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Simenon, Georges - La danseuse du Gai-Moulin

Читать бесплатно Simenon, Georges - La danseuse du Gai-Moulin. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Et ce fut un geste rituel, si vite fait que le père ne s’en rendit compte que quand ce fut fini. Girard avait saisi les deux mains de Jean. Un claquement d’acier.

— Par ici !

Les menottes ! Et deux agents en uniforme qui attendaient dehors, près d’une voiture !

Jean fit plusieurs pas. On put croire qu’il partirait sans rien dire. Pourtant, à la porte, il se retourna. On reconnut à peine sa voix.

— Je te jure, père !…

— Dis donc, à propos de pipes, j’ai pensé ce matin que si l’on en commandait trois douzaines…

C’était l’inspecteur aux pipes qui entrait sans rien voir, qui apercevait soudain le dos du jeune homme, un poignet, le reflet des menottes et qui s’interrompait :

— Alors, ça y est ?

Le geste voulait dire : « Bouclé ? »

Le commissaire désigna M. Chabot qui s’était assis, se prenait la tête à deux mains et sanglotait comme une femme.

L’autre continua à parler bas :

— … On trouvera toujours bien à placer l’autre douzaine dans les divisions… À ce prix-là !…

Un bruit de portière. Le grincement du démarreur… Le commissaire, gêné, disait à M. Chabot :

— Vous savez… Il n’y a encore rien de définitif… Il mentit :

— … et surtout si vous êtes l’ami de M. de Conninck !

Et le père, battant en retraite, esquissa un pâle sourire de remerciement.

VI

Le fuyard

À une heure, les journaux locaux paraissaient et tous avaient en première page des titres sensationnels. La Gazette de Liège, le journal bien-pensant, imprimait : « L’affaire de la malle d’osier. Le crime a été commis par deux jeunes débauchés. »

La Wallonie socialiste écrivait de son côté : « Le crime de deux jeunes bourgeois. »

L’arrestation de Jean Chabot était annoncée, ainsi que la fuite de Delfosse. Déjà la maison de la rue de la Loi avait été photographiée. Et on lisait :

«… Aussitôt après l’entrevue pathétique qu’il a eue avec son fils dans les locaux de la Sûreté, M. Chabot s’est enfermé chez lui et s’est refusé à toute déclaration. Mme Chabot, très ébranlée, a dû s’aliter…»

«… Nous avons pu joindre M. Delfosse au moment où il revenait de Huy où il possède des usines. C’est un homme énergique, d’une cinquantaine d’années, dont le regard clair ne se voile pas un seul instant. Il a reçu le choc avec sang-froid. Il ne croit pas à la culpabilité de son fils et il annonce son intention de s’occuper personnellement de cette affaire…»

«… À la prison Saint-Léonard, on nous déclare que Jean Chabot est très calme. Il attend la visite de son avocat avant de comparaître devant le juge d’instruction de Conninck qui a été saisi de l’affaire…»

La rue de la Loi était quiète, comme d’habitude. On voyait les enfants entrer dans la cour de l’école, où ils jouaient en attendant l’heure de la classe.

Entre les pavés, il y avait des touffes d’herbe, et une femme, vers le numéro 48, lavait son seuil à la brosse de chiendent.

Pour seul bruit, les coups espacés sur l’enclume d’un forgeron en cuivre.

Mais, plus souvent que d’habitude, des portes s’ouvraient. Quelqu’un avançait la tête, jetant un coup d’œil dans la direction du numéro 53. On échangeait quelques mots, de seuil à seuil.

— Est-il possible qu’il ait fait ça !… C’est encore un gamin… Quand je pense qu’il n’y a pas si longtemps, il jouait encore sur le trottoir avec les miens…

— Je le disais bien à mon mari quand je l’ai vu deux fois rentrer ivre… À son âge !…

Tous les quarts d’heure, à peu près, un coup de sonnette résonnait dans le corridor des Chabot. C’était l’étudiante polonaise qui ouvrait la porte.

— M. et Mme Chabot ne sont pas ici… disait-elle avec un fort accent.

— Gazette de Liège… Voulez-vous leur dire que…

Et le reporter se démanchait le cou pour apercevoir quelque chose à l’intérieur. Il distinguait vaguement la cuisine, le dos d’un homme assis.

— Ce n’est pas la peine… Ils ne sont pas là…

— Pourtant…

Elle refermait la porte. Le journaliste se contentait de questionner les voisins.

Un journal publiait un sous-titre donnant un autre son de cloche que les autres : « Où est l’homme aux larges épaules ? »

Et il imprimait ensuite :

« Tout le monde, jusqu’ici, semble croire à la culpabilité de Delfosse et Chabot. Sans vouloir prendre leur défense, et en nous tenant à l’objectivité des faits, il nous est pourtant permis de nous étonner de la disparition d’un témoin important : le client aux larges épaules qui se trouvait au Gai-Moulin la nuit du crime.

» D’après le garçon de café, ce serait un Français, qui a été aperçu pour la première et la dernière fois ce soir-là. A-t-il déjà quitté la ville ? Préfère-t-il ne pas être interrogé par la police ?

» La piste n’est peut-être pas négligeable, et, au cas où les deux jeunes gens seraient innocents, ce serait sans doute de ce côté que viendrait la lumière.

» Nous croyons savoir, d’ailleurs, que le commissaire Delvigne, qui poursuit l’enquête en étroite collaboration avec le juge d’instruction, a donné à la Brigade des garnis et à la Police de la voie publique les ordres nécessaires pour que le mystérieux client du Gai-Moulin soit retrouvé…»

Le journal parut un peu avant deux heures.

À trois heures, un homme corpulent, aux joues couperosées, se présentait à la police, demandait M. Delvigne et déclarait :

— Je suis le gérant de l’Hôtel Moderne, rue du Pont-d’Avroy. Je viens de lire les journaux et je crois que je puis vous donner des renseignements sur l’homme que vous cherchez.

— Le Français ?

— Oui. Et aussi sur la victime. Je ne m’occupe pas beaucoup, en général des racontars de journaux et c’est pourquoi je me suis aperçu si tard de ce que je vais vous dire. Voyons… Quel jour sommes-nous ?… Vendredi… C’était donc mercredi… C’est bien mercredi que le crime a été commis, n’est-ce pas ?… Je n’étais pas là… Je m’étais rendu à Bruxelles pour affaires… Un client s’est présenté, qui avait un fort accent étranger et qui n’avait pour tout bagage qu’une mallette en porc… Il a demandé une grande chambre donnant sur la rue et il est monté immédiatement… Quelques minutes plus tard, un autre client prenait une chambre voisine…

« D’habitude, on fait remplir la fiche à l’arrivée… Je ne sais pas pourquoi il en a été autrement… Je suis rentré à minuit. J’ai jeté un coup d’œil sur le tableau des clés…

— Vous avez les fiches ? ai-je commandé à la caissière.

— Sauf de deux voyageurs, qui sont sortis tout de suite après leur arrivée.

Jeudi matin, un seul des deux était rentré. Je ne me suis pas inquiété de l’autre, me disant qu’il avait dû faire quelque galante rencontre.

Au cours de la journée, je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer mon homme et ce matin on m’a dit qu’il avait payé sa note et qu’il était parti.

Comme la caissière lui demandait de remplir sa fiche, il a haussé les épaules en grommelant que ce n’était plus la peine. »

— Pardon ! intervint le commissaire. C’est celui-là qui correspond au signalement de l’homme aux larges épaules ?

— Oui… Il est parti avec son sac de voyage, vers neuf heures…

— Et l’autre ?

— Comme il n’était pas rentré, j’ai eu la curiosité de pénétrer dans sa chambre à l’aide du passe-partout que nous sommes obligés de posséder pour les cas urgents. Or, sur la mallette en porc, j’ai lu un nom gravé : Éphraïm Graphopoulos. C’est ainsi que j’ai appris que l’individu trouvé dans la malle d’osier avait été mon locataire…

— Si je comprends bien, ils sont arrivés mercredi après-midi, quelques heures avant le crime, l’un derrière l’autre. Comme s’ils descendaient du même train, en somme !

— Oui ! du rapide de Paris.

— Et ils sont sortis le soir l’un derrière l’autre.

— Sans avoir rempli leur fiche !

— Seul le Français est revenu et ce matin il a disparu.

— C’est cela ! J’aimerais mieux, si c’était possible, ne pas voir publier le nom de l’hôtel, car il y a des clients que cela impressionne.

Seulement, à la même heure, un des garçons du Moderne racontait exactement la même chose à un journaliste. Et à cinq heures, dans les dernières éditions de toutes les feuilles, on lisait : « L’enquête prend une nouvelle tournure. L’homme aux larges épaules est-il l’assassin ? »

C’était une belle journée. La vie coulait dans les ruelles ensoleillées de la ville. Un peu partout les agents essayaient de reconnaître parmi les passants le Français recherché. À la gare, il y avait un inspecteur derrière chaque employé préposé aux billets et les voyageurs étaient examinés des pieds à la tête.

Rue du Pot-d’Or, un camion déchargeait en face du Gai-Moulin des caisses de champagne que l’on descendait au fur et à mesure à la cave, en traversant la salle où régnait une ombre fraîche. Genaro surveillait, en manches de chemise, la cigarette aux lèvres. Et il haussait les épaules quand il voyait des passants s’arrêter, murmurer avec un petit frisson : « C’est ici !…»

Ils essayaient de voir à l’intérieur, dans la pénombre où l’on ne distinguait guère que les banquettes de peluche grenat et les tables de marbre.

À neuf heures, on alluma les lampes et les musiciens accordèrent leurs instruments. À neuf heures et quart, six journalistes étaient au bar et, installés, discutaient passionnément.

À neuf heures et demi, la salle était plus qu’à moitié pleine, ce qui n’arrivait pas une fois par an. Non seulement il y avait là tous les jeunes fréquentant les boîtes de nuit et les dancings, mais encore des personnes sérieuses, mettant pour la première fois de leur vie les pieds dans un endroit mal famé.

On voulait voir. Personne ne dansait. On regardait tour à tour le patron, Victor, le danseur professionnel. Des gens se dirigeaient invariablement vers les lavabos pour contempler le fameux escalier de la cave.

— Pressons ! Pressons ! lançait Genaro aux deux garçons qui étaient débordés.

Et il adressait des signes à l’orchestre ; il demandait à voix basse à une femme :

— Tu n’as pas vu Adèle ? Il est temps qu’elle arrive !

Car Adèle était la grande attraction. C’était elle surtout que les curieux voulaient regarder de plus près.

— Attention ! souffla un journaliste à l’oreille d’un confrère. Ils sont ici…

Et il désignait deux hommes qui occupaient une table près de la portière de velours. Le commissaire Delvigne buvait de la bière, dont la mousse s’accrochait à ses moustaches rousses. À côté de lui, l’inspecteur Girard dévisageait les consommateurs.

À dix heures, l’atmosphère était caractéristique. Ce n’était plus le Gai-Moulin habituel, avec ses quelques clients réguliers et les voyageurs à la recherche d’une compagne d’un soir.

De par la présence des journalistes surtout, cela rappelait à la fois le grand procès de Cour d’assises et la soirée de gala.

Les mêmes gens étaient là. Non seulement les reporters, mais les chroniqueurs. Un directeur de journal était venu en personne. Puis tous ceux qui ont l’habitude de se retrouver dans les grands cafés : les viveurs, comme on dit encore en province, et les jolies femmes.

Dans la rue, il y avait une vingtaine de voitures. On se saluait de table à table. On se levait pour distribuer des poignées de main.

— Il se passera quelque chose ?

— Chut ! Pas si haut ! Le rouquin, là-bas, est le commissaire Delvigne. S’il s’est dérangé, c’est que…

— Laquelle est Adèle ? La grosse blonde ?

— Elle n’est pas arrivée !

Elle arrivait. Elle faisait une entrée sensationnelle. Elle portait un ample manteau de satin noir doublé de soie blanche. Elle avançait d’abord de quelques pas, s’arrêtait, regardait à la ronde puis, nonchalante, se dirigeait vers l’orchestre, tendait la main au chef.

Éclair de magnésium. Un photographe venait de prendre un cliché pour son journal et la jeune femme haussait les épaules, comme si cette popularité lui eût été indifférente.

— Cinq portos, cinq !

Victor et Joseph étaient sur les dents. Ils se faufilaient entre les tables.

On eût dit une fête, mais une fête où chacun était là pour regarder les autres. Les danseurs professionnels gravitaient seuls sur la piste.

— Ce n’est pas si extraordinaire que ça ! disait une femme que son mari conduisait pour la première fois dans un cabaret. Je ne vois pas ce qu’il y a de répréhensible.

Genaro s’approcha des policiers.

— Excusez-moi, messieurs. Je voudrais vous demander un conseil. Est-ce qu’il faut faire les numéros, comme d’habitude ?… Maintenant, Adèle devrait danser…

Le commissaire haussa les épaules en regardant ailleurs.

— Ce que j’en disais, c’était pour ne pas vous contrarier…

La jeune femme était au bar, entourée par les journalistes qui la questionnaient.

— En somme, Delfosse a volé le contenu de votre sac. Il était votre amant depuis longtemps ?

— Il n’était même pas mon amant !

Elle manifestait un certain embarras. Il lui fallait faire un effort pour subir le feu de tous les regards.

— Vous avez bu le champagne avec Graphopoulos. À votre avis, quel genre d’homme était-ce ?

— Un chic type ! Mais laissez-moi…

Elle alla au vestiaire retirer son manteau, s’approcha un peu plus tard de Genaro.

— Je danse ?

Il n’en savait rien. Il regardait toute cette foule avec une pointe d’inquiétude, comme s’il craignait d’être submergé.

— Je me demande ce qu’ils attendent.

Elle alluma une cigarette, s’accouda au bar, le regard lointain, sans répondre aux questions que les reporters continuaient à lui poser.

Une grosse commère disait à voix haute :

— C’est ridicule de payer dix francs une limonade ! Il n’y a même rien à voir !

Il y eut quelque chose à voir, pourtant, mais seulement pour ceux qui connaissaient les personnages du drame. Le chasseur en rouge souleva à certain moment la portière et l’on entrevit un homme d’une cinquantaine d’années aux moustaches argentées, qui fut surpris en apercevant tant de monde.

Il fut tenté de reculer. Mais son regard rencontra celui d’un journaliste qui l’avait reconnu et qui donnait un coup de coude à son voisin. Alors il entra, l’air dégagé, en secouant la cendre de sa cigarette.

Il portait beau. Il était habillé avec une remarquable élégance. On sentait l’homme habitué à la vie large autant qu’à l’existence nocturne.

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