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Simenon, Georges - La danseuse du Gai-Moulin

Читать бесплатно Simenon, Georges - La danseuse du Gai-Moulin. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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« On lui donne une première mission : se rendre à Liège et voler des documents dans un cabaret de nuit…

« C’est le moyen de s’assurer de l’état de ses nerfs. La mission est fausse. On l’envoie tout simplement chez d’autres agents du même service, qui jugeront des qualités de notre homme…

« Et Graphopoulos est effrayé ! Il s’est imaginé l’espionnage sous une autre forme ! Il s’est vu dans les palaces, interrogeant les ambassadeurs, ou invité dans les petites cours d’Europe…

« Il n’ose pas refuser. Mais il demande à la police de le surveiller. Il prévient son chef qu’il est suivi…

« — Un inspecteur est sur mes talons ! Je suppose que, dans ce cas, je ne dois pas aller à Liège…

« — Allez-y quand même !

« Et le voilà affolé ! Il tente d’échapper à la surveillance qu’il a voulue. Il retient une place dans l’avion de Londres, prend un billet pour Berlin, débarque à la gare des Guillemins…

« Le Gai-Moulin !… C’est ici qu’il doit opérer… Il ignore que le patron est de la bande, qu’il est averti, qu’il ne s’agit que d’une épreuve et qu’au surplus il n’y a pas un seul document à voler dans le cabaret…

« Une danseuse s’assied à sa table… Il lui donne rendez-vous pour la fin de la nuit dans sa chambre, car, avant tout, c’est un jouisseur… Comme il arrive presque toujours, le risque émoustille sa sensualité… Enfin, il ne sera pas seul !… En acompte, il lui abandonne son étui à cigarettes qu’elle admire…

« Il observe les gens. Il ne sait rien. Ou plutôt il ne sait qu’une chose : c’est que tout à l’heure il devra s’arranger pour se faire enfermer dans le local et pour rechercher les documents qui lui sont demandés…

« Genaro, prévenu, l’épie avec le sourire… Victor, qui en est, est obséquieux et ironique en lui servant le champagne…

« Quelqu’un, par hasard, a entendu l’adresse donnée à Adèle.

« — Hôtel Moderne… Chambre 18…

« Et il nous faut passer à une autre histoire !

Maigret regarde M. Delfosse, et lui seul.

— Vous voudrez bien m’excuser de parler de vous. Vous êtes riche. Vous avez une femme, un fils et des maîtresses. Vous menez joyeuse vie sans vous douter que le gamin, mal portant, trop nerveux, essaie, dans sa petite sphère, de vous imiter.

« Il voit l’argent dépensé en abondance autour de lui. Vous lui en donnez, trop et pas assez tout ensemble.

« Depuis des années, il vous vole et il vole même ses oncles par surcroît !

« En votre absence, il roule dans votre auto. Il a des maîtresses, lui aussi. Bref, c’est dans toute l’acception du mot le fils à papa dégénéré.

« Non ! ne protestez pas… Attendez…

« Il a besoin d’un ami, d’un confident… Il entraîne Chabot dans son sillage… Un jour, ils sont à la corde… Ils ont des dettes partout… Et ils décident d’emporter la caisse du Gai-Moulin…

« C’est le soir de Graphopoulos… Delfosse et Chabot se cachent dans l’escalier de la cave alors qu’on les croit partis… Est-ce que Genaro l’ignore ?… Peu importe, mais j’en doute !

« Il est, lui, le type du bon agent secret. Il tient un cabaret. Il paie patente, comme il l’a dit tout à l’heure. Il a des sous-agents qui travaillent pour lui ! Il se sent d’autant plus en sécurité qu’il sert d’indicateur à la police…

Et il sait que Graphopoulos va se cacher dans le cabaret. Il ferme les portes. Il s’en va avec Victor. Le lendemain, il lui suffira d’adresser un rapport à ses chefs sur la façon dont le Grec se sera comporté…

« Vous voyez que c’est assez compliqué… On pourrait appeler cette nuit-là la nuit des dupes…

« Graphopoulos a bu du champagne pour se donner du courage. Le voilà seul, dans l’obscurité du Gai-Moulin… Il lui reste à chercher les documents qu’on exige de lui…

« Mais il n’a pas encore bougé qu’une porte s’ouvre. Une allumette craque…

« Il est effrayé. N’était-il pas effrayé d’avance ?… Il n’a pas le courage d’attaquer… Il aime mieux faire le mort…

« Et il voit ses ennemis… Deux jeunes gens qui ont plus peur que lui et qui s’enfuient !…

Personne ne bouge. Personne ne semble respirer. Les visages sont tendus et Maigret continue, placide :

— Graphopoulos, resté seul, s’obstine à chercher les documents que ses nouveaux chefs lui ont commandés… Chabot et Delfosse, bouleversés, mangent des moules et des frites, se quittent dans la rue…

« Mais un souvenir hante Delfosse… Hôtel Moderne, chambre 18… Ces mots qu’il a entendus. Or, l’étranger paraissait riche… Et, lui, il a un besoin maladif d’argent… Entrer dans un hôtel la nuit, c’est un jeu d’enfant… La clé de la chambre doit être au tableau… Et puisque Graphopoulos est mort ! Puisqu’il ne remettra pas les pieds chez lui !…

« Il y va. Le portier endormi ne songe pas à l’interroger. Il arrive là-haut, fouille la mallette du voyageur…

« Des pas dans le couloir… La porte qui s’ouvre…

« Et Graphopoulos lui-même !… Graphopoulos qui devrait être mort !…

« Delfosse a tellement peur que, sans réfléchir, il frappe de toutes ses forces, dans l’ombre, avec sa canne, avec la canne à pomme d’or de son père qu’il a emportée ce soir-là, comme cela lui arrive souvent…

« Il est affolé, presque irresponsable… Il prend le portefeuille… Il s’enfuit…

« Peut-être, sous un réverbère, s’assure-t-il du contenu… Il s’aperçoit qu’il y a des dizaines de mille francs, et l’idée lui vient de partir avec Adèle, qu’il a toujours désirée.

« La grande vie, à l’étranger !… La grande vie avec une femme !… Comme un homme véritable !… Comme son père !…

« Mais Adèle dort… Adèle ne veut pas partir… Il cache le portefeuille chez elle, parce qu’il a peur… Il ne se doute pas qu’à la même place, depuis des mois, sans doute depuis des années, Genaro et Victor mettent en sûreté les documents du service d’espionnage…

» Car elle en est ! Ils en sont tous !

« Delfosse n’a gardé sur lui que les billets belges, deux mille francs environ, trouvés dans le portefeuille… Le reste, c’est-à-dire l’argent français, est trop compromettant !

« Le lendemain, il lit les journaux… La victime, sa victime, a été découverte, non à l’hôtel, mais au Jardin d’acclimatation.

« Il ne comprend plus… Il vit dans la fièvre… Il rejoint Chabot… Il l’entraîne avec lui… Il feint de voler son oncle pour expliquer les deux mille francs qu’il a sur lui…

« Il faut se débarrasser de cet argent… Il en charge Chabot… Il est lâche… Pis que lâche : son cas relève de la pathologie… Au fond de lui-même, il en veut à son ami de ne pas partager sa culpabilité… Il voudrait le compromettre, sans oser rien faire de précis pour cela…

« Ne lui en a-t-il pas toujours voulu ?… Une envie, une haine assez complexes… Chabot est propre, ou du moins l’était… Et lui est rongé par des tas de besoins troubles… C’est l’explication de cette amitié étrange, et de ce besoin que Delfosse a toujours eu d’être accompagné de son camarade…

« Il allait le relancer chez lui… Il ne pouvait pas rester seul… et il mêlait l’autre à ses compromissions, à ses petits vols familiaux que la Justice n’a pas à juger…

« Chabot ne revient pas du lavabo… Chabot est arrêté… Il ne se met pas à sa recherche… Il boit… Et il a besoin de quelqu’un pour boire avec lui… Il y a une chose qu’il ne peut pas supporter : la solitude…

« Ivre, il rentre avec la danseuse, s’endort… Au petit jour, il s’effraie de sa situation… Sans doute voit-il l’inspecteur posté dans la rue…

« Il n’ose pas toucher à l’argent de Graphopoulos qui est sur le meuble… Il ne reste que des billets français, trop facilement identifiables… Il préfère voler sa compagne…

« Ce qu’il espère ?… Rien !… Et tout ce qu’il fera désormais sera dans la suite logique des choses…

« Il devine confusément qu’il n’échappera pas à la Justice… D’autre part, il n’ose pas se rendre…

« Demandez au commissaire Delvigne où la police va chercher – et où elle trouve neuf fois sur dix ! – les malfaiteurs de cette espèce !

« Dans les mauvais lieux… Il lui faut de la boisson, du bruit, des femmes… Il entre quelque part, près de la gare… Il veut emmener la serveuse… À son défaut, il va chercher une fille dans la rue… Il paie à boire… Il montre ses billets, les distribue… Il est frénétique…

« Quand on l’arrête, il ment, maladivement ! Il ment sans espoir ! Il ment pour mentir, comme certains enfants vicieux !

« Il est prêt à raconter n’importe quoi, à donner des détails… Et c’est encore un trait de caractère qui suffit à le classer…

« Mais on lui dit que l’assassin est arrêté… C’est moi !… On le relâche… Il apprend un peu plus tard que l’assassin s’est tué après avoir fait des aveux…

« Devine-t-il le piège ?… Vaguement… Quelque chose le pousse, en tout cas, à supprimer les preuves de sa responsabilité… Et c’est pourquoi j’ai joué cette comédie qui a pu paraître enfantine…

« Il y avait deux moyens de pousser Delfosse aux aveux : celui que j’ai employé ou alors le laisser seul, des heures durant, tout seul dans l’obscurité dont il a aussi peur que de la solitude…

« Il se serait mis à trembler… Il aurait avoué tout ce qu’on aurait voulu, même plus que la vérité…

« Je le sais coupable, moi, depuis le moment où il a été prouvé que les deux mille francs n’ont pas été volés à la chocolaterie… Dès lors, tous ses faits et gestes n’ont fait que renforcer mon opinion…

« Un cas banal, malgré sa morbidesse et sa complexité apparentes.

« Mais il me restait quelque chose à comprendre : l’autre, le cas Graphopoulos… Par conséquent, il restait aussi d’autres coupables…

« L’annonce de la mort de l’assassin, de ma mort, les a tous fait sortir du nid…

« Delfosse vient chercher le portefeuille compromettant…

« Victor vient chercher…

Maigret fit lentement des yeux le tour de l’assistance.

— Depuis combien de temps, Adèle, Genaro se sert-il de votre logement pour y cacher ses papiers dangereux ?

Elle haussa les épaules avec indifférence, en femme qui s’attend depuis longtemps à une catastrophe.

— Il y a des années ! C’est lui qui m’a fait venir de Paris, où je crevais de faim…

— Vous avouez, Genaro ?

— Je ne répondrai qu’en présence de mon avocat.

— Vous aussi ?… Comme Victor ?…

M. Delfosse ne disait rien, tenait la tête basse, le regard rivé à sa canne, cette canne qui avait tué Graphopoulos.

— Mon fils n’est pas responsable… murmura-t-il soudain.

— Je sais !

Et, comme l’autre le regardait, troublé et gêné tout ensemble :

— Vous allez me confier qu’il a hérité de vous certaines tares susceptibles d’atténuer sa responsabilité et…

— Qui vous l’a dit ?

— Voyez donc votre tête et la sienne dans la glace !

Et ce fut tout ! Trois mois plus tard, Maigret était chez lui, à Paris, boulevard Richard-Lenoir, et dépouillait le courrier que la concierge venait de monter.

— Des lettres intéressantes ? questionna Mme Maigret tout en secouant une carpette à la fenêtre.

— Une carte de ta sœur qui annonce qu’elle va avoir un bébé…

— Encore !

— Une lettre de Belgique…

— Qu’est-ce que c’est ?…

— Rien d’intéressant. Un ami, le commissaire Delvigne, qui m’envoie une pipe par colis postal et qui m’annonce des condamnations…

Il lut à mi-voix :

… Genaro à cinq ans de travaux forcés, Victor à trois ans et la fille Adèle, faute de preuves formelles, remise en liberté…

— Quels sont ces gens-là ?… fit Mme Maigret qui, femme d’un commissaire de la Police judiciaire, n’en avait pas moins gardé toute sa candeur de vraie fille de la campagne française.

— Pas intéressants ! Des types qui tenaient un cabaret à Liège, un cabaret où il n’y avait pas de clients, mais où l’on faisait activement de l’espionnage…

— Et la fille Adèle ?

— La danseuse de l’établissement… Comme toutes les danseuses…

— Tu l’as connue ?

Et il y eut soudain de la jalousie dans la voix de Mme Maigret.

— Je suis allé chez elle une fois !

— Tiens ! Tiens !…

— Voilà que tu parles comme M. Delvigne lui-même ! Je suis allé chez elle, mais en compagnie d’une bonne demi-douzaine de personnes.

— Elle est jolie ?

— Pas mal ! Des petits jeunes gens en étaient fous.

— Rien que des petits jeunes gens ?…

Maigret fit sauter une autre enveloppe, au timbre belge.

— Voilà justement la photographie de l’un d’entre eux, dit-il.

Et il tendit le portrait d’un jeune homme dont les épaules étroites paraissaient plus étroites encore sous l’uniforme. Comme fond, la cheminée d’un paquebot.

… et je me permets de vous adresser la photographie de mon fils qui a quitté Anvers cette semaine à bord de l’Elisabethville à destination du Congo. J’espère que la vie rude des colonies…

— Qui est-ce ?

— Un des petits amoureux d’Adèle !

— Il a fait quelque chose ?

— Il a bu des verres de porto dans une boîte de nuit où il aurait mieux fait de ne jamais mettre les pieds.

— Et il était son amant ?

— Jamais de la vie ! Tout au plus, une fois, l’a-t-il regardée comme elle était en train de s’habiller…

Alors Mme Maigret conclut :

— Les hommes sont tous les mêmes !

En dessous du tas de lettres, il y avait un faire-part bordé de noir que Maigret ne montra pas.

Ce jour, en la clinique Sainte-Rosalie, est décédé, dans sa dix-huitième année, René-Joseph-Arthur Delfosse, muni des sacrements de…

La clinique Sainte-Rosalie, à Liège, est l’établissement qui reçoit les riches malades du cerveau.

Au-dessous de la feuille, trois mots : Priez pour lui.

Et Maigret évoqua M. Delfosse père, avec sa femme, son usine, ses maîtresses.

Puis Graphopoulos, qui avait voulu jouer à l’espion, parce qu’il n’avait rien à faire et qu’il les imaginait prestigieux, comme on les décrit dans les romans.

Huit jours plus tard, dans une boîte de Montmartre, une femme lui sourit, devant un verre vide que la direction de l’établissement plaçait sur la table pour la forme.

C’était Adèle.

— Je vous jure que je savais même pas au juste ce qu’ils fricotaient… Il faut bien vivre, n’est-ce pas ?…

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