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Simenon, Georges - Le chien jaune

Читать бесплатно Simenon, Georges - Le chien jaune. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Voilà la première affaire… Michoux a raté son coup… Il est rentré chez lui… Goyard et Le Pommeret, qui sont au courant et qui ont le même intérêt à la disparition de celui qui les menace tous les trois, sont terrorisés…

Emma a compris à quel jeu on l’avait fait jouer… Peut-être a-t-elle aperçu Léon ?… Peut-être son esprit a-t-il travaillé et a-t-elle identifié enfin le chien jaune ?…

Le lendemain, je suis sur les lieux… Je vois les trois hommes… Je sens leur terreur… Ils s’attendent à un drame !… Et je veux savoir d’où ils croient que doit venir le coup… Je tiens à m’assurer que je ne me trompe pas…

C’est moi qui empoisonne une bouteille d’apéritif, maladroitement… Je suis prêt à intervenir au cas où quelqu’un boirait… Mais non !… Michoux veille !… Michoux se méfie de tout, des gens qui passent, de ce qu’il mange, de ce qu’il boit… Il n’ose même plus quitter l’hôtel !…

Emma s’était figée dans une immobilité telle qu’on n’eût pu trouver image plus saisissante de la stupeur. Et Michoux avait redressé la tête un instant, pour regarder Maigret dans les yeux.

Maintenant, il écrivait fiévreusement.

— Voilà le second drame, monsieur le maire ! Et notre trio vit toujours, continue à avoir peur… Goyard est le plus impressionnable des trois, sans doute aussi le moins mauvais bougre… Cette histoire d’empoisonnement l’a mis hors de lui… Il sent qu’il y passera un jour ou l’autre… Il me devine sur la piste… Et il décide de fuir… Fuir sans laisser de traces… Fuir sans qu’on puisse l’accuser d’avoir fui… Il feindra une agression, laissera croire qu’il est mort et que son corps a été jeté dans l’eau du port…

Auparavant, la curiosité le pousse à fureter chez Michoux, peut-être à la recherche de Léon et pour lui proposer la paix… Il y trouve des traces du passage de la brute. Ces traces, il comprend que je ne vais pas tarder à les découvrir à mon tour.

Car il est journaliste !… Il sait par surcroît combien les foules sont impressionnables… Il sait que tant que Léon vivra, il ne sera en sûreté nulle part… Et il trouve quelque chose de vraiment génial… : l’article écrit de la main gauche et envoyé au Phare de Brest…

On y parle du chien jaune, du vagabond… Chaque phrase est calculée pour semer la terreur à Concarneau… Et, de la sorte, il y a des chances, si des gens aperçoivent l’homme aux grands pieds, que celui-ci reçoive une charge de plomb dans la poitrine…

Cela a failli arriver !… On a commencé par tirer sur le chien… On aurait tiré de même sur l’homme !… Une population affolée est capable de tout…

Le dimanche, en effet, la terreur règne en ville… Michoux ne quitte pas l’hôtel… Il est malade de peur… Mais il reste bien décidé à se défendre jusqu’au bout, par tous les moyens…

Je le laisse seul avec Le Pommeret… J’ignore ce qui se passe alors entre eux… Goyard a fui… Le Pommeret, lui, qui appartient à une honorable famille du pays, doit être tenté de faire appel à la police, de tout révéler plutôt que de continuer à vivre ce cauchemar… Que risque-t-il ?… Une amende !… Un peu de prison !… A peine !… Le principal délit a été commis en Amérique…

Et Michoux, qui le sent faiblir, qui a le meurtre de Mostaguen sur la conscience, qui veut en sortir coûte que coûte par ses propres moyens, n’hésite pas à l’empoisonner…

Emma est là… N’est-ce pas elle qu’on soupçonnera ?…

Je voudrais vous parler plus longuement de la peur, parce que c’est elle qui est à la base de tout ce drame. Michoux a peur… Michoux veut vaincre sa peur plus encore que son ennemi…

Il connaît Léon Le Guérec. Il sait que celui-ci ne se laissera pas arrêter sans résistance… Et il compte sur une balle, tirée par les gendarmes ou par quelque habitant effrayé pour en finir…

Il ne bouge pas d’ici… J’apporte le chien blessé mourant… Je veux savoir si le vagabond viendra le chercher, et il vient…

On n’a plus vu la bête depuis et cela me prouve qu’elle est morte…

Ce fut un simple bruit dans la gorge de Léon.

— Oui…

— Vous l’avez enterrée ?…

— Au Cabélou… Il y a une petite croix, faite de deux branches de sapin…

— La police trouve Léon Le Guérec. Il s’enfuit, parce que sa seule idée est de forcer Michoux à l’attaquer… Il l’a dit : il veut le voir en prison… Mon devoir est d’empêcher un nouveau drame et c’est pourquoi j’arrête Michoux, tout en lui affirmant que c’est pour le mettre en sûreté… Ce n’est pas un mensonge… Mais, par la même occasion, j’empêche Michoux de commettre d’autres crimes… Il est à bout… Il est capable de tout… Il se sent traqué de toutes parts…

N’empêche qu’il est encore capable de jouer la comédie, de me parler de sa faiblesse de constitution, de mettre sa frousse sur le compte du mysticisme et d’une vieille prédiction inventée de toutes pièces…

Ce qu’il lui faut, c’est que la population se décide à abattre son ennemi…

Il sait qu’il peut être logiquement soupçonné de tout ce qui s’est passé jusque-là… Seul dans cette cellule, il se creuse la tête…

N’y a-t-il pas un moyen de détourner définitivement les soupçons ?… Qu’un nouveau crime soit commis, alors qu’il est sous les verrous, qu’il a le plus éclatant de tous les alibis ?…

Sa mère vient le voir… Elle sait tout… Il faut qu’elle ne puisse être soupçonnée, ni rejointe par des poursuivants… Il faut qu’elle le sauve !…

Elle dînera chez le maire. Elle se fera reconduire à sa villa, où la lampe ne s’éteindra pas de la soirée… Elle reviendra en ville à pied… Tout le monde dort ?… Sauf au Café de l’Amiral !… Il suffit d’attendre que quelqu’un sorte, de le guetter à un coin de rue…

Et, pour l’empêcher de courir, c’est la jambe que l’on visera…

Ce crime-là, totalement inutile, est la pire des charges contre Michoux, si nous n’en avions déjà d’autres… Le matin, quand j’arrive ici, il est fébrile… Il ne sait pas que Goyard a été arrêté à Paris… Il ignore surtout qu’au moment où le coup de feu a été tiré sur le douanier, j’avais le vagabond sous les yeux…

Car Léon, poursuivi par la police et la gendarmerie, est resté dans le pâté de maisons… Il a hâte d’en finir… Il ne veut pas s’éloigner de Michoux…

Il dort dans une chambre de l’immeuble vide… De sa fenêtre, Emma l’aperçoit… Et la voilà qui le rejoint… Elle lui crie qu’elle n’est pas coupable !… Elle se jette, elle se traîne à ses genoux…

C’est la première fois qu’il la revoit en face, qu’il entend à nouveau le son de sa voix… Elle a été à un autre, à d’autres…

Mais que n’a-t-il pas vécu, lui ?… Son cœur fond… Il la saisit d’une main brutale, comme pour la broyer, mais ce sont ses lèvres qu’il écrase sous les siennes…

Il n’est plus l’homme tout seul, l’homme d’un but, d’une idée. Dans ses larmes, elle lui a parlé d’un bonheur possible, d’une vie à recommencer…

Et ils partent tous les deux, sans un sou, dans la nuit… Ils vont n’importe où !… Ils abandonnent Michoux à ses terreurs…

Ils vont essayer quelque part d’être heureux…

Maigret bourra sa pipe, lentement, en regardant tour à tour toutes les personnes présentes.

— Vous m’excuserez, monsieur le maire, de ne pas vous avoir tenu au courant de mon enquête… Mais, quand je suis arrivé, j’ai eu la certitude que le drame ne faisait que commencer… Pour en connaître les ficelles, il fallait lui permettre de se développer en évitant autant que possible les dégâts… Le Pommeret est mort, assassiné par son complice… Mais, tel que je l’ai vu, je suis persuadé qu’il se serait tué lui-même le jour de son arrestation… Un douanier a reçu une balle dans la jambe… Dans huit jours il n’y paraîtra plus… Par contre, je puis signer maintenant un mandat d’arrêt contre le docteur Ernest Michoux pour tentative d’assassinat et blessures sur la personne de M. Mostaguen et pour empoisonnement volontaire de son ami Le Pommeret. Voici un autre mandat contre Mme Michoux pour agression nocturne… Quant à Jean Goyard, dit Servières, je crois qu’il ne peut guère être poursuivi que pour outrage à la magistrature, par le fait de la comédie qu’il a jouée…

Ce fut le seul incident comique. Un soupir ! Un soupir heureux, aérien, poussé par le journaliste grassouillet. Et il eut le culot de balbutier :

— Je suppose, dans ce cas, que je puis être laissé en liberté sous caution ?… Je suis prêt à verser cinquante mille francs…

— Le Parquet appréciera, monsieur Goyard…

Mme Michoux s’était écroulée sur sa chaise, mais son fils avait plus de ressort qu’elle.

— Vous n’avez rien à ajouter ? lui demanda Maigret.

— Pardon ! Je répondrai en présence de mon avocat. En attendant, je fais toutes réserves sur la légalité de cette confrontation…

Et il tendait son cou de jeune coq maigre, où saillait une pomme d’Adam jaunâtre. Son nez paraissait plus oblique que de coutume. Il n’avait pas lâché le carnet où il avait pris des notes.

— Ces deux-là ?… murmura le maire en se levant.

— Je n’ai absolument aucune charge contre eux. Léon Le Guérec a avoué que son but était d’amener Michoux à tirer sur lui… Pour cela, il n’a fait que se montrer… Il n’existe pas de texte de loi qui…

— A moins que… pour vagabondage ! intervint le lieutenant de gendarmerie.

Mais le commissaire haussa les épaules de telle façon qu’il rougit de sa suggestion.

Bien que l’heure du déjeuner fût passée depuis longtemps, il y avait foule dehors et le maire avait consenti à prêter sa voiture, dont les rideaux fermaient à peu près hermétiquement.

Emma y monta la première, puis Léon Le Guérec, puis enfin Maigret, qui prit place dans le fond avec la jeune femme tandis que le marin s’asseyait gauchement sur un strapontin.

On traversa la foule en vitesse. Quelques minutes plus tard, on roulait vers Quimperlé, et Léon, gêné, le regard flou, questionnait :

— Pourquoi avez-vous dit ça ?…

— Quoi ?…

— Que c’est vous qui avez empoisonné la bouteille ?

Emma était toute pâle. Elle n’osait pas s’adosser aux coussins et c’était sans doute la première fois de sa vie qu’elle roulait en limousine.

— Une idée !… grommela Maigret en serrant de ses dents le tuyau de sa pipe.

Et la jeune fille, alors, de s’écrier, en détresse :

— Je vous jure, monsieur le commissaire, que je ne savais plus ce que je faisais !… Michoux m’avait fait écrire la lettre… J’avais fini par reconnaître le chien… Le dimanche matin, j’ai vu Léon qui rôdait… Alors, j’ai compris… J’ai essayé de parler à Léon et il est parti sans même me regarder, en crachant par terre. J’ai voulu le venger… J’ai voulu… Je ne sais pas, moi !… J’étais comme folle… Je savais qu’ils voulaient le tuer… Je l’aimais toujours. J’ai passé la journée à rouler des idées dans ma tête… C’est à midi, pendant le déjeuner, que j’ai couru à la villa de Michoux pour prendre le poison… Je ne savais pas lequel choisir… Il m’avait déjà montré des fioles en me disant qu’il y avait de quoi tuer tout Concarneau…

Mais je vous jure que je ne vous aurais pas laissé boire… Du moins, je ne crois pas…

Elle sanglotait. Léon, maladroitement, lui tapotait le genou pour la calmer.

— Je ne pourrai jamais vous remercier, commissaire, criait-elle entre ses sanglots… Ce que vous avez fait c’est… c’est… je ne trouve pas le mot… c’est tellement merveilleux !…

Maigret les regardait l’un et l’autre, lui avec sa lèvre fendue, ses cheveux ras et sa face de brute qui essaie de s’humaniser, elle avec sa pauvre tête blêmie dans cet aquarium du Café de l’Amiral.

— Qu’est-ce que vous allez faire ?…

— On ne sait pas encore… Quitter le pays… Gagner Le Havre, peut-être ?… J’ai bien trouvé le moyen de gagner ma vie sur les quais de New York…

— On vous a rendu vos douze francs ?

Léon rougit, ne répondit pas.

— Que coûte le train d’ici au Havre ?…

— Non ! Ne faites pas ça, commissaire… Parce qu’alors… on ne saurait comment… Vous comprenez ?…

Maigret frappa du doigt la vitre de la voiture, car on passait devant une petite gare. Il tira deux billets de cent francs de sa poche.

— Prenez-les !… Je les mettrai sur ma note de frais…

Et il les poussa presque dehors, referma la portière alors qu’ils cherchaient encore des remerciements.

— A Concarneau !… En vitesse !…

Tout seul dans la voiture, il haussa au moins trois fois les épaules, comme un homme qui a une rude envie de se moquer de lui.

Le procès a duré un an. Pendant un an, le docteur Michoux s’est présenté jusqu’à cinq fois par semaine chez le juge d’instruction, avec une serviette de maroquin bourrée de documents.

Et à chaque interrogatoire il y eut de nouveaux sujets de chicane.

Chaque pièce du dossier donna lieu à des controverses, à des enquêtes et à des contre-enquêtes.

Michoux était toujours plus maigre, plus jaune, plus souffreteux, mais il ne désarmait pas.

— Permettez à un homme qui n’en a plus pour trois mois à vivre…

C’était sa phrase favorite. Il se défendit pied à pied avec des manœuvres sournoises, des ripostes inattendues. Et il avait découvert un avocat plus bilieux que lui qui le relayait.

Condamné à vingt ans de travaux forcés par la Cour d’assises du Finistère, il espéra six mois durant que son affaire irait en cassation.

Mais une photographie vieille d’un mois à peine, parue dans tous les journaux, le montre, toujours maigre et jaune, le nez de travers, le sac au dos, le calot sur la tête, s’embarquant à l’île de Ré sur le La Martinière qui conduit cent quatre-vingts forçats à Cayenne.

A Paris, Mme Michoux, qui a purgé une peine de trois mois de prison, intrigue dans les milieux politiques. Elle prétend obtenir la révision du procès.

Elle a déjà deux journaux pour elle.

Léon Le Guérec pêche le hareng en mer du Nord, à bord de la Francette, et sa femme attend un bébé.

La Ferte-Alais, mars 1931.

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