et il fut frappé par le peu de désordre que le drame avait laissé. Au mur, sous une fleur rose de la tapisserie, une toute petite tache brune : la seule tache de sang. Sur la table, les deux pains aux saucisses toujours enveloppés de papier. Une mouche y était posée.

Le matin, Maigret avait envoyé à Paris deux photographies du mort, en priant la PJ de les faire publier par le plus grand nombre de journaux possible.

Est-ce là qu’il fallait chercher ? A Paris où, du moins, le policier possédait une adresse : celle à laquelle Jeunet s’envoyait, de Bruxelles, trente billets de mille francs.

Fallait-il chercher à Liège, où le vêtement B avait été acheté quelques années auparavant ? A Reims, d’où provenaient les souliers du mort ? A Bruxelles, où Jeunet avait fait un paquet des trente mille francs ? A Brême, où il était mort et où un certain Joseph Van Damme était venu jeter un coup d’œil sur son cadavre, tout en se défendant de le connaître ?

L’hôtelier se présenta, fit un long discours en allemand, et le commissaire crut comprendre qu’on lui demandait si la chambre du drame pouvait être remise en état et louée.

Il émit un grognement affirmatif, se lava les mains, paya et s’en fut avec ses deux valises qui tranchaient, de par leur médiocrité flagrante, avec sa silhouette confortable.

Il n’avait pas plus de raisons de prendre son enquête par un bout que par l’autre. Et, s’il se décida pour Paris, ce fut surtout parce que cette atmosphère violemment étrangère, en le choquant à chaque instant dans ses habitudes et dans sa mentalité, finissait par produire sur lui un effet déprimant.

Il n’était pas jusqu’au tabac jaunâtre et trop léger qui ne lui enlevât l’envie de fumer.

Dans le rapide, il dormit, s’éveilla à la frontière belge alors que le jour se levait, traversa Liège une demi-heure plus tard et laissa errer par la portière un regard mou.

Le train ne restait en gare que trente minutes, si bien que Maigret n’avait pas le temps de se rendre rue Haute-Sauvenière.

A deux heures de l’après-midi, il débarquait à la Gare du Nord, fonçait dans la foule parisienne, et son premier soin était de s’arrêter au bureau de tabac.

Il dut chercher un instant de la monnaie française dans ses poches. On le bouscula. Les deux valises étaient posées à ses pieds. Quand il voulut les reprendre, il n’en trouva plus qu’une, regarda en vain autour de lui, se rendit compte qu’il ne servirait de rien d’alerter les agents.

Un détail, d’ailleurs, le rassura. La valise qu’on lui avait laissée portait une petite ficelle avec deux clés nouée à la poignée. C’était celle qui contenait les vêtements.

Le voleur avait emporté la valise aux vieux journaux.

Etait-ce un simple voleur, comme il en rôde dans les gares ? N’était-il pas étrange, dans ce cas, qu’il eût choisi un sac de si piteux aspect ?

Maigret prit place dans un taxi, savourant à la fois sa pipe et le grouillement familier de la rue. A un kiosque, il aperçut une photographie, en première page d’un journal, et reconnut de loin le portrait de Louis Jeunet, expédié de Brême.

Il faillit passer chez lui, boulevard Richard-Lenoir, pour se changer et embrasser sa femme, mais l’incident de la gare le rendait soucieux.

— Si c’est vraiment aux vêtements B qu’on en voulait, comment, à Paris, a-t-on pu être averti que je les transportais et que j’arriverais à telle heure exactement ?

Autour de la silhouette maigre du visage blême du vagabond de Neuschanz et de Brême, on eût dit que des mystères multiples venaient s’agglutiner. Des ombres s’agitaient, comme sur la plaque photographique qu’on plonge dans le révélateur.

Et il faudrait les préciser, éclairer les visages, mettre un nom sur chacun, reconstituer des mentalités, des existences entières.

Pour le moment, il n’y avait, au milieu de la plaque, qu’un corps dévêtu, une tête que les médecins allemands avaient tripatouillée pour lui rendre son aspect normal et que découpait une lumière crue.

Les ombres ?… Un homme d’abord qui, dans Paris, au même instant, se sauvait avec la valise… Un autre qui, de Brême ou d’ailleurs, l’avait renseigné… Peut-être le jovial Joseph Van Damme ?… Peut-être pas !… Et encore le personnage qui, des années plus tôt, avait porté le complet B… Et celui qui, dans la lutte, l’avait arrosé de son sang…

Celui aussi qui avait procuré au faux Jeunet les trente mille francs, ou à qui cet argent avait été volé !…

Il y avait du soleil, du monde aux terrasses des cafés que réchauffaient des braseros. Des chauffeurs s’interpellaient. Des grappes humaines assaillaient les autobus et les tramways.

Parmi toute cette foule en mouvement, et la foule de Brême, de Bruxelles, de Reims, d’ailleurs encore, il faudrait cueillir deux, trois, quatre, cinq individus…

Peut-être plus ?… Peut-être moins ?…

Maigret regarda avec tendresse la façade austère de la Préfecture, traversa la cour, sa petite valise à la main, salua le garçon de bureau, par son prénom.

— Tu as reçu mon télégramme ?… Tu as fait du feu ?…

— Et il y a une dame qui est ici pour le portrait !… Voilà deux heures qu’elle attend au parloir…

Maigret ne prit pas la peine de retirer son manteau et son chapeau. Il ne posa même pas sa valise.

La salle d’attente, au bout du couloir où s’alignent les bureaux des commissaires, est une pièce vitrée, meublée de quelques chaises de velours vert, avec, sur le seul mur de maçonnerie, la liste des policiers tués en service commandé.

Sur une des chaises, une femme était assise, encore jeune, vêtue avec cette correction des humbles qui révèle les longues heures de couture sous la lampe et les arrangements de fortune.

Sur un manteau de drap noir, elle portait un col de fourrure très étroit. Ses mains, gantées de fil gris, tenaient un sac qui, comme la valise de Maigret, était en imitation de cuir.

Le commissaire ne fut-il pas frappé par une ressemblance confuse entre elle et le mort ?

Non pas une ressemblance de traits ! Mais une ressemblance d’expression, de classe, si l’on peut dire.

Elle aussi avait ces prunelles grises, ces paupières fatiguées de ceux que le courage a abandonnés. Les narines étaient pincées, le teint trop mat.

Elle attendait depuis deux heures et elle n’avait certainement pas osé changer de place, ni même bouger. A travers les vitres, elle regarda Maigret sans espérer que ce fût enfin lui qu’elle devait voir.

Il ouvrit la porte.

— Si vous voulez me suivre dans mon bureau, madame…

Elle parut étonnée qu’il la fît passer devant lui, resta un instant comme désemparée au milieu de la pièce. En même temps que son sac, elle tenait à la main un journal froissé qui laissait voir la moitié de la photographie.

— On me dit que vous connaissez l’homme dont…

Mais il n’avait pas fini de parler qu’elle se cachait le visage dans les mains, se mordait les lèvres et, dans un sanglot qu’elle essaya en vain d’étouffer, gémit :

— C’est mon mari, monsieur…

Alors, par contenance, il alla chercher un lourd fauteuil qu’il roula vers elle.

III

L’herboristerie de la rue Picpus

Les premiers mots, dès qu’elle put parler, furent :

— A-t-il beaucoup souffert ?…

— Non, madame. Je puis vous affirmer que la mort a été instantanée…

Elle regarda le journal qu’elle avait à la main, dut faire un effort pour articuler :

— Dans la bouche ?…

Et, comme le commissaire se contentait de hocher la tête, elle dit gravement, soudain calme, fixant le plancher, avec la voix qu’elle eût prise pour parler d’un enfant espiègle :

— Il ne pouvait rien faire comme tout le monde !…

Ce n’était pas une amante, pas même une épouse. On sentait en elle, qui n’avait pas trente ans, une tendresse maternelle, une douceur résignée de sœur de charité.

Les pauvres sont habitués à refréner l’expression de leur désespoir, parce que la vie les attend, le travail, les nécessités de tous les jours, de toutes les heures. Elle s’essuyait les yeux de son mouchoir, et son nez, devenu un peu rouge, l’empêchait d’être jolie.

Le pli des lèvres oscillait entre une moue de chagrin et un vague sourire tandis qu’elle regardait le commissaire.

— Vous me permettez de vous poser quelques questions ? dit celui-ci, qui s’installa à son bureau. Votre mari s’appelait bien Louis Jeunet ?… Quand vous a-t-il quittée pour la dernière fois ?…

Elle faillit pleurer à nouveau. Ses paupières se remplirent de liquide. Ses doigts avaient tassé le mouchoir en un petit tampon très dur.

— Il y a deux ans… Mais je l’ai revu une fois, qui collait son visage à la vitrine… Si ma mère n’avait pas été là…

Il comprit qu’il n’avait plus qu’à la laisser parler. Elle le faisait autant pour elle que pour lui.

— Vous voulez connaître toute notre vie, n’est-ce pas ?… C’est le seul moyen de comprendre pourquoi Louis a fait ça… Mon père était infirmier à Beaujon… Il avait monté une petite herboristerie, rue Picpus, que tenait ma mère…

» Voilà six ans, mon père est mort, et nous avons continué à vivre du commerce, maman et moi…

» J’ai fait la connaissance de Louis…

— Vous dites qu’il y a six ans de cela ?… Il s’appelait déjà Jeunet ?…

— Oui… répliqua-t-elle avec étonnement. Il était fraiseur dans un atelier de Belleville… Il gagnait bien sa vie… Je ne sais pas pourquoi les choses ont été si vite… Vous ne pouvez pas savoir… Il était impatient de tout… On aurait dit qu’une fièvre le rongeait…

» Je le fréquentais depuis un mois à peine qu’on se mariait et qu’il venait vivre chez nous…

» Le logement, derrière la boutique, est trop petit pour trois… Nous avons loué une chambre pour maman rue du Chemin-Vert… Elle me laissait l’herboristerie, mais, comme elle n’avait pas assez d’économies pour vivre, nous lui donnions deux cents francs tous les mois…

» On a été heureux, je vous jure !… Louis partait à son travail, le matin… Ma mère venait me tenir compagnie… Le soir, il ne sortait pas…

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