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Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé

Читать бесплатно Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Mais non ! Enjambez l’appui de fenêtre…

Saint-Hilaire le fit avec aisance, remarqua en regardant autour de lui :

— Curieux !… Cette atmosphère dans laquelle vous reconstituez les faits… Ces vêtements… C’est vous qui avez organisé cette mise en scène ?

Maigret bourrait sa pipe avec une lenteur exagérée, tassant chaque pincée de tabac d’une douzaine de petits coups d’index.

— Vous avez une allumette ?

— Un briquet… Je ne me sers jamais d’allumettes…

Le regard du commissaire sembla cueillir trois bouts de bois verdâtres, à l’extrémité consumée, qui se trouvaient dans la cheminée, près des cendres de papier.

— Evidemment ! dit-il, sans qu’on pût deviner à quoi cette approbation s’adressait.

— Vous vouliez me demander quelque chose ?…

— Je ne sais pas encore… Je vous ai aperçu… Et, comme je nage littéralement, je me suis dit qu’un homme intelligent pourrait me donner des idées…

Il s’assit sur un coin de la table, tendit le fourneau de sa pipe vers le briquet que tenait son compagnon.

— Tiens !… Vous êtes gaucher…

— Moi ?… Mais… Non !… C’est un hasard !… Je serais bien incapable de dire pourquoi je vous présente ce briquet de la main gauche…

— Voulez-vous fermer la fenêtre ? Vous serez tout à fait aimable…

Maigret ne le quitta pas des yeux, nota un temps d’arrêt dans les mouvements de Saint-Hilaire qui, avec une application flagrante, se servit de la main droite pour tourner l’espagnolette.

X

Le collaborateur

— Ouvrez la fenêtre…

— Mais vous venez de me prier…

Et Tiburce de Saint-Hilaire sourit, comme pour dire : « Enfin ! Je suis à vos ordres… Cependant je m’explique mal… »

Maigret, lui, ne souriait pas. Et, si l’on eût observé son visage, on y eût sans doute relevé l’ennui comme expression dominante.

Il était bourru dans ses gestes, dans le ton de sa voix. Il marchait à pas saccadés et, par saccades aussi, il redressait la tête, la baissait, prenait un objet à une place pour le déposer à une autre, sans raison.

— Puisque l’enquête vous passionne, je vous prends comme collaborateur… Par conséquent, je ne mettrai pas de gants et je vous traiterai comme un de mes inspecteurs… Appelez le patron !

Saint-Hilaire ouvrit docilement la porte, cria :

— Tardivon !… Hé ! Tardivon…

Quand le propriétaire de l’hôtel arriva, Maigret, assis sur le rebord de la fenêtre, fixait le plancher.

— Une simple question, monsieur Tardivon… Est-ce que Gallet était gaucher ?… Essayez de vous souvenir…

— Je n’ai jamais fait attention… Il est vrai que… Est-ce qu’un gaucher serre la main de quelqu’un de la main gauche ?

— Bien entendu !…

— Alors, il ne l’était pas, car ce détail doit frapper… Or les clients ont l’habitude de me serrer la main…

— Allez questionner les serveuses… Elles ont peut-être noté ce détail…

Pendant qu’il était dehors, Saint-Hilaire demanda :

— Vous attachez une grande importance à cette question de…

Mais le commissaire, sans répondre, gagna le corridor, cria à l’hôtelier :

— Par la même occasion, vous me demanderez M. Padailhan, contrôleur des contributions indirectes à Nevers… Je crois qu’il a le téléphone…

Il revint sur ses pas sans un regard à son compagnon, tourna un moment autour des vêtements étendus par terre.

— Maintenant, au travail !… Voyons… Emile Gallet n’était pas gaucher !… Nous verrons tout à l’heure si ce détail peut nous servir…

» Ou plutôt… Prenez ce couteau… C’est celui qui a servi au crime… Non ! Donnez-le-moi, car voilà qu’une fois de plus vous vous servez de la main gauche…

» Là !… Supposons maintenant qu’attaqué je doive me défendre ! Et je ne suis pas gaucher, retenons-le !… Bien entendu, je tiens le manche du poignard dans la main droite…

» Venez ici… C’est sur vous que je bondis… Vous êtes plus fort que moi… Vous me saisissez le poignet… Saisissez !… Bien !… Il est évident que c’est la main qui tient l’arme que vous immobilisez !…

» Cela suffit… Regardez cette photo… C’est celle du cadavre, prise par l’Identité judiciaire… Or, que voyons-nous ? Que c’est au poignet de la main gauche qu’Emile Gallet portait des ecchymoses…

» Qu’est-ce qu’il y a, Tardivon ?… Déjà Nevers ?… Non ?… Vous dites que les serveuses sont d’accord pour affirmer que Gallet n’était pas gaucher ?… Merci !… Pouvez aller…

» A nous deux, monsieur de Saint-Hilaire… Comment allez-vous expliquer ceci, vous ?

» Gallet n’était pas gaucher et c’est pourtant de la main gauche qu’il tenait son arme !… Et l’examen des lieux prouve qu’il n’avait rien dans la main droite…

» Je ne vois qu’une solution au problème… Regardez… Je veux m’enfoncer cette lame dans le cœur… Qu’est-ce que je fais ?… Suivez mes moindres gestes…

» Je saisis le manche de la main gauche !… Car cette main ne va me servir qu’à maintenir le couteau dans la bonne direction… Ma main droite est la plus forte… C’est de celle-là que j’use pour faire pression sur la gauche… Tenez !… Ce mouvement-ci… Je tiens mon poignet gauche dans les doigts de ma main droite… Je serre très fort, parce que je suis fiévreux et qu’il s’agit de résister à la douleur… Si bien que je me fais à moi-même des ecchymoses…

Il rejeta le couteau sur la table, d’un geste désinvolte.

— Bien entendu, pour admettre cette reconstitution des faits, il faudrait admettre aussi que Gallet s’est tué lui-même… Et il n’avait pas le bras assez long pour brandir un revolver à sept mètres de son visage, pas vrai ?…

» Au temps ! comme on dit à l’armée. Cherchons autre chose !…

Saint-Hilaire gardait le même sourire un peu étriqué sur ses lèvres. Mais ses prunelles, plus grandes que d’habitude, devenaient d’une mobilité anormale pour ne pas quitter un instant Maigret qui allait et venait sans cesse, esquissait cinquante gestes inutiles pour un geste utile, prenait le dossier rose, l’ouvrait, le refermait, le glissait sous un dossier vert et allait soudain changer la place d’une des chaussures du mort.

— Venez avec moi… Oui, enjambez… Nous voici dans le chemin des orties… Imaginons que nous sommes le samedi soir, qu’il fait nuit et qu’on entend les bruits de la fête et du tir… Peut-être même voit-on dans le ciel les lueurs mouvantes du manège de chevaux de bois…

» Emile Gallet, qui a retiré sa jaquette, se hisse au sommet de ce mur, ce qui n’est pas un exercice facile pour un homme de son âge, miné par la maladie…

» Suivez-moi !…

Il l’entraîna jusqu’à la grille, qu’il ouvrit et referma.

— Donnez-moi la clé… Bien ! Cette grille était fermée et la clé se trouvait comme d’habitude dans le creux qu’on voit entre deux pierres… C’est votre jardinier lui-même qui me l’a dit…

» Et nous entrons chez vous… N’oublions pas qu’il fait noir… Remarquez que nous ne faisons que chercher le sens de certains indices, ou plutôt que nous essayons d’accorder des indices contradictoires…

» Par ici, s’il vous plaît !… Imaginons, dans le parc, un personnage qu’inquiètent les faits et gestes d’Emile Gallet… Il doit en exister quelques-uns… Gallet est un escroc… Dieu sait ce qu’il a encore sur la conscience !…

» De ce côté du mur, donc, un homme, comme vous et moi, qui a remarqué que dans la soirée Gallet était nerveux et qui sait peut-être que sa situation est désespérée…

» Notre homme, que nous appellerons X comme en algèbre, va et vient le long du mur et voit tout à coup la silhouette d’Emile Gallet, alias M. Clément, se dresser sur le faîte, sans jaquette.

» Est-ce que, de la villa, on peut apercevoir cette partie de la clôture ?

— Non… Je ne comprends pas où vous voulez…

— … En venir ?… Nulle part !… Nous poursuivons l’enquête, quitte à changer cent fois d’hypothèse s’il le faut… Tenez ! J’en change déjà !… X ne se promène pas… Il a vu les barriques vides et, plutôt que de grimper sur le mur pour savoir ce qui se passe de l’autre côté, il a traîné une de ces barriques qui lui sert de piédestal.

» C’est à ce moment que la silhouette d’Emile Gallet se découpe sur le ciel…

» Les deux hommes ne parlent pas. Car, s’ils avaient eu quelque chose à dire, ils se seraient rapprochés… Pour s’entendre, à une distance de dix mètres, il faut parler fort… Et des gens qui se rencontrent dans des circonstances aussi anormales, l’un sur une barrique, l’autre en équilibre sur un mur, n’ont pas envie d’attirer l’attention…

» D’ailleurs, X est dans l’ombre. Emile Gallet ne le voit pas, redescend de son perchoir, rentre chez lui et…

» Ici, cela devient plus difficile… A moins de supposer que c’est X qui a tiré…

— Que voulez-vous dire ?

Maigret, qui était monté sur la barrique, en descendit lourdement.

— Donnez-moi du feu !… Bon !… Encore votre main gauche !… Nous allons maintenant, sans nous inquiéter de savoir qui a tiré, suivre le chemin que notre X a parcouru… Venez… Il prend la clé à sa place… Il ouvre la grille… Auparavant, pourtant, il est allé quelque part chercher des gants de caoutchouc… Il faudra que vous demandiez à votre cuisinière s’il lui arrive d’en porter pour éplucher ses légumes et s’ils n’ont pas disparu… Est-elle coquette ?…

— Je ne vois pas à quoi riment…

On entendit au loin un roulement de tonnerre, mais il ne tomba pas une goutte d’eau.

— Passons ! La grille est maintenant ouverte. X s’approche de la fenêtre et aperçoit le cadavre… Car Emile Gallet est mort !… Le coup de couteau a suivi immédiatement le coup de feu, les médecins l’affirment et les traces de sang le prouvent… Or, nous avons vu tout à l’heure que ce coup de couteau a tout l’air d’avoir été donné par la victime elle-même…

» Dans la cheminée, il y a des cendres de papier encore chaudes… Et nous y retrouvons des allumettes de Gallet…

» Notre X, pourtant, fouille la valise, sans doute aussi le portefeuille qu’il remet soigneusement dans la poche, s’en va, oublie de refermer la grille et de remettre la clé à sa place…

— Pourtant on a retrouvé la clé dans l’herbe…

Maigret, qui était resté sans regarder son interlocuteur, remarqua sa mine défaite.

— Venez… Ce n’est pas tout !… Je crois que je n’ai jamais vu d’histoire aussi compliquée et aussi simple à la fois… Nous savons, n’est-ce pas ? que celui qui se faisait appeler ici M. Clément était un escroc… Or, nous voyons à présent qu’il a détruit lui-même toutes les traces de ses escroqueries, comme s’il se fût attendu à un événement important, voire capital…

» Par ici !… Voici la cour de l’hôtel, et là, à gauche, la chambre qu’Emile Gallet a demandé à occuper dès l’après-midi et qu’on n’a pu lui donner parce qu’elle n’était pas libre…

» Or, l’après-midi, sa situation était la même que le soir. Il lui fallait coûte que coûte vingt mille francs pour le lundi matin, sinon des gens qui le faisaient chanter le livraient à la police…

» Supposons qu’il ait obtenu cette chambre… Plus moyen de traverser le chemin des orties et de grimper sur le mur !…

» Donc, ce n’était pas une nécessité pour lui d’aller sur ce mur ! Ou, si vous préférez, cela pouvait être remplacé par autre chose, autre chose que la cour lui fournissait…

» Qu’est-ce que nous voyons dans cette cour ? Un puits !… Vous me direz peut-être qu’il avait envie de s’y jeter… Mais, à cela, je vous répondrais qu’il pouvait, en sortant de la chambre qu’il a occupée, traverser le corridor et venir se noyer quand même…

» Non ! Il lui fallait la combinaison d’un puits et d’une chambre…

» Qu’est-ce que c’est, monsieur Tardivon ?

— Nevers est à l’appareil…

— Le contrôleur ?

— Lui-même…

— Venez, monsieur de Saint-Hilaire… Puisque vous voulez bien m’aider, il est juste que vous assistiez à toutes les phases de l’enquête… Prenez l’écouteur… Allô !… Ici, le commissaire Maigret… Ne craignez rien !… Je tiens seulement à vous poser une question qui ne m’est pas venue à l’esprit tout à l’heure… Votre ami Gallet était-il gaucher ?… Vous dites ?… Gaucher des mains et des pieds ?… Au football, il jouait à l’extérieur gauche ?… Vous en êtes certain, n’est-ce pas ?… Non ! C’est tout… Merci… Un détail : savait-il le latin ?… Pourquoi riez-vous ?… Un cancre ?… A ce point-là ?… C’est curieux, oui !… Dites donc ! vous avez vu la photographie du mort ?… Non ?… Evidemment, il a changé, depuis Saigon… Le seul portrait que je possède a été fait alors qu’il était au régime… Mais peut-être un de ces jours vous présenterai-je quelqu’un qui lui ressemble… Merci !… Oui !…

Maigret raccrocha, rit d’un rire qui manquait particulièrement d’esprit, soupira :

— Vous voyez comme on peut s’emballer à faux ! Tout ce que nous avons dit jusqu’ici ne tient qu’à une condition : c’est que notre Emile Gallet ne soit pas gaucher… Car, s’il est gaucher, il a pu se servir du poignard contre son agresseur… Voilà ce que c’est de se fier aux affirmations d’un hôtelier et de ses serveuses.

M. Tardivon, qui avait entendu, prit un air pincé.

— Le dîner est servi…

— Tout à l’heure… Autant en finir… Surtout que je ne crains d’abuser de la patience de M. de Saint-Hilaire… Retournons dans la chambre du crime, comme on dit, voulez-vous ?

Et là, soudain :

— Vous, vous avez vu Emile Gallet en vie… Ce que je vais vous dire vous fera peut-être rire… Oui ! Vous pouvez allumer la lampe… Avec ce ciel crasseux, il fait nuit une heure plus tôt que d’habitude…

» Eh bien ! moi qui ne l’ai pas vu, je passe mon temps, depuis le crime, à essayer de me l’imaginer vivant…

» Pour cela, je suis allé respirer l’atmosphère qu’il respirait… Je me suis frotté aux gens qu’il coudoyait…

» Regardez ce portrait… Je parie que vous direz comme moi : « Un pauvre type !… »

» Surtout quand vous saurez que le médecin ne lui donnait plus trois ans à vivre !… Un foie en marmelade… Et un cœur fatigué qui n’attendait qu’un prétexte pour s’arrêter…

» J’ai voulu voir vivre mon bonhomme non seulement dans l’espace, mais dans le temps… Je n’ai pu le prendre, hélas ! qu’au moment de son mariage, car, sur ce qui a précédé cette époque, il s’est toujours montré avare de confidences, même vis-à-vis de sa femme…

» Tout ce qu’elle sait, c’est qu’il est né à Nantes et qu’il a vécu plusieurs années en Indochine… Mais il n’en a pas rapporté une photographie, pas un souvenir !… Jamais il n’en parle…

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