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Simenon, Georges - Liberty Bar

Читать бесплатно Simenon, Georges - Liberty Bar. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Le boucher qui arrivait derrière, dans la demi-obscurité… Les deux femmes qui se mettaient à courir avec leurs valises trop lourdes et qui en abandonnaient une en chemin…

Une limousine passa, conduite par un chauffeur. Dans le fond, un visage asiatique : sans doute le maharadjah… La mer était rouge et bleu, avec une transition orangée… Des lampes électriques s’allumaient, encore pâles…

Alors Maigret, qui était tout seul dans ce vaste décor, s’avança vers la grille de la villa, comme un propriétaire qui rentre chez lui, tourna la clé dans la serrure, laissa la grille entrouverte et gravit le perron. Les arbres étaient pleins d’oiseaux. La porte eut un grincement qui devait être familier à Brown.

Sur le seuil, Maigret essaya d’analyser l’odeur… Car chaque maison a son odeur… Celle-ci était surtout à base d’un parfum très fort, sans doute de musc… Puis des relents de cigare refroidi…

Il tourna le commutateur électrique, alla s’asseoir dans le salon, près de l’appareil de TSF et du phono, à la place où Brown devait s’asseoir, car c’était le fauteuil le plus fatigué.

— Il a été assassiné, et les deux femmes…

La lumière était mauvaise, mais il s’avisa qu’un lampadaire était branché à une prise de courant. Il était recouvert d’un immense abat-jour en soie rose. Dès que la lampe était allumée, la pièce prenait vie.

— Il a rendu pendant la guerre des services au 2e Bureau…

Cela se savait. C’est pourquoi les journaux locaux, qu’il avait lus dans le train, montaient cette affaire en épingle. Pour le public, l’espionnage est une chose mystérieuse et pleine de prestige.

Dès lors, on lisait des titres idiots, dans le genre de :

Une affaire internationale.

Une seconde affaire Kotioupoff ?…

Un drame de l’espionnage.

Des journalistes reconnaissaient la main de la Tchéka, d’autres les méthodes del’Intelligence Service.

Maigret regardait autour de lui avec l’impression qu’il manquait quelque chose. Et il trouva. Ce qui faisait froid, c’était la grande baie derrière laquelle stagnait la nuit. Or il y avait un rideau, qu’il ferma.

— Voilà ! Une femme dans cette bergère sans doute avec un ouvrage de couture…

L’ouvrage y était : une broderie, sur une petite table.

— L’autre dans ce coin…

Et dans ce coin-là il y avait un livre : Les Passions de Rudolf Valentino…

— Il ne manque plus que Gina et sa mère…

Il fallait un effort d’attention pour distinguer le léger froissement de l’eau le long des rochers de la côte. Maigret regardait à nouveau la photographie, qui portait la signature d’un photographe de Nice.

— Pas d’histoires !

Autrement dit, découvrir au plus vite la vérité pour couper court aux divagations des journalistes et de la population. Il y eut des pas sur le gravier du jardin. Une cloche au son très grave, très séduisant, tinta dans le hall. Et Maigret alla ouvrir, distingua, près de deux silhouettes féminines, un homme avec un képi.

— Vous pouvez aller… Je me charge d’elles… Entrez, mesdames !…

Il avait l’air de les recevoir. Il ne voyait pas encore leurs traits. Par contre, il respirait à plein nez l’odeur de musc.

— J’espère qu’on a enfin compris… commença une voix légèrement cassée.

— Parbleu !… Entrez donc… Mettez-vous à votre aise…

Elles pénétraient dans la lumière. La mère avait un visage tout ridé, enduit d’une couche compacte de fards. Debout au milieu du salon, elle regardait autour d’elle comme pour s’assurer que rien ne manquait.

L’autre, plus méfiante, observait Maigret, arrangeait les plis de sa robe, esquissait un sourire qu’elle voulait excitant.

— C’est vrai qu’on vous a fait venir de Paris tout exprès ?…

— Enlevez votre manteau, je vous en prie… Installez-vous comme d’habitude…

Elles ne comprenaient pas encore très bien. Elles étaient chez elles comme des étrangères. Elles craignaient un piège.

— On va bavarder tous les trois…

— Vous savez quelque chose ?

C’était la fille qui avait parlé, et la mère, cassante, lui lançait :

— Attention, Gina !

À vrai dire, Maigret, une fois de plus, avait de la peine à prendre son rôle au sérieux. La vieille, en dépit de son maquillage, était horrible à voir.

Quant à la fille, aux formes pleines, voire un peu trop abondantes, moulées dans de la soie sombre, elle incarnait la fausse femme fatale.

Et l’odeur ! Ce musc de renfort qui venait saturer à nouveau l’air de la pièce !

Cela faisait penser à une loge de concierge dans un petit théâtre !

Rien de dramatique ! Rien de mystérieux ! La maman qui brodait en surveillant sa fille ! Et la fille qui lisait les aventures de Valentino !

Maigret, qui avait repris sa place dans le fauteuil de Brown, les regardait avec des yeux sans expression et se demandait avec un rien de gêne : « Qu’est-ce que, diable, cet animal de Brown a pu faire pendant dix ans avec ces deux femmes-là ? »

Dix ans ! De longues journées de soleil immuable, de senteurs de mimosa, avec le balancement, sous les fenêtres, de l’immensité bleue, et dix ans de soirs quiets, interminables, à peine froissés par le bruissement d’une vague sur les roches, et les deux femmes, la mère dans sa bergère, la fille près de la lampe à abat-jour de soie rose…

Il tripotait machinalement la photographie de ce Brown qui avait le culot de lui ressembler.

II

Parlez-moi de Brown…

— Que faisait-il le soir ?

Et Maigret, jambes croisées, regardait avec ennui la vieille qui s’essayait à jouer les femmes distinguées.

— Nous sortions très peu… Le plus souvent ma fille lisait pendant que…

— Parlez-moi de Brown !

Alors, froissée, elle laissa tomber :

— Il ne faisait rien !

— Il faisait de la TSF, soupira Gina qui, elle, prenait des poses nonchalantes. Autant j’aime la vraie musique, autant j’ai horreur de…

— Parlez-moi de Brown. Il avait une bonne santé ?

— S’il m’avait écoutée, commença la mère, il n’aurait jamais souffert du foie, ni des reins… Un homme, quand il atteint la quarantaine…

Maigret avait la mine du monsieur à qui un joyeux imbécile raconte de vieilles plaisanteries en éclatant de rire à chaque instant. Elles étaient aussi ridicules l’une que l’autre, la vieille avec ses airs pincés, l’autre avec ses poses d’odalisque bien portante.

— Vous avez dit qu’il est revenu en auto, le soir, qu’il a traversé le jardin et qu’il est tombé sur le perron…

— Comme s’il était ivre mort, oui ! Par la fenêtre, je lui ai crié qu’il ne rentrerait que quand il serait dans un autre état…

— Il rentrait souvent ivre ?

Encore la vieille :

— Si vous saviez la patience que nous avons dû avoir, pendant les dix ans que…

— Il rentrait souvent ivre ?

— Chaque fois qu’il faisait une fugue, ou presque… Nous disions une neuvaine…

— Et il faisait souvent des neuvaines ?

Maigret ne pouvait s’empêcher de sourire de contentement. Brown n’avait donc pas passé toutes les heures des dix dernières années en tête à tête avec les deux femmes !

— À peu près chaque mois.

— Il était parti trois jours, quatre jours, quelquefois davantage… Il revenait sale, imbibé d’alcool…

— Et vous le laissiez quand même repartir ?

Un silence. La vieille, toute raide, lançait au commissaire un regard aigu.

— Je suppose pourtant qu’à vous deux, vous aviez de l’influence sur lui ?

— Il fallait bien qu’il aille chercher l’argent !

— Et vous ne pouviez l’accompagner ?

Gina s’était levée. Elle soupirait avec un geste de lassitude :

— Que tout cela est pénible !… Je vais vous dire la vérité, monsieur le commissaire… Nous n’étions pas mariés, bien que William m’ait toujours traitée comme sa femme, au point de faire vivre maman avec nous… Pour les gens, j’étais Mme Brown… Sinon, je n’aurais pas accepté…

— Ni moi !… ponctua l’autre.

— Seulement, il y a quand même des nuances… Je ne veux pas dire de mal de William… Il n’y a qu’un point sur lequel il ait toujours marqué une différence : la question d’argent…

— Il était riche ?

— Je ne sais pas…

— Et vous ne savez pas non plus où était sa fortune !… C’est pour cela que vous le laissiez partir, chaque mois, à la recherche des fonds ?…

— J’ai essayé de le suivre, je l’avoue… Est-ce que ce n’était pas mon droit ?… Mais il prenait des précautions… Il partait avec l’auto…

Maigret, maintenant, était à son aise.

Il commençait même à s’amuser. Il était réconcilié avec ce farceur de Brown qui vivait en compagnie de deux mégères mais qui, pendant dix ans, était parvenu à leur cacher la source de ses revenus.

— Il rapportait de grosses sommes à la fois ?

— À peine de quoi vivre un mois… Deux mille francs… À partir du 15, on devait faire attention…

C’était le point névralgique ! Rien que d’y penser, elles enrageaient toutes les deux !

Parbleu ! Dès que les fonds baissaient, elles devaient observer William avec inquiétude, en se demandant s’il n’allait pas bientôt commencer sa neuvaine.

Elles ne pouvaient guère lui dire : « Alors ?… Tu ne vas pas faire ta petite bombe ?… »

Elles procédaient par allusions ! Maigret imaginait très bien cela !

— Au fait, qui tenait la bourse ?

— Maman… dit Gina.

— C’est elle qui faisait les menus ?

— Bien entendu ! Et la cuisine ! Puisqu’il n’y avait pas assez d’argent pour payer une domestique !

Alors, le truc était trouvé. Les derniers jours, on servait à Brown des repas impossibles, misérables. Et, à ses critiques, on répondait : « C’est tout ce que l’on peut s’offrir avec l’argent qui reste ! »

Est-ce qu’il se faisait quelquefois tirer l’oreille ? Est-ce qu’au contraire il avait hâte de partir ?

— Quelle heure choisissait-il pour s’en aller ?

— Il n’avait pas d’heure ! On le croyait dans le jardin, ou bien occupé au garage à nettoyer la voiture… Tout à coup on entendait le moteur…

— Et vous avez essayé de le suivre… Avec un taxi ?…

— J’en ai fait stationner un pendant trois jours à cent mètres d’ici… Mais, à Antibes, déjà, William nous avait semés dans les petites rues… Je sais pourtant où il garait l’auto… Dans un garage de Cannes… Il l’y laissait tout le temps que durait sa fugue…

— Si bien qu’il prenait peut-être le train pour Paris ou ailleurs ?

— Peut-être !

— Mais peut-être aussi restait-il dans le pays ?

— Il serait étonnant que personne ne l’ait rencontré…

— C’est au retour d’une neuvaine qu’il est mort ?

— Oui… Il y avait sept jours qu’il était parti…

— Et vous avez retrouvé l’argent sur lui ?

— Deux mille francs, comme d’habitude.

— Voulez-vous mon idée ? intervint la vieille. Eh bien ! William devait avoir une rente beaucoup plus importante… Peut-être quatre mille… Peut-être cinq… Il préférait dépenser le reste tout seul… Et nous, il nous condamnait à vivre avec une somme dérisoire…

Maigret était enfoncé béatement dans le fauteuil de Brown. À mesure que cet interrogatoire durait, le sourire s’accentuait sur ses lèvres.

— Il était très méchant ?

— Lui ?… C’était la crème des hommes…

— Attendez ! Nous allons, si vous le voulez bien, reconstituer l’emploi d’une journée. Qui se levait le premier ?

— William… Il dormait la plupart du temps sur le divan qui est dans le hall. On l’entendait déjà aller et venir alors qu’il faisait à peine jour… Je lui ai dit cent fois…

— Pardon ! C’est lui qui préparait le café ?

— Oui… Quand nous descendions, vers dix heures, il y avait du café sur le réchaud… Mais il était froid…

— Et Brown ?

— Il tripotait… Dans le jardin… Dans le garage… Ou bien il s’asseyait devant la mer… C’était l’heure du marché… Il sortait la voiture… Encore une chose que je n’ai jamais pu obtenir de lui : qu’il fasse sa toilette avant d’aller au marché… Il avait toujours sa chemise de nuit sous le veston, ses pantoufles, ses cheveux non peignés… Nous allions à Antibes… Il attendait devant les magasins…

— En rentrant, il s’habillait ?

— Quelquefois, oui ! Quelquefois, non ! Il lui est arrivé de rester quatre ou cinq jours sans se laver.

— Où mangiez-vous ?

— Dans la cuisine ! Quand on n’a pas de domestique, on ne peut pas se permettre de salir toutes les pièces…

— L’après-midi ?…

Parbleu ! Elles faisaient la sieste. Puis, vers cinq heures, on commençait à traîner les pantoufles à travers la maison !

— Beaucoup de disputes ?

— Presque jamais ! Et pourtant, quand on lui disait quelque chose, William avait une façon insultante de se taire…

Maigret ne riait pas. Il commençait à se sentir tout à fait copain avec ce sacré Brown.

— Donc, on l’a assassiné… Cela aurait pu avoir lieu pendant qu’il traversait le jardin… Mais, puisque vous avez trouvé du sang dans la voiture…

— Quel intérêt aurions-nous à mentir ?

— Évidemment ! Donc, il a été tué ailleurs ! Ou plutôt blessé ! Et, au lieu de se rendre chez un docteur, ou au commissariat, il est venu échouer ici… Vous avez transporté le corps à l’intérieur ?…

— On ne pouvait pas le laisser dehors !

— Maintenant, dites-moi pourquoi vous n’avez pas averti les autorités… Je suis persuadé que vous aviez une excellente raison…

Et la vieille, debout, catégorique :

— Oui, monsieur ! Cette raison, je vais vous la dire ! D’ailleurs, vous apprendriez un jour ou l’autre la vérité ! Brown a été marié, jadis, en Australie… Car il est Australien… Sa femme vit encore… Elle a toujours refusé le divorce et elle sait pourquoi. Si, à l’heure qu’il est, nous n’habitons pas la plus belle villa de la Côte d’Azur, c’est à cause d’elle…

— Vous l’avez vue ?

— Elle n’a jamais quitté l’Australie… Mais elle a fait tant et si bien qu’elle a obtenu que son mari soit mis sous conseil judiciaire… Depuis dix ans, nous vivons avec lui, nous le soignons, nous le consolons… Grâce à nous, il y a un peu d’argent de côté… Eh bien ! si…

— Si Mme Brown avait appris la mort de son mari, elle aurait fait tout saisir ici !

— Justement ! Nous nous serions sacrifiées pour rien ! Et pas seulement cela ! Je ne suis pas sans ressources ! Mon mari était dans l’armée, et je touche une petite pension… Bien des choses qui sont ici m’appartiennent… Seulement cette femme a la loi pour elle, et elle nous aurait tout simplement mises à la porte…

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