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Simenon, Georges - Maigret aux assises

Читать бесплатно Simenon, Georges - Maigret aux assises. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Pendant l’incarcération de son mari, Ginette Meurant avait mené une existence exemplaire, sortant à peine de chez elle, ne rencontrant aucun individu suspect.

Il n’y avait pas le téléphone dans son logement. On avait surveillé son courrier sans résultat.

— Tu comptes vraiment aller là-bas cette nuit ?

— Juste faire un tour avant de me coucher.

— Tu crains quelque chose ?

Que pouvait-il répondre ? Qu’ils étaient deux, si peu faits pour vivre ensemble, dans le curieux appartement où l’Histoire du Consulat et de l’Empire voisinait, sur les rayons du cosy corner, avec des poupées de soie et avec des confidences de vedettes.

CHAPITRE V

Vers onze heures et demie, Maigret était descendu un moment du taxi boulevard de Charonne. Un Jussieu au visage inexpressif de ceux qui font une planque de nuit était sorti sans bruit de l’ombre, avait désigné, au-dessus d’eux, une fenêtre éclairée du troisième étage. C’était une des rares lumières dans le quartier, un quartier où les gens vont au travail de bonne heure.

Si la pluie tombait toujours, les gouttes s’étaient espacées et on commençait à voir une lueur argentée entre les nuages.

— Cette fenêtre-là, c’est la salle à manger, avait expliqué l’inspecteur, qui répandait une forte odeur de cigarette. Dans la chambre, il y a une demi-heure que la lampe s’est éteinte.

Maigret attendit quelques minutes, espérant surprendre de la vie derrière le rideau. Comme rien ne bougeait, il rentra se coucher.

Par les rapports et les coups de téléphone, il allait reconstituer, le lendemain, puis suivre heure par heure l’activité des Meurant.

À six heures du matin, alors que la concierge rentrait les poubelles, deux autres inspecteurs allèrent prendre la relève, sans toutefois pénétrer dans la maison car, de jour, il n’était plus possible que l’un d’eux se tienne dans l’escalier.

Le rapport de Vacher, qui y avait passé la nuit, tantôt assis sur une marche, tantôt debout contre la porte, dès que quelque chose bougeait dans le logement, était quelque peu déroutant.

D’assez bonne heure, après un repas au cour duquel le couple n’avait presque pas parlé, Ginette Meurant était passée dans la chambre à coucher pour se déshabiller ; Jussieu, qui l’avait vue, de l’extérieur, en ombre chinoise, passer sa robe par-dessus sa tête, le confirmait.

Son mari ne l’avait pas suivie. Elle était venue lui dire quelques mots, s’était apparemment couchée cependant qu’il restait assis dans un fauteuil de la salle à manger.

Par la suite, à plusieurs reprises, il s’était levé, avait marché de long en large, s’arrêtant parfois, repartant, se rasseyant.

Vers minuit, sa femme était venue lui parler à nouveau. Du palier, Vacher ne pouvait pas distinguer les mots, mais il reconnaissait les deux voix. Le ton n’était pas celui d’une dispute. C’était une sorte de monologue de la jeune femme, avec, de temps en temps, une très courte phrase, voire un seul mot du mari.

Elle s’était recouchée, toujours seule, semblait-il. La lumière ne s’était pas éteinte dans la salle à manger et, vers deux heures et demie, Ginette était revenue à la charge une fois encore.

Meurant ne dormait pas, car il avait répondu tout de suite, laconiquement. Vacher pensait qu’elle avait pleuré. Il avait entendu, en effet une complainte monotone ponctuée par des reniflements caractéristiques.

Toujours sans colère, le mari la renvoyait dans son lit et sans doute s’assoupissait-il enfin dans son fauteuil.

Plus tard, un bébé s’était éveillé à l’étage au-dessus ; il y avait eu des pas assourdis puis, dès cinq heures, les locataires avaient commencé à se lever, les lampes à s’allumer, l’odeur du café avait envahi la cage d’escalier. À cinq heures et demie, déjà, un homme partait pour son travail et regardait curieusement l’inspecteur qui n’avait aucun moyen de se cacher, puis regardait la porte et paraissait comprendre.

C’étaient Dupeu et Baron qui prenaient la relève, dehors, à six heures. Il ne pleuvait plus. Les arbres s’égouttaient. Le brouillard empêchait de voir à plus de vingt mètres.

La lampe de la salle à manger restait allumée, celle de la chambre éteinte. Meurant ne tardait pas à sortir de la maison, non rasé, les vêtements fripés comme quelqu’un qui a passé la nuit tout habillé, et il s’était dirigé vers le bar-tabac du coin où il avait bu trois tasses de café noir et mangé des croissants. Au moment de tourner le bec-de-cane de la porte pour sortir, il s’était ravisé et, se dirigeant à nouveau vers le zinc, il avait commandé un cognac qu’il avait avalé d’un trait.

L’enquête, au printemps, indiquait que ce n’était pas un buveur, qu’il ne prenait guère qu’un peu de vin aux repas et, l’été, de temps en temps un verre de bière.

Il se dirigeait, à pied, vers la rue de la Roquette, ne se retournait pas pour savoir s’il était suivi. Arrivé devant son magasin, il s’arrêtait un moment devant les volets fermés, n’entrait pas, pénétrait dans la cour, et ouvrait avec sa clé la porte de l’atelier vitré.

Il y restait assez longtemps debout, à ne rien faire, regardant autour de lui l’établi, les outils accrochés au mur, les cadres qui pendaient, les planches et les copeaux. De l’eau s’était infiltrée sous la porte et formait une petite mare sur le sol de ciment.

Meurant avait ouvert le poêle, y avait mis du petit bois, un reste de boulets, puis, au moment de frotter une allumette il s’était ravisé, était sorti et avait refermé la porte derrière lui.

Il avait marché assez longtemps, comme sans but défini. Place de la République, il était encore entré dans un bar où il avait bu un second cognac tandis que le garçon le regardait avec l’air de se demander où il avait vu son visage.

S’en rendait-il compte ? Deux ou trois passants aussi s’étaient retournés sur lui car, le matin même, sa photographie paraissait encore dans les journaux sous un gros titre :

« Gaston Meurant acquitté. »

Ce titre, cette photographie, il pouvait les voir à tous les kiosques, mais il n’avait pas la curiosité d’acheter un journal. Il prenait l’autobus, en descendait vingt minutes plus tard place Pigalle et se dirigeait vers la rue Victor-Massé.

Enfin, il s’arrêtait devant l’hôtel meublé tenu par Nicolas Cajou, l’Hôtel du Lion, et restait longtemps à en fixer la façade.

Quand il se remettait en route, c’était pour redescendre vers les grands Boulevards, d’une démarche irrégulière, s’arrêtant parfois à un carrefour comme s’il ne savait où aller, achetant en chemin un paquet de cigarettes...

Par la rue Montmartre, il avait atteint les Halles et l’inspecteur avait failli le perdre dans la cohue. Au Châtelet, il avait bu un troisième cognac, toujours d’un trait, et il était enfin arrivé quai des Orfèvres.

Maintenant que le jour était levé, le brouillard, jaunâtre, devenait moins épais. Maigret, dans son bureau, recevait un rapport téléphonique de Dupeu, resté en faction boulevard de Charonne.

— La femme s’est levée à huit heures moins dix. Je l’ai vue qui ouvrait les rideaux, puis la fenêtre, pour regarder dans la rue. Elle avait l’air de chercher son mari des yeux. Il est probable qu’elle ne l’a pas entendu partir et qu’elle a été surprise de trouver la salle à manger vide. Je crois qu’elle m’a aperçu, patron...

— Cela ne fait rien. Si elle sort à son tour, essaie de ne pas te faire semer.

Sur le quai, Gaston Meurant était hésitant, regardant les fenêtres de la P. J. du même œil qu’il regardait tout à l’heure celles de l’hôtel meublé. Il était neuf heures et demie. Il marcha encore jusqu’au pont Saint-Michel, fut sur le point de le traverser, revint sur ses pas et, passant devant l’agent de garde, s’avança enfin sous la voûte.

Il connaissait les lieux. On le voyait gravir lentement l’escalier grisâtre, s’arrêter, non pour souffler, mais parce qu’il hésitait toujours.

— Il monte, patron ! téléphonait Baron, d’un bureau du rez-de-chaussée.

Et Maigret répétait à Janvier, qui se trouvait dans son bureau :

— Il monte.

Ils attendaient tous les deux. C’était long. Meurant ne se décidait pas, rôdait dans le couloir, s’arrêtait devant la porte du commissaire comme s’il allait frapper sans se faire annoncer.

— Qu’est-ce que vous cherchez ? lui demandait Joseph, le vieil huissier.

— Je voudrais parler au commissaire Maigret.

— Venez par ici. Remplissez votre fiche.

Le crayon à la main, il pensait encore à s’en aller et Janvier sortit à ce moment du bureau de Maigret.

— Vous venez voir le commissaire ? Suivez-moi.

Tout cela, pour Meurant, devait se passer comme dans un cauchemar. Il avait le visage de quelqu’un qui n’a guère dormi, les yeux rouges, et il sentait la cigarette et l’alcool. Pourtant, il n’était pas ivre. Il suivait Janvier. Celui-ci lui ouvrait la porte, le faisait passer devant lui et la refermait sans entrer lui-même.

Maigret, à son bureau, apparemment plongé dans l’étude d’un dossier, resta un moment sans lever la tête, puis il se tourna vers son visiteur, sans montrer de surprise, murmura :

— Un instant...

Il annotait un document, puis un autre, murmurait distraitement :

— Asseyez-vous.

Meurant ne s’asseyait pas, n’avançait pas dans la pièce. À bout de patience, il prononçait :

— Vous croyez peut-être que je suis venu vous dire merci ?

Sa voix n’était pas tout à fait naturelle. Il était un peu enroué et il essayait de mettre du sarcasme dans son apostrophe.

— Asseyez-vous, répétait Maigret sans le regarder.

Cette fois, Meurant faisait trois pas, saisissait le dossier d’une chaise au siège garni de velours vert.

— Vous avez fait ça pour me sauver ?

Le commissaire l’examinait enfin des pieds à la tête, calmement.

— Vous paraissez fatigué, Meurant.

— Il ne s’agit pas de moi mais de ce que vous avez fait hier.

Sa voix était plus sourde, comme s’il se fût efforcé de contenir sa colère.

— Je suis venu vous dire que je ne vous crois pas, que vous avez menti, comme ces gens ont menti, que j’aimerais mieux être en prison, que vous avez commis une mauvaise action...

L’alcool provoquait-il en lui un certain décalage ? C’était possible. Pourtant, encore une fois, il n’était pas ivre et, ces phrases-là, il avait dû les répéter dans sa tête une bonne partie de la nuit.

— Asseyez-vous.

Enfin ! Il s’y décidait, à contrecœur, comme s’il eût flairé un piège.

— Vous pouvez fumer.

Par protestation, pour ne rien devoir au commissaire, il ne le faisait pas, malgré son envie, et sa main tremblait.

— Il vous est facile de faire dire ce que vous voulez à des gens comme ça, qui dépendent de la police...

Il s’agissait évidemment de Nicolas Cajou, tenancier d’un hôtel de passe, et de la femme de chambre.

Maigret allumait sa pipe, lentement, attendait.

— Vous savez aussi bien que moi que c’est faux...

Son angoisse lui mettait des gouttes de sueur au front. Maigret parlait enfin.

— Vous prétendez que vous avez tué votre tante et la petite Cécile Perrin ?

— Vous savez bien que non.

— Je ne le sais pas, mais je suis persuadé que vous ne l’avez pas fait. Pourquoi, croyez-vous ?

Surpris, Meurant ne trouvait rien à répondre.

— Il y a beaucoup d’enfants dans l’immeuble que vous habitez, boulevard de Charonne, n’est-ce pas ?

Meurant disait oui, machinalement.

— Vous les entendez aller et venir. Il arrive qu’au retour de l’école ils jouent dans l’escalier. Vous leur parlez parfois ?

— Je les connais.

— Bien que n’ayant pas d’enfant vous-même, vous êtes au courant des heures de classe. Cela m’a frappé, dès le début de l’enquête. Cécile Perrin fréquentait l’école maternelle. Léontine Faverges allait l’y chercher chaque jour, sauf le jeudi, à quatre heures de l’après-midi. Jusque quatre heures, votre tante était donc seule dans l’appartement.

Meurant s’efforçait de comprendre.

— Vous aviez une grosse échéance le 28 février, soit. Il est possible que, la dernière fois que vous lui avez emprunté de l’argent, Léontine Faverges vous ait signifié qu’elle ne céderait plus. En supposant que vous ayez projeté de la tuer pour vous emparer de l’argent du vase chinois et des titres...

— Je ne l’ai pas tuée.

— Laissez-moi finir. En supposant, dis-je, que vous ayez eu cette idée, vous n’aviez aucune raison de vous rendre rue Manuel après quatre heures et, par conséquent, d’avoir à tuer deux personnes au lieu d’une. Les criminels qui s’en prennent aux enfants sans nécessité sont rares et ceux-là appartiennent à une catégorie bien définie.

On aurait pu croire que Meurant, une buée dans les yeux, était sur le point de pleurer.

— Celui qui a assassiné Léontine Faverges et l’enfant, ou bien ignorait l’existence de cette dernière, ou bien était obligé de faire son coup en fin d’après-midi. Or, s’il connaissait le secret du vase et le tiroir aux actions, il est vraisemblable qu’il connaissait aussi la présence de Cécile Perrin dans l’appartement.

— Où voulez-vous en venir ?

— Fumez une cigarette.

L’homme obéissait machinalement, continuait à regarder Maigret d’un œil soupçonneux où il n’y avait déjà plus la même colère.

— Nous supposons toujours, n’est-ce pas ? L’assassin sait que vous devez venir vers six heures rue Manuel. Il n’ignore pas que les médecins légistes — les journaux l’ont assez répété — sont capables de déterminer à une heure ou deux près, dans la plupart des cas, l’heure de la mort.

— Personne ne savait que...

Sa voix aussi avait changé et, maintenant, son regard se détournait du visage du commissaire.

— En commettant son crime vers cinq heures, le meurtrier était à peu près sûr que vous seriez soupçonné. Il ne pouvait prévoir qu’un client se présenterait à votre atelier à six heures et, d’ailleurs, le professeur de musique n’a pu fournir un témoignage formel, puisqu’il n’est pas sûr de la date.

— Personne ne savait... répétait Meurant mécaniquement.

Maigret, soudain, changeait de sujet.

— Vous connaissez vos voisins, boulevard de Charonne ?

— Je les salue dans l’escalier.

— Ils ne viennent jamais chez vous, même pour une tasse de café ? Vous n’allez pas chez eux ? Vous n’entretenez avec aucun des relations plus ou moins amicales ?

— Non.

— Il y a donc des chances pour qu’ils n’aient jamais entendu parler de votre tante.

— Maintenant, oui !

— Pas avant. Votre femme et vous aviez beaucoup d’amis à Paris ?

Meurant répondait de mauvaise grâce, comme s’il craignait, en cédant sur un point, d’avoir à lâcher sur toute la ligne.

— Qu’est-ce que cela change ?

— Chez qui alliez-vous dîner à l’occasion ?

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