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Simenon, Georges - Au Rendez-vous des Terre-Neuvas

Читать бесплатно Simenon, Georges - Au Rendez-vous des Terre-Neuvas. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Fécamp dormait. À bord, les marins s’étaient couchés. Le commissaire pesait de tout son poids sur le banc de quart, le dos rond, les genoux un peu écartés, les coudes sur les genoux.

Et son regard cueillait par-ci par-là un détail : les gants, par exemple, énormes, déformés, que Fallut ne devait mettre que pendant les heures de veille et qu’il laissait ici…

En se tournant à demi, on apercevait le château d’arrière. Devant, on voyait le pont tout entier, le gaillard d’avant et, tout près, la cabine de T.S.F.

L’eau clapotait. Le vapeur s’animait d’un mouvement insensible. Et, maintenant que les feux étaient allumés, que l’eau remplissait les chaudières, le bateau était plus vivant que les jours précédents.

N’était-ce pas P’tit Louis qui dormait, en bas, près des tas de charbon ?

À droite, le phare. Au bout d’une jetée, un feu vert ; un rouge à la pointe de l’autre. Et la mer : un grand trou noir qui exhalait une odeur forte.

Ce n’était pas à proprement parler un effort de réflexion. Maigret regardait tout ça lentement, pesamment, en essayant de faire vivre le décor, de le sentir. Et peu à peu, il créait en lui comme un état de fièvre.

— C’était une nuit pareille, plus froide parce que le printemps commençait à peine…

Le chalutier à la même place. Un filet de fumée au-dessus de la cheminée. Quelques hommes endormis.

Pierre Le Clinche qui, à Quimper, avait dîné chez sa fiancée. Atmosphère familiale. Marie Léonnec avait dû le reconduire jusqu’à la porte pour l’embrasser sans témoin.

Et il avait roulé toute la nuit, en troisième classe… Il reviendrait dans trois mois… Il la reverrait… Puis une nouvelle campagne et, l’hiver, aux alentours de Noël, le mariage…

Il n’avait pas dormi… Sa cantine était dans le filet… Elle contenait des provisions préparées par la maman…

À la même heure, le capitaine Fallut sortait de la petite maison de la rue d’Étretat, où Mme Bernard dormait.

Un capitaine Fallut bien nerveux, sans doute, et bien inquiet, bourrelé par avance de remords. Est-ce qu’il n’était pas convenu tacitement qu’un jour il épouserait sa logeuse ?

Or, tout l’hiver, il était allé au Havre, jusqu’à plusieurs fois par semaine, pour y retrouver une femme ! Une femme qu’il n’osait pas montrer à Fécamp ! Une femme qu’il entretenait ! Une femme qui était jeune, jolie, désirable, mais à qui sa vulgarité donnait quelque chose d’inquiétant.

Un homme sage, ordonné, méticuleux. Un modèle de probité, que les armateurs citaient en exemple et dont les papiers de bord constituaient de véritables chefs-d’œuvre de minutie !

Or, il allait, tout seul dans les rues endormies, vers la gare où Adèle débarquait. Peut-être hésitait-il encore ?

Mais trois mois ! Est-ce qu’il la retrouverait au retour ? N’était-elle pas trop vivante, trop avide de vie pour ne pas le tromper ?…

C’était une autre femme que Mme Bernard ! Elle ne passait pas son temps à arranger sa maison, à astiquer des cuivres et des parquets, à échafauder des projets d’avenir…

Non ! Une femme, celle-ci, dont il gardait sur la rétine des images qui le faisaient rougir, haleter.

Elle était là ! Elle riait, de son rire pointu, presque aussi sensuel que sa chair ! Cela l’amusait de naviguer, d’être cachée à bord, de vivre une aventure.

Mais ne devait-il pas l’avertir que l’aventure ne serait pas drôle ? Qu’au contraire ce voyage de trois mois dans une cabine close serait mortel ?…

Il se le promettait. Il n’osait pas ! Quand elle était là, quand elle riait, en gonflant sa poitrine, il ne pouvait plus rien dire de sensé.

— Tu vas m’embarquer en cachette, cette nuit ?…

Ils marchaient. Dans les cafés, et au Rendez-Vous des Terre-Neuvas, les pêcheurs faisaient la bombe avec l’avance qu’ils avaient touchée l’après-midi même.

Et le capitaine Fallut, menu, propret, pâlissait à mesure qu’il approchait du port, de son bateau… Il apercevait la cheminée… Sa gorge était sèche… N’était-il pas encore temps ?…

Mais Adèle était suspendue à son bras. Il la sentait, toute chaude, frémissante, contre son flanc…

Et Maigret, tourné vers le quai où il n’y avait personne, les imaginait tous les deux…

— C’est cela, ton navire ?… Ce qu’il peut sentir mauvais… Et il faut passer sur cette planche ?…

Ils la franchissaient. Le capitaine Fallut, anxieux, recommandait le silence.

— C’est avec cette roue qu’on dirige le bateau ?…

— Chut…

Ils descendaient l’escalier de fer. Ils étaient sur le pont. Ils pénétraient dans la cabine du capitaine. La porte se refermait.

— Oui ! c’est ainsi ! grommela Maigret. Ils sont là, tous les deux. C’est la première nuit à bord…

Il eût voulu arracher le rideau de la nuit, découvrir le ciel blême du petit jour, apercevoir les silhouettes de matelots titubant, lourds d’alcool, pour rallier le chalutier…

Le chef mécanicien arrivait d’Yport, par le premier train du matin. Le second officier venait de Paris. Le Clinche, de Quimper.

Les hommes s’agitaient sur le pont, se disputaient les couchettes dans le gaillard d’avant, riaient, changeaient de vêtements et réapparaissaient roidis dans les cirés.

Il y avait un gosse, le mousse Jean-Marie, que son père avait amené par la main et que les marins bousculaient en se moquant de ses bottes trop grandes, de ses yeux prêts à s’emplir de larmes…

Le capitaine était toujours chez lui. Sa cabine s’ouvrait enfin. Il en refermait la porte avec soin. Il était tout sec, tout pâle, les traits pointus.

— C’est vous le télégraphiste ?… Bien ! je vous donnerai des instructions tout à l’heure… En attendant, visitez le poste de T.S.F…

Des heures passaient. L’armateur était sur le quai. Des femmes et des mères apportaient encore des colis pour ceux qui partaient.

Fallut tremblait, à cause de cette cabine dont il ne fallait à aucun prix ouvrir la porte car Adèle, débraillée, bouche entrouverte, dormait en travers du lit.

Un peu de cet écœurement du petit matin, non seulement chez Fallut, mais chez ceux qui avaient fait le tour des bistrots de la ville et chez ceux qui avaient voyagé en chemin de fer.

Un à un, ils gagnaient le Rendez-Vous des Terre-Neuvas, avalaient des cafés arrosés.

— À la revoyure !… Si l’on revient !…

Un grand coup de sirène. Puis deux autres. Les femmes et les gosses, après une dernière étreinte, se précipitant vers la jetée. L’armateur serrant la main de Fallut.

Les aussières étaient larguées. Le chalutier glissait, s’éloignait du quai. Alors Jean-Marie, le mousse, étranglé par le trac, éclatait en sanglots, trépignait, voulait se précipiter à terre…

Fallut était à la place même de Maigret.

— Demi !… Cent cinquante tours !… En avant toute !…

Est-ce qu’Adèle dormait toujours ? Est-ce qu’elle n’allait pas s’inquiéter à la première houle ?

Fallut ne bougeait pas de la place qui était la sienne depuis tant d’années. Devant lui, c’était la mer, l’Atlantique…

Tous ses nerfs étaient tendus car il se rendait compte de la bêtise qu’il avait faite… Cela lui avait paru moins grave, à terre…

— Deux quarts à bâbord…

Et voilà que des cris éclataient, que le groupe de la jetée se précipitait en avant ! Un homme, grimpé au mât de charge pour dire adieu aux siens, était tombé sur le pont !

— Stop !… Arrière !… Stop…

Rien ne bougeait du côté de la cabine… Est-ce qu’il n’était pas encore temps de mettre la femme à terre ?…

Des canots s’approchaient. Le navire s’immobilisait entre les jetées. Une barque de pêche demandait le passage.

Mais l’homme était blessé. Il fallait l’abandonner. On le descendait dans un doris…

Des femmes, là-bas, en étaient bouleversées, parce qu’elles étaient superstitieuses ! Et le mousse, par surcroît, qu’il fallait empêcher de se jeter à l’eau tant il avait peur de partir !…

— En avant !… Demi !… Toute !…

Le Clinche, lui, prenait possession de son domaine, essayait ses appareils, le casque sur la tête. Et, dans cet attirail, il écrivait :

Ma fiancée chérie,

Huit heures du matin ! Nous partons… Déjà on ne voit plus la ville et…

Maigret alluma une nouvelle pipe, se leva pour mieux voir à l’entour.

Tous ses personnages, il les possédait, il les faisait manœuvrer en quelque sorte sur ce bateau qu’il dominait du regard.

— Premier déjeuner dans l’étroite cabine réservée aux officiers : Fallut, le second, le chef mécanicien et le télégraphiste… Et le capitaine annonce qu’il prendra ses repas tout seul, chez lui…

C’est quelque chose de jamais vu ! Une idée biscornue ! Tout le monde en cherche en vain la raison !

Et Maigret, le front dans la main, de grogner :

— C’est le mousse qui est chargé de porter la nourriture au capitaine… Celui-ci ne fait qu’entrouvrir la porte, ou bien cache Adèle sous le lit qu’il a surélevé…

Ils sont deux à ne manger qu’une seule portion ! La première fois, la femme rit ! Et Fallut, sans doute, lui abandonne presque toute sa part.

Il est trop grave. Elle se moque de lui. Elle le câline… Il cède… Il sourit…

Est-ce que déjà, dans le gaillard d’avant, on ne parle pas du mauvais œil ?… Et ne commente-t-on pas la décision du capitaine de manger seul ?… Jamais, au surplus, on n’a vu un capitaine se promener avec la clef de sa cabine dans la poche !…

Les deux hélices tournent. Le chalutier a acquis la trépidation qui continuera à l’animer pendant trois mois.

En bas, des hommes comme P’tit Louis enfournent le charbon dans la gueule des feux huit ou dix heures par jour, ou bien surveillent en somnolant la pression d’huile…

— Trois jours… C’est l’avis général… Il a fallu trois jours environ pour créer une atmosphère d’inquiétude… Et dès ce moment les hommes se sont demandé si Fallut n’était pas fou…

Pourquoi ?… La jalousie ?… Mais Adèle a déclaré qu’elle n’a vu Le Clinche que vers le quatrième jour…

Jusque-là, il est trop préoccupé de ses nouveaux appareils. Il capte des messages, pour sa satisfaction personnelle. Il fait des essais de transmission. Et, le casque sur la tête, il écrit des pages et des pages comme si la poste allait les porter aussitôt à sa fiancée.

Trois jours… On a à peine eu le temps de lier connaissance… Peut-être le chef mécanicien, en collant le visage aux hublots, a-t-il aperçu la jeune femme ?… Mais il n’en a rien dit !…

L’atmosphère, à bord, ne se crée que peu à peu, à mesure que les hommes se rapprochent en vivant des aventures communes. Et il n’y a pas encore d’aventures ! On ne pêche même pas ! Il faut attendre d’être sur le Grand Banc, là-bas, à Terre-Neuve, de l’autre côté de l’Atlantique, où l’on n’arrivera que dans dix jours au plus tôt…

Maigret était debout sur la passerelle de commandement et un homme qui se serait réveillé se fût demandé ce qu’il faisait là, énorme, solitaire, à regarder lentement autour de lui.

Ce qu’il faisait ? Il essayait de comprendre ! Tous les personnages étaient à leur place, avec leur mentalité particulière, leurs préoccupations.

Mais, à partir d’ici, il n’y avait plus moyen de deviner. Il existait un grand trou. Le commissaire ne pouvait qu’évoquer des témoignages.

— C’est vers le troisième jour que le capitaine Fallut et le télégraphiste se sont regardés en ennemis… Ils avaient chacun un revolver en poche… Ils semblaient avoir peur l’un de l’autre…

Et pourtant Le Clinche n’est pas encore l’amant d’Adèle !

— Dès lors, le capitaine a été comme fou…

Or, on est en plein Atlantique. On a quitté la route des paquebots. C’est à peine si l’on rencontrera d’autres chalutiers, anglais ou allemands, se dirigeant vers leurs lieux de pêche.

Est-ce Adèle qui s’impatiente, qui se plaint de sa vie de recluse ?

— …comme un fou…

Tout le monde est d’accord sur ce mot-là ! Et il semble qu’Adèle ne suffise pas à provoquer un pareil bouleversement chez un homme équilibré, qui a eu toute sa vie durant la religion de l’ordre.

Elle ne l’a pas trompé ! Il lui a permis deux ou trois promenades sur le pont, la nuit, en prenant des précautions multiples.

Alors, pourquoi est-il comme un fou ?…

Les témoignages se succèdent :

— …Il donne l’ordre de mouiller le chalut là où jamais, de mémoire d’homme, on n’a pris une morue…

Et ce n’est pas un nerveux, ni un emballé, ni un colérique ! C’est un petit bourgeois méticuleux qui a rêvé un instant d’unir sa vie à celle de sa logeuse Mme Bernard et de finir ses jours dans la maison pleine de broderies de la rue d’Étretat…

— …Les accidents succèdent aux accidents… Quand on est enfin sur un banc et qu’on prend du poisson, on le sale de telle sorte qu’il doit fatalement arriver avarié…

Fallut n’est pas un débutant ! Il va prendre sa retraite ! Personne, jusqu’ici, n’a eu quoi que ce soit à lui reprocher !

Il mange toujours dans sa cabine.

— …Il me boude…, dira Adèle. Il reste des jours, voire des semaines sans m’adresser la parole… Puis soudain cela le prend…

Une bouffée de sensualité ! Elle est là, chez lui ! Il partage son lit ! Et il parvient, des semaines durant, à lui tenir rigueur, jusqu’à ce que la tentation soit trop forte !

Agirait-il de même si son seul grief procédait de la jalousie ?…

Le chef mécanicien tourne autour de la cabine, alléché. Mais il n’a pas l’audace de forcer la serrure.

L’épilogue enfin : l’Océan revient vers la France, plein de morue mal salée.

N’est-ce pas chemin faisant que le capitaine rédige cette sorte de testament dans lequel il annonce qu’il ne faudra accuser personne de sa mort ?

Donc, il veut mourir ! Il veut se tuer ! Personne, à bord, en dehors de lui, n’est capable de faire le point et il est assez imprégné de l’esprit marin pour ramener d’abord son bateau au port.

Se tuer parce qu’il a transgressé les règlements en emmenant une femme avec lui ? Se tuer parce que le poisson, trop peu salé, se vendra quelques francs au-dessous du cours ?

Se tuer parce que l’équipage, étonné de ses manières bizarres, l’a pris pour un fou ?…

Le capitaine le plus froid, le plus minutieux de Fécamp ? Celui dont on cite les livres de bord en exemple ?

Celui qui, depuis si longtemps, vit dans la maison paisible de Mme Bernard ?…

Le vapeur accoste. Tous les hommes sautent à terre, se précipitent vers le Rendez-Vous des Terre-Neuvas où l’on peut enfin boire de l’alcool.

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