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Simenon, Georges - Au Rendez-vous des Terre-Neuvas

Читать бесплатно Simenon, Georges - Au Rendez-vous des Terre-Neuvas. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Oui… Attendez…

Elle revint soudain, son tailleur gris tout maculé, les prunelles fiévreuses.

— Tirez le lit… Vous verrez…

La voix était cassée. Les mains frémissaient. Maigret arracha brutalement le lit de la cloison, regarda par terre.

— Je ne vois rien…

Comme elle ne répondait pas, il se retourna et constata qu’elle pleurait.

— Qu’est-ce que vous avez vu ?… Pourquoi pleurez-vous ?…

— Ici… Lisez…

Il fallait se baisser, mettre la lampe tout contre la cloison. Alors on distinguait des mots écrits sur le bois à l’aide d’une pointe quelconque, une épingle ou un clou.

Gaston – Octave – Pierre – Hen…

Le dernier mot était inachevé. Et pourtant il ne s’agissait pas d’un travail rapide. Certaines lettres avaient dû demander plus d’une heure ! Il y avait des fioritures, des traits comme on en trace quand on est désœuvré.

La note comique était représentée par deux bois de cerf dessinés au-dessus du nom – Octave.

La jeune fille s’était assise au bord du lit tiré au milieu de la cabine. Elle pleurait toujours, en silence.

— Curieux ! grogna Maigret. Je serais ravi de savoir si…

Alors elle se leva, véhémente.

— Mais oui ! C’est cela ! Il y avait une femme ici ! Elle se cachait… N’empêche que des hommes venaient la retrouver… Est-ce que le capitaine Fallut ne s’appelait pas Octave ?

Le commissaire avait rarement été aussi embarrassé.

— Ne vous hâtez pas trop de tirer des conclusions ! dit-il, sans la moindre conviction d’ailleurs.

— Mais c’est écrit ! Toute l’histoire est là ! Quatre hommes qui…

Que pouvait-il lui dire pour la calmer ?

— Croyez-en mon expérience ! En matière policière, il faut toujours attendre avant de juger… Vous me disiez hier encore que Le Clinche n’est pas capable de tuer…

— Oui !… sanglota-t-elle. Oui ! Je le crois !… N’est-ce pas ?…

Elle se raccrochait quand même à l’espoir.

— Il s’appelle Pierre !…

— Je sais… Et après ?… Il y a un marin sur dix qui s’appelle Pierre et il y avait cinquante hommes à bord… Il est aussi question d’un Gaston… Et d’un Henry…

— Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Rien !

— Vous allez montrer cela au juge ?… Quand je pense que c’est moi qui…

— Calmez-vous ! Nous n’avons encore rien découvert du tout, sinon que le lit a été surélevé pour une raison ou pour une autre et que quelqu’un a écrit des prénoms sur la cloison…

— Il y avait une femme…

— Pourquoi une femme ?

— Mais…

— Venez !… Mme Maigret nous attend sur le quai…

— C’est vrai…

Docile, elle essuya ses larmes, en reniflant.

— Je n’aurais pas dû venir… Moi qui croyais… Mais ce n’est pas possible que Pierre… Dites ! il faut que je le voie le plus tôt possible !… Je lui parlerai, toute seule… Vous ferez le nécessaire, n’est-ce pas ?

Avant de s’engager sur la passerelle, elle lança un regard chargé de haine au bateau noir qui n’était plus le même pour elle, maintenant qu’elle savait qu’une femme s’était cachée à bord.

Mme Maigret l’observa avec curiosité.

— Ne pleurez pas, voyons ! Vous savez bien que tout cela s’arrangera…

— Non ! Non !… fit-elle de la tête, avec désespoir.

Elle ne pouvait pas parler. Elle étouffait. Elle voulait regarder encore le bateau. Et Mme Maigret, qui n’y comprenait rien, questionnait son mari des yeux.

— Reconduis-la à l’hôtel… Essaie de la calmer…

— Il s’est passé quelque chose ?…

— Rien de précis… Je rentrerai sans doute assez tard…

Il les regarda s’éloigner. Marie Léonnec se retourna dix fois et sa compagne devait l’entraîner comme une enfant.

Maigret faillit remonter à bord. Mais il avait soif. Il y avait toujours de la lumière au Rendez-Vous des Terre-Neuvas.

À une table, quatre marins jouaient aux cartes. Près du comptoir, un jeune aspirant avait le bras passé autour de la taille de la serveuse qui émettait de temps en temps un petit rire.

Le patron, lui, suivait la partie et donnait des conseils :

— Tiens !… C’est vous !… fit-il pour accueillir Maigret.

Et il ne paraissait pas si heureux que cela de le revoir. Au contraire. Il laissait percer une certaine gêne.

— Allons, Julie !… Sers monsieur le commissaire… Qu’est-ce que je peux vous offrir ?…

— Rien du tout ! Si vous le permettez, je prendrai une consommation comme un simple client…

— Je ne voulais pas vous vexer… Je…

Est-ce que la journée allait s’achever sous le signe de la colère ? Un des marins grommelait quelque chose en patois normand et Maigret traduisit à peu près :

— Bon ! voilà que ça sent encore le roussi !…

Le commissaire le regarda dans les yeux. L’autre rougit, balbutia :

— Atout trèfle !…

— T’aurais dû jouer pique ! dit Léon pour parler.

5

Adèle et son compagnon

La sonnerie du téléphone retentit. Léon se précipita, appela bientôt Maigret à l’appareil.

— Allô ! fit une voix ennuyée au bout du fil. Le commissaire Maigret ?… Ici, le secrétaire du commissariat… Je viens de téléphoner à votre hôtel où l’on m’a dit que vous étiez peut-être au Rendez-Vous des Terre-Neuvas… Excusez-moi de vous déranger, monsieur le commissaire… Voilà une demi-heure que je suis suspendu à l’appareil… Impossible de joindre le patron !… Quant au commissaire de la Brigade mobile, je me demande s’il n’a pas quitté Fécamp… Or, j’ai deux drôles de cocos qui viennent d’arriver et qui ont, paraît-il, des déclarations urgentes à faire… Un homme et une femme…

— Avec une auto grise ?…

— Oui… Ce sont ceux que vous cherchiez ?…

Dix minutes plus tard, Maigret arrivait au commissariat, dont les bureaux étaient déserts hormis le bureau public divisé en deux par une barrière. Le secrétaire écrivait tout en fumant une cigarette. Assis sur un banc, les coudes sur les genoux, le menton entre les mains, un homme attendait.

Une femme, enfin, allait et venait en martelant le plancher de ses hauts talons.

Dès l’entrée du commissaire, elle marcha vers lui, en même temps que l’homme se levait avec un soupir de soulagement, grommelait même entre ses dents :

— Ce n’est pas trop tôt !…

C’était bien le couple d’Yport, un peu plus hargneux encore qu’au cours de la scène de ménage dont Maigret avait été le témoin.

— Voulez-vous me suivre à côté…

Et Maigret les introduisit dans le bureau du commissaire, s’assit dans le fauteuil de celui-ci, bourra une pipe, tout en observant ses clients.

— Vous pouvez vous asseoir…

— Merci ! fit la femme qui, des deux, était décidément la plus nerveuse. Je n’en ai d’ailleurs pas pour longtemps…

Il la voyait de face, éclairée par une forte lampe électrique. Il n’y avait pas besoin d’un long examen pour la classer. Le portrait dont il ne restait que le buste n’avait-il pas suffi ?

Une belle fille, dans l’acceptation populaire du mot. Une fille à la chair appétissante, aux dents saines, au sourire provoquant, au regard toujours allumé.

Plus exactement une belle garce, frôleuse, gourmande, prête à provoquer un scandale ou à rire aux éclats d’un grand rire peuple.

Son corsage était de soie rose, piqué d’une broche en or large comme une pièce de cent sous.

— Je tiens d’abord à vous dire…

— Pardon ! interrompit Maigret. Veuillez vous asseoir, comme je vous l’ai déjà demandé. Vous répondrez à mes questions.

Elle sourcilla. Sa bouche devint mauvaise.

— Dites donc ! Vous oubliez que je suis ici parce que je veux bien…

Son compagnon fit la moue, ennuyé par cette attitude. Ils étaient bien assortis. Il était exactement l’homme qu’on rencontre d’habitude avec des filles pareilles.

Sa mine n’était pas patibulaire à proprement parler. Il était habillé correctement, encore qu’avec mauvais goût. Il avait de grosses bagues aux doigts et une perle à sa cravate. N’empêche que l’ensemble était inquiétant. Peut-être parce qu’on le sentait en dehors des classes sociales établies.

C’était l’homme qu’on voit à toute heure dans les cafés et dans les brasseries, buvant du mousseux en compagnie de filles et logeant dans les hôtels de troisième ordre.

— Vous d’abord ! Votre nom, domicile, profession…

Il voulut se lever.

— Restez assis…

— Je vais vous expliquer.

— Rien du tout ! Votre nom…

— Gaston Buzier… Pour le moment, je m’occupe de vente et de location de villas… J’habite le plus souvent au Havre, à l’Hôtel de l’Anneau d’Argent

— Vous êtes établi marchand de biens ?

— Non… Mais…

— Vous êtes au service d’une agence ?…

— C’est-à-dire…

— Suffit ! En deux mots, vous bricolez… Qu’est-ce que vous faisiez auparavant ?

— J’étais représentant d’une marque de bicyclettes… J’ai aussi placé des machines à coudre dans les campagnes…

— Combien de condamnations ?

— Ne réponds pas, Gaston ! intervint la femme. C’est un peu fort, à la fin ! C’est nous qui venons pour…

— Tais-toi ! Deux condamnations. Une avec sursis, pour chèque sans provision… Une autre à deux mois, pour n’avoir pas versé au propriétaire l’acompte que j’avais reçu sur une villa… Vous voyez que ce sont des peccadilles…

En tout cas, on sentait chez lui l’habitude d’être en face de la police. Il restait désinvolte, avec un rien de méchanceté dans le regard.

— À votre tour ! fit Maigret en se tournant vers la femme.

— Adèle Noirhomme… née à Belleville…

— Fille soumise ?…

— Il y a cinq ans, ils m’ont mise sur les registres, à Strasbourg, à cause d’une bourgeoise qui m’en voulait de lui avoir chipé son mari… Mais, depuis lors…

— …Vous avez échappé au contrôle de la police !… Parfait !… Voulez-vous me dire à quel titre vous vous êtes embarquée sur l’Océan ?

— Il faut d’abord qu’on vous explique ! répliqua l’homme. Parce que, si l’on est ici, c’est justement qu’on n’a rien à se reprocher… À Yport, Adèle est venue me dire que vous aviez sa photographie et que vous alliez sûrement l’arrêter… Notre première idée a été de filer pour éviter les histoires… Parce qu’on connaît quand même la musique !… À Étretat, j’ai aperçu de loin les gendarmes en faction et j’ai compris qu’on allait être traqués… Alors, j’ai préféré venir de moi-même…

— À vous, Madame ! Je vous ai demandé ce que vous faisiez à bord du chalutier…

— C’est bien simple ! Je suivais mon amant !

— Le capitaine Fallut ?

— Le capitaine, oui ! J’étais pour ainsi dire avec lui depuis le mois de novembre… On s’est rencontrés au Havre, dans un café… Il est tombé amoureux… Il est revenu deux ou trois fois par semaine… Même qu’au début je le prenais pour un maniaque, parce qu’il ne me demandait rien… Mais non ! il était pincé… Le grand jeu !… Il m’a loué une jolie chambre meublée et j’ai compris que, si je savais m’y prendre, il finirait par m’épouser… Les marins, ça ne roule pas sur l’or, mais c’est régulier, et il y a la pension…

— Vous n’êtes jamais venue à Fécamp avec lui ?

— Non ! Il me le défendait. C’est lui qui venait là-bas. Il était jaloux. Un bonhomme qui n’a pas dû avoir beaucoup d’aventures car, à cinquante ans, il était aussi timide avec les femmes qu’un collégien… Avec ça, quand il m’a eue dans la peau…

— Pardon ! Vous étiez déjà la maîtresse de Gaston Buzier ?

— Naturellement ! Mais j’avais présenté Gaston à Fallut comme mon frère…

— Compris ! En somme, vous viviez tous les deux des subsides du capitaine…

— Je travaillais ! protesta Buzier.

— On connaît ça ! Tous les samedis après-midi ! Qui est-ce qui a pensé à vous faire embarquer ?

— Fallut ! À l’idée de me laisser seule pendant toute la campagne, il se rongeait… D’autre part, il avait la frousse, parce que le règlement est sévère et que c’était un homme à cheval sur les règlements… Jusqu’au dernier moment, il a résisté… Puis il est venu me chercher… Il m’a fait entrer dans sa cabine, la nuit qui a précédé le débarquement… Moi, ça m’amusait, à cause du changement, mais si j’avais su ce que c’était, je l’aurais laissé tomber en vitesse !…

— Buzier n’a pas protesté ?…

— Il était hésitant… Vous comprenez ?… Fallait pas aller contre les idées du vieux… Il m’avait promis de prendre sa retraite tout de suite après la campagne et de m’épouser… Une jolie vie qu’il m’a réservée !… Enfermée toute la journée dans une cabine qui puait le poisson !… Et encore ! quand il entrait quelqu’un, je devais me cacher sous le lit !… On était à peine en mer que Fallut regrettait déjà de m’avoir emmenée… Je n’ai jamais vu un homme avoir les foies comme lui… Dix fois par jour il venait s’assurer que la porte était bien fermée… Si je parlais, il me faisait taire, par crainte qu’on m’entende… Il était maussade crispé… Il lui arrivait de me regarder pendant de longues minutes comme si la tentation le prenait de se débarrasser de moi en me lançant par-dessus bord…

Elle avait la voix criarde. Elle gesticulait.

— Sans compter qu’il devenait toujours plus jaloux ! Il me questionnait sur mon passé. Il essayait de savoir… Il restait des trois jours sans me parler, à m’épier comme une ennemie… Puis tout à coup, la passion le reprenait… Il y a eu des moments où j’avais peur de lui…

— Quels sont les membres de l’équipage qui vous ont vue à bord ?…

— C’était la quatrième nuit… Je voulais prendre l’air sur le pont… J’en avais assez d’être enfermée… Fallut est allé s’assurer qu’il n’y avait personne… C’est tout juste s’il m’a permis de faire cinq pas en long et en large… Il a dû monter un instant sur la passerelle et c’est alors que le télégraphiste est arrivé, qu’il m’a parlé… Il était tout intimidé, mais fiévreux… Le lendemain, il est parvenu à pénétrer dans ma cabine…

— Fallut l’a vu ?

— Je ne crois pas… Il ne m’a rien dit…

— Vous êtes devenue la maîtresse de Le Clinche ?

Elle ne répondit pas. Gaston Buzier ricana.

— Avoue donc ! lui lança-t-il d’une voix méchante.

— Est-ce que je ne suis pas libre ? Surtout que tu t’es privé de femmes pendant mon absence… Hein ?… La petite de la Villa des Fleurs !… Et cette photo que j’ai trouvée dans ta poche…

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