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Simenon, Georges - Maigret aux assises

Читать бесплатно Simenon, Georges - Maigret aux assises. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Qu’est-ce que cela change ?

— Chez qui alliez-vous dîner à l’occasion ?

— Chez personne.

— Avec qui sortiez-vous le dimanche ?

— Avec ma femme.

— Et elle n’a pas de famille à Paris. Vous non plus, à part votre frère, qui vit le plus souvent dans le Midi et avec qui, depuis deux ans, vous avez rompu les relations.

— Nous ne nous sommes pas disputés.

— Vous avez cependant cessé de le voir.

Et Maigret paraissait à nouveau changer de sujet.

— Combien existe-t-il de clés de votre appartement ?

— Deux. Ma femme en a une, moi l’autre.

— Il n’arrivait jamais qu’en sortant l’un de vous deux laisse la clé à la concierge ou à un voisin ?

Meurant préférait se taire, comprenant que Maigret ne disait rien sans raison, incapable toutefois de voir où il voulait en venir.

— La serrure, ce jour-là, n’a pas été forcée, les experts qui l’ont étudiée l’affirment. Pourtant, si vous n’avez pas tué, quelqu’un est entré chez vous par deux fois, la première pour prendre votre complet bleu dans l’armoire de la chambre à coucher, la seconde pour l’y remettre avec tant de soin que vous ne vous êtes aperçu de rien. Vous l’admettez ?

— Je n’admets rien. Tout ce que je sais, c’est que ma femme...

— Quand vous l’avez rencontrée, voilà sept ans, vous étiez un solitaire. Est-ce que je me trompe ?

— Je travaillais toute la journée et, le soir, je lisais, j’allais parfois au cinéma.

— Est-ce qu’elle s’est jetée à votre cou ?

— Non.

— D’autres hommes, d’autres clients du restaurant où elle était serveuse, ne lui faisaient-ils pas la cour ?

Il serrait les poings.

— Et alors ?

— Combien de temps avez-vous été obligé d’insister pour qu’elle accepte de sortir avec vous ?

— Trois semaines.

— Qu’avez-vous fait, le premier soir ?

— Nous sommes allés au cinéma, puis elle a voulu danser.

— Vous dansez bien ?

— Non.

— Elle s’est moquée de vous ?

Il ne répondit pas, de plus en plus dérouté par la tournure de l’entretien.

— Vous l’avez emmenée ensuite chez vous ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que je l’aimais.

— Et la seconde fois ?

— Nous sommes encore allés au cinéma.

— Ensuite ?

— À l’hôtel.

— Pourquoi pas chez vous ?

— Parce que je vivais dans une chambre mal meublée au fond d’une cour.

— Vous aviez déjà l’intention de l’épouser et vous craigniez de la décourager ?

— J’ai tout de suite eu envie d’en faire ma femme.

— Vous saviez qu’elle avait eu beaucoup d’amis ?

— Cela ne regarde personne. Elle était libre.

— Vous lui avez parlé de votre métier, de votre magasin ? Car vous aviez déjà un magasin, faubourg Saint-Antoine, si je ne me trompe.

— Bien sûr que je lui en ai parlé.

— N’était-ce pas avec l’arrière-pensée de la tenter ? En vous épousant, elle deviendrait la femme d’un commerçant.

Meurant avait rougi.

— Comprenez-vous à présent que c’est vous qui avez voulu l’avoir et que, pour y arriver, vous n’avez pas hésité à tricher un peu ? Aviez-vous des dettes ?

— Non.

— Des économies ?

— Non.

— Elle ne vous a pas parlé de son désir de tenir un jour un restaurant ?

— Plusieurs fois.

— Que lui avez-vous répondu ?

— Peut-être.

— Vous aviez l’intention de changer de métier ?

— Pas à cette époque-là.

— Vous ne vous y êtes décidé que plus tard, après deux ans de mariage, quand elle est revenue à charge et qu’elle vous a parlé d’une occasion exceptionnelle.

Il était troublé et Maigret poursuivait, implacable :

— Vous étiez jaloux. Par jalousie, vous la forciez à rester à la maison au lieu de travailler comme elle en avait envie. Vous habitiez alors un logement de deux pièces, rue de Turenne. Chaque soir, vous insistiez pour qu’elle vous fournisse l’emploi de son temps. Étiez-vous réellement persuadé qu’elle vous aimait ?

— Je le croyais.

— Sans arrière-pensée ?

— Cela n’existe pas.

— Votre frère, je pense, vous voyait assez souvent ?

— Il vivait à Paris.

— Sortait-il avec votre femme ?

— Il nous arrivait de sortir tous les trois.

— Ils ne sortaient jamais tous les deux ?

— Quelquefois.

— Votre frère habitait à l’hôtel, rue de l’Étoile, près des Ternes. Votre femme allait-elle le voir dans sa chambre ?

Torturé, Meurant criait presque :

— Non !

— A-t-elle jamais possédé un pull-over comme on en porte pour faire du ski en montagne, un pull-over en grosse laine blanche, tricotée à la main, avec, en noir et brun, des dessins représentant des rennes ? Lui arrivait-il, l’hiver, de sortir ainsi vêtue, avec des pantalons noirs plus étroits aux chevilles ?

Les sourcils froncés, il fixait intensément Maigret.

— Où voulez-vous en venir ?

— Répondez.

— Oui. C’était rare. Je n’aimais pas qu’elle aille dans la rue en pantalon.

— Avez-vous rencontré souvent des femmes ainsi vêtues dans les rues de Paris ?

— Non.

— Lisez ceci, Meurant.

Maigret extrayait une pièce d’un dossier, le témoignage de la gérante de l’hôtel de la rue de l’Étoile. Elle se souvenait parfaitement d’avoir eu pour locataire Alfred Meurant, qui avait occupé longtemps une chambre au mois dans son établissement et qui, depuis, y revenait parfois pour quelques jours. Il recevait beaucoup de femmes. Elle reconnaissait sans hésitation la photographie qu’on lui présentait et qui était celle de Ginette Meurant. Elle se rappelait même l’avoir vue dans une tenue excentrique...

Suivait la description du pull-over et du pantalon.

Ginette Meurant était-elle revenue récemment rue de l’Étoile ?

Réponse de l’hôtelière : Il y avait moins d’un an, lors d’un court passage à Paris d’Alfred Meurant.

— C’est faux ! protestait l’homme en repoussant le papier.

— Voulez-vous que je vous donne à lire tout le dossier ? Il contient trente témoignages au moins, tous d’hôteliers, dont un de Saint-Cloud. Votre frère a-t-il possédé une auto bleu ciel décapotable ?

Le visage de Meurant fournissait la réponse.

— Il n’y a pas eu que lui. Au bal de la rue des Gravilliers, on a connu à votre femme une quinzaine d’amants.

Maigret, lourd et sombre, bourrait une nouvelle pipe et ce n’était pas de gaieté de cœur qu’il avait donné une telle tournure à l’entretien.

— C’est faux ! grondait encore le mari.

— Elle ne vous a pas demandé de devenir votre femme. Elle n’a rien fait pour ça. Elle a hésité trois semaines à sortir avec vous, peut-être pour ne pas vous faire de peine. Elle vous a suivi à l’hôtel quand vous le lui avez demandé car, pour elle, c’était sans importance. Vous avez fait miroiter à ses yeux une existence agréable, facile, la sécurité, l’accès à une certaine forme de bourgeoisie. Vous lui avez plus ou moins promis qu’un jour vous réaliseriez son rêve d’un petit restaurant.

« Par jalousie, vous l’avez empêchée de travailler.

« Vous ne dansiez pas. Vous n’aimiez guère le cinéma.

— Nous y allions chaque semaine.

— Le reste du temps, elle était condamnée à s’y rendre seule. Le soir, vous lisiez.

— J’ai toujours rêvé de m’instruire.

— Et elle a toujours rêvé d’autre chose. Vous commencez à comprendre ?

— Je ne vous crois pas.

— Cependant, vous êtes sûr de n’avoir parlé à personne du vase chinois. Et, le 27 février, vous ne portiez pas votre complet bleu. Votre femme et vous étiez les seuls à posséder la clé de l’appartement du boulevard de Charonne.

Le téléphone sonnait. Maigret décrochait.

— C’est moi, oui...

 Baron était à l’autre bout du fil.

— Elle est sortie vers neuf heures, à neuf heures moins quatre minutes exactement, et s’est dirigée vers le boulevard Voltaire.

— Habillée comment ?

— Une robe à fleurs et un manteau de laine brune. Sans chapeau.

— Ensuite ?

— Elle est entrée chez un marchand d’articles de voyages et a acheté une valise bon marché. Elle est retournée, la valise à la main, dans son appartement. Il doit y faire chaud, car elle a ouvert la fenêtre. De temps en temps, je l’aperçois qui va et vient et je suppose qu’elle est en train de faire ses bagages.

Tout en écoutant, Maigret regardait Meurant qui soupçonnait qu’il était question de sa femme et qui se montrait inquiet.

— Il ne lui est rien arrivé ? demanda-t-il même à certain moment.

Maigret secoua la tête.

— Comme il y a le téléphone chez la concierge, continuait Baron, j’ai fait venir un taxi qui stationne à une centaine de mètres, pour le cas où elle en appellerait un.

— Très bien. Tiens-moi au courant.

Et, à Meurant :

— Un instant...

Le commissaire pénétrait dans le bureau des inspecteurs, s’adressait à Janvier.

— Tu ferais bien de prendre une voiture de la maison et d’aller là-bas, boulevard de Charonne, au plus vite. On dirait que Ginette Meurant s’apprête à lever le pied. Peut-être soupçonne-t-elle son mari d’être venu ici ? Elle doit en avoir peur.

— Comment réagit-il ?

— Je préfère ne pas être dans sa peau.

Maigret aurait préféré aussi s’occuper d’autre chose.

— On vous demande au téléphone, monsieur le commissaire.

— Passez-moi la communication ici.

C’était le procureur de la République, qui ne se sentait pas non plus la conscience tout à fait tranquille.

— Il ne s’est rien passé ?

— Ils sont rentrés chez eux. Il semble qu’ils aient dormi chacun dans une pièce. Meurant est sorti de bonne heure et se trouve en ce moment dans mon bureau.

— Que lui avez-vous dit ? Je suppose qu’il ne peut pas vous entendre ?

— Je suis dans le bureau des inspecteurs. Il n’est pas encore sûr de me croire. Il se débat. Il commence à comprendre qu’il lui faudra regarder la vérité en face.

— Vous ne craignez pas qu’il...

— Il y a toutes les chances pour qu’il ne la trouve pas en rentrant chez lui. Elle est en train de faire ses bagages.

— Et s’il la retrouve ?

— Après le traitement que je suis obligé de lui infliger, ce n’est pas tant à elle qu’il en voudra.

— Ce n’est pas l’homme à se suicider ?

— Pas tant qu’il ne saura pas la vérité.

— Vous comptez la découvrir ?

Maigret ne dit rien, haussa les épaules.

— Dès que vous aurez du nouveau...

— Je vous téléphonerai ou je passerai par votre bureau, monsieur le Procureur.

— Vous avez lu les journaux ?

— Seulement les titres.

Maigret raccrocha. Janvier était déjà parti. Il valait mieux retenir Meurant un certain temps, pour éviter qu’il trouve sa femme au milieu de ses préparatifs de départ.

Qu’il la retrouve ensuite, ce serait moins grave. Le moment le plus dangereux serait passé. C’est pourquoi Maigret, la pipe à la bouche, allait et venait, arpentait un instant le long couloir moins surchauffé.

Puis, regardant sa montre, il pénétrait dans son bureau et retrouvait un Meurant plus calme, l’air réfléchi.

— Il reste une possibilité dont vous n’avez pas parlé, objectait le mari de Ginette. Une personne, au moins, devait connaître le secret du vase chinois.

— La mère de l’enfant ?

— Oui : Juliette Perrin. Elle rendait souvent visite à Léontine Faverges et à Cécile. Même si la vieille femme ne lui a rien dit au sujet de son argent, l’enfant a pu voir...

— Vous croyez que je n’y ai pas pensé ?

— Pourquoi n’avez-vous pas cherché dans cette direction ? Juliette Perrin travaille dans une boîte de nuit. Elle fréquente des gens de toutes sortes...

Il se raccrochait désespérément à cet espoir et Maigret avait scrupule à le décevoir. C’était pourtant nécessaire.

— Nous avons enquêté sur toutes ses relations, sans résultat.

« Il y a d’ailleurs une chose que, ni Juliette Perrin, ni ses amants d’un soir ou réguliers, ne pouvaient se procurer sans une complicité bien déterminée.

— Quoi ?

— Le complet bleu. Vous connaissez la mère de l’enfant ?

— Non.

— Vous ne l’avez jamais rencontrée rue Manuel ?

— Non. Je savais que la mère de Cécile faisait le métier d’entraîneuse, mais je n’avais jamais eu l’occasion de la voir.

— N’oubliez pas non plus que sa fille a été tuée.

C’était, pour Meurant, une nouvelle issue qui se fermait. Il cherchait toujours, il tâtonnait, bien décidé à ne pas accepter la vérité.

— Ma femme a pu parler étourdiment.

— À qui ?

— Je n’en sais rien.

— Et donner, étourdiment aussi, la clé de votre appartement en partant pour le cinéma ?

Téléphone. Janvier, cette fois, un peu essoufflé.

— Je vous appelle de chez la concierge, patron. La personne est partie en taxi avec la valise et un sac brun assez rebondi. J’ai relevé à tout hasard le numéro de la voiture. Elle appartient à une compagnie de Levallois et il sera facile de la retrouver. Baron la suit dans un autre taxi. J’attends ici ?

— Oui.

— Vous êtes toujours avec lui ?

— Oui.

— Je suppose qu’après son arrivée je ne bouge pas ?

— Cela vaut mieux.

— Je vais garer la voiture près d’une des portes du cimetière. On la remarquera moins. Vous comptez le lâcher bientôt ?

— Oui.

Meurant essayait toujours de deviner et l’effort lui faisait monter le sang à la tête. Il était à bout de fatigue, au bout du désespoir aussi, mais il parvenait à tenir bon, et même presque à sourire.

— C’est ma femme qu’on surveille ?

Maigret fit signe que oui.

— Je suppose que je vais être surveillé également ?

Geste vague du commissaire.

— Je n’ai pas d’arme, croyez-le !

— Je sais.

— Je n’ai l’intention de tuer personne, ni de me tuer moi-même.

— Je le sais aussi.

— En tout cas, pas maintenant.

Il se levait, hésitant, et Maigret comprenait que la crise était sur le point d’éclater, que l’homme se retenait pour ne pas fondre en larmes, sangloter, frapper les murs de ses poings serrés.

— Courage, vieux.

Meurant détournait la tête, marchait vers la porte, pas très sûr de ses pas. Ee commissaire lui posait un instant la main sui l’épaule, sans insister.

— Venez me voir quand vous voudrez.

Meurant sortait enfin sans montrer son visage, sans dire merci, et la porte se refermait.

Baron, sur le quai, attendait de reprendre sa filature.

CHAPITRE VI

À midi, alors qu’il se préparait à rentrer déjeuner chez lui, Maigret reçut les premières nouvelles de Ginette Meurant.

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