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Simenon, Georges - Le fou de Bergerac

Читать бесплатно Simenon, Georges - Le fou de Bergerac. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Est-ce qu’on se cachait pour elle ? Les baisers s’échangeaient-ils, furtifs, derrière les portes ?

Était-ce au contraire une situation admise une fois pour toutes ? Maigret avait vu cela ailleurs, dans une maison bien plus austère d’apparence. Et c’était en province aussi !

D’où sortaient ces Beausoleil ? L’histoire de l’hôpital d’Alger était-elle vraie ?

En tout cas, Mme Rivaud devait être, en ce temps-là, une petite fille du peuple. Cela se sentait à de menus détails, à certains regards, à certains gestes, à un rien dans le maintien, dans la façon de s’habiller…

Deux petites filles du peuple… L’aînée, qui marquait davantage, trahissait même après des années ses origines.

La plus jeune, au contraire, beaucoup mieux adaptée et capable de faire illusion…

Est-ce qu’elles se détestaient ? Est-ce qu’elles se faisaient des confidences ? Étaient-elles jalouses l’une de l’autre ?

Et la mère Beausoleil, qui était venue deux fois à Bergerac ? Sans savoir pourquoi, Maigret évoquait une grosse commère ravie d’avoir casé ses filles, leur recommandant d’être bien gentilles avec un monsieur aussi important et aussi riche que le chirurgien.

On lui faisait sans doute une petite rente !

— Je la vois très bien à Paris, dans le dix-huitième arrondissement, ou mieux encore, à Nice…

S’entretenait-on des crimes, en dînant ?

Faire une visite là-bas, une seule, de quelques minutes seulement ! Regarder les murs, les bibelots, les menus objets traînant dans toute maison et révélant si bien la vie intime d’une famille !

Chez M. Duhourceau aussi ! Car il y avait un lien, peut-être extrêmement ténu, mais il y en avait un !

Tout cela formait un clan ! Cela se soutenait !

Brusquement Maigret sonna, fit prier le patron de monter. Et il lui demanda à brûle-pourpoint :

— Savez-vous si M. Duhourceau dîne souvent chez les Rivaud ?

— Tous les mercredis. Je le sais parce qu’il ne veut pas avoir sa voiture à lui et que c’est mon neveu qui fait le taxi et…

— Merci !

— C’est tout ?

L’hôtelier s’en allait, ahuri. Et Maigret, autour de la nappe blanche qu’il imaginait, plaçait un convive de plus : le procureur de la République, qu’on devait mettre à droite de Mme Rivaud.

— Et c’est un mercredi, ou plutôt la nuit de mercredi à jeudi, que j’ai été assailli en sautant du train et que Samuel a été tué ! découvrit-il soudain.

Donc, ils avaient dîné ensemble, là-bas. Maigret avait l’impression d’avancer soudain à pas de géant. Il décrocha le récepteur téléphonique.

— Allô ! Le bureau de Bergerac ? Ici, police, mademoiselle…

Il faisait la grosse voix, car il avait peur d’être éconduit.

— Voulez-vous me dire si mercredi dernier M. Rivaud a reçu une communication téléphonique de Paris ?

— Je vais consulter sa feuille.

Cela ne prit pas une minute.

— Il a reçu à deux heures de l’après-midi une communication d’Archives 14-67…

— Vous avez là-bas la liste des abonnés de Paris classés par numéros ?

— Il me semble avoir vu ça quelque part. Vous gardez l’appareil ?

Une jolie fille, sûrement ! Et gaie ! Maigret lui parlait en souriant.

— Allô !… J’ai trouvé. C’est le Restaurant des Quatre-Sergents, place de la Bastille.

— Une communication de trois minutes ?

— Non ! Trois unités ! Autrement dit neuf minutes.

Neuf minutes ! À deux heures ! Le train partait à trois ! Le soir, pendant que Maigret roulait, dans le wagon surchauffé, sous la couchette de son compagnon tourmenté par l’insomnie, le procureur dînait chez les Rivaud…

Maigret était en proie à une impatience folle. Pour un peu, il eût sauté de son lit ! Car il sentait qu’il approchait du but mais que ce n’était plus le moment de se tromper.

La vérité était là, quelque part, à portée de la main. Ce n’était plus qu’une question de flair, d’interprétation des éléments qu’il possédait…

Seulement, c’est à ces moments-là qu’on risque de se lancer tête baissée sur une fausse piste.

— Voyons… Ils sont à table… Qu’est-ce que Rosalie a insinué contre M. Duhourceau ?… Sans doute des ardeurs incompatibles avec son âge et ses fonctions… Dans les petites villes, on ne peut pas caresser le menton d’une fillette sans passer pour un vilain monsieur… Est-ce que Françoise ?… C’est assez bien le type de femme à enflammer un homme d’un certain âge… Donc, ils sont à table… Dans le train, Samuel et moi… Et Samuel a déjà peur… Car c’est un fait qu’il a peur… Il tremble… Il respire mal…

Maigret était en nage. Il entendait, en bas, les serveuses remuer des assiettes.

— Est-ce qu’il saute du train en marche parce qu’il se croit poursuivi ou parce qu’il se croit attendu ?

Ça, c’est une question-base ! Maigret le sent. Il a touché un point sensible. Il répète à mi-voix, comme si quelqu’un allait lui répondre :

— … parce qu’il se sent poursuivi ou parce qu’il se croit attendu…

Or, le coup de téléphone…

Sa femme entre, si agitée qu’elle ne remarque pas l’animation de Maigret.

— Il faut faire venir tout de suite un médecin, un vrai ! C’est inouï ! C’est un crime… Quand je pense…

Et elle le regarde comme pour chercher sur son visage des stigmates inquiétants.

— Il n’a pas de diplôme !… Il n’est pas médecin !… On ne l’a trouvé nulle part sur les registres… Je comprends maintenant cette fièvre qui dure, cette plaie qui ne se referme pas…

— Et voilà ! triomphe Maigret. C’est parce qu’il se sait attendu !

La sonnerie résonne. La voix du patron, à l’appareil !

— M. Duhourceau demande s’il peut monter !

VIII

Un bibliophile

D’un instant à l’autre, la physionomie de Maigret se transforma, devint neutre, morne, résignée, comme celle d’un malade quelconque qui s’enfonce dans l’ennui.

Peut-être à cause de cela la physionomie de la chambre, elle aussi, changea. Elle était sans prestige, avec le lit défait qu’on avait changé de place, le rectangle de tapis plus neuf là où il se trouvait auparavant, des médicaments sur la table de nuit, le chapeau de Mme Maigret ailleurs.

Comme par hasard, Mme Maigret venait d’allumer un petit réchaud à alcool pour y préparer une tisane.

L’ensemble, vu ainsi, était un peu écœurant. On frappa de petits coups secs à la porte. Mme Maigret alla au-devant du procureur et celui-ci, après s’être incliné, lui tendit tout naturellement sa canne et son chapeau, se dirigea vers le lit.

— Bonsoir, commissaire.

Il n’était pas trop embarrassé. Il faisait plutôt penser à un homme qui s’est remonté pour accomplir une tâche déterminée.

— Bonsoir, monsieur le procureur. Asseyez-vous, je vous en prie…

Et, pour la première fois, Maigret vit un sourire sur le visage renfrogné de M. Duhourceau. Un retroussis des lèvres ! C’était préparé aussi !

— J’ai eu presque des remords à cause de vous… Cela vous étonne ?… Oui, je m’en suis voulu d’avoir été un peu trop sévère à votre égard… Il est vrai que vous avez parfois une attitude tellement crispante…

Il était assis, les deux mains à plat sur les cuisses, le corps penché en avant et Maigret le regardait en face, mais avec de gros yeux qui paraissaient vides de pensées.

— Bref, j’ai résolu de vous mettre au courant de…

Certes, le commissaire entendait. Mais il eût été bien incapable de répéter la moindre des phrases de son interlocuteur. Il était occupé, en réalité, à l’étudier trait par trait, tant au physique qu’au moral.

Un teint très clair, presque trop clair, que les cheveux gris et les poils de moustache mettaient encore en valeur… M. Duhourceau n’avait pas de maladie de foie… Il n’était pas sanguin, ni goutteux…

De quel côté donnait-il prise à la maladie ? Car on n’atteint pas soixante-cinq ans sans se sentir un point faible !

« Artériosclérose ! » répondit Maigret.

Et il fixait les doigts maigres, les mains à la peau soyeuse mais aux veines saillantes et dures comme du verre.

Un petit homme sec, nerveux, intelligent, rageur !

« Et moralement, quel est son point faible, quel est son vice ? »

Il y en avait un ! Cela se sentait ! Sous toute la dignité du procureur, il y avait quelque chose de flou, de fuyant, de honteux…

Il parlait :

— … dans deux ou trois jours, au plus tard, l’instruction sera close… Car les faits parlent d’eux-mêmes !… Comment Samuel a-t-il échappé à la mort et a-t-il fait enterrer un autre à sa place, ceci regarde le Parquet d’Alger, s’il lui plaît de déterrer cette vieille histoire… À mon avis, il n’en sera même pas question…

Il y avait des moments où sa voix baissait d’un ton. C’était quand il cherchait le regard de Maigret et qu’il ne trouvait que du vide ! Alors, il se demandait si le commissaire l’écoutait, s’il ne fallait pas prendre cette absence comme une ironie supérieure.

Il faisait un effort, sa voix se raffermissait.

— Toujours est-il que ce Samuel, qui n’était peut-être déjà pas trop sain d’esprit là-bas, arrive en France, se cache un peu partout et est bientôt en proie à la folie… C’est un cas fréquent, le docteur Rivaud vous le dira… Il commet ses crimes… Dans le train, il croit que vous êtes sur sa piste… Il tire dans votre direction et, de plus en plus affolé, il finit par se suicider…

Le procureur ajouta avec un geste beaucoup trop désinvolte :

— Remarquez que je n’attache guère d’importance à l’absence du revolver près du cadavre… Les annales judiciaires nous fournissent des centaines d’exemples de ce genre… Un rôdeur peut être passé par là, ou un enfant… Et cela se saura dans dix ans ou dans vingt… L’important, c’est que le coup de feu ait été tiré d’assez près et l’autopsie démontre que c’est le cas… Voilà, en quelques mots…

Maigret, lui, se répétait :

« Quel est son vice ? »

Pas l’alcool ! Pas le jeu ! Et, chose étrange, le commissaire était tenté de répondre : pas les femmes !

L’avarice ? C’était déjà plus plausible ! On imaginait mieux M. Duhourceau, toutes portes closes, ouvrant son coffre-fort et alignant sur la table des liasses de billets, des petits sacs d’or…

Pour tout dire, il donnait plutôt l’impression d’un solitaire ! Or, le jeu est un vice en commun ! L’amour aussi ! L’alcool presque toujours…

— M. Duhourceau, êtes-vous déjà allé en Algérie ?

— Moi ?

Quand quelqu’un répond « moi » de la sorte, c’est neuf fois sur dix qu’il veut gagner du temps.

— Pourquoi me demandez-vous ça ? Est-ce que j’ai l’air d’un colonial ? Non, je ne suis jamais allé en Algérie, ni même au Maroc. Mon plus grand voyage a consisté à visiter les fjords de Norvège. C’était en 1923…

— Oui… Je ne sais vraiment pas pourquoi je vous ai posé cette question… Vous ne pouvez vous imaginer à quel point cette perte de sang m’a affaibli…

Encore un vieux truc de Maigret : passer d’un sujet à un autre et parler tout à coup de choses qui n’ont aucun lien avec la conversation.

L’interlocuteur, qui craint un piège, essaie de deviner une intention cachée là où il n’y en a pas. Il fait un effort cérébral violent, s’énerve, se fatigue et finit par perdre le fil de ses propres idées.

— C’est ce que je disais au docteur. Au fait, qui fait la cuisine, chez eux ?

— Mais…

Et Maigret ne lui donnait pas le temps de répondre.

— Si c’est une des deux sœurs, ce n’est certainement pas Françoise ! On la voit mieux au volant d’une voiture de luxe qu’en train de surveiller un ragoût… Voulez-vous être assez aimable pour me passer le verre d’eau ?…

Et Maigret, soulevé sur un coude, se mit à boire, mais si maladroitement qu’il laissa tomber le verre et son contenu sur la jambe de M. Duhourceau.

— Excusez-moi !… C’est stupide !… Ma femme va vous essuyer immédiatement… Encore heureux que cela ne fasse pas tache…

L’autre était furieux. L’eau, qui avait transpercé le pantalon, devait lui couler le long du mollet.

— Ne vous dérangez pas, madame… Comme votre mari dit, cela ne fait pas tache… Cela n’a donc pas d’importance…

Il y mettait de l’ironie.

Les discours de Maigret, ce petit incident par surcroît, lui avaient fait perdre la bonne humeur de commande affichée au début. Il était debout. Il se souvenait qu’il avait encore différentes choses à dire.

Mais maintenant il jouait mal son rôle, n’atteignant qu’à une cordialité très relative.

— Quant à vous, commissaire, quelles sont vos intentions ?

— Toujours les mêmes !

— C’est-à-dire ?…

— Arrêter l’assassin, bien entendu ! Puis ma foi, si j’ai encore du temps devant moi, aller voir enfin cette Ribaudière où je devrais me trouver depuis une dizaine de jours.

M. Duhourceau était blême de colère, d’indignation. Comment ? Il s’était donné la peine de rendre cette visite, de raconter tout ce qu’il avait raconté, de faire presque la cour à Maigret !

Puis, après lui avoir renversé un verre d’eau sur la jambe – et le procureur était persuadé que Maigret l’avait fait exprès ! – on lui déclarait tranquillement :

— Je vais arrêter l’assassin !

On lui disait cela, à lui, magistrat, au moment même où il venait d’affirmer qu’il n’y avait plus d’assassin ! Est-ce que cela n’avait pas l’air d’une menace ? Fallait-il partir une fois de plus en claquant les portes ?

Eh bien ! M. Duhourceau parvint à sourire.

— Vous êtes obstiné, commissaire !

— Vous savez, quand on est couché toute la journée et qu’on n’a rien à faire… Vous n’auriez pas, par hasard, quelques livres à me prêter ?…

Encore un coup de sonde. Et Maigret eut bien l’impression que le regard de son interlocuteur était plus inquiet…

— Je vous en enverrai…

— Des ouvrages gais, n’est-ce pas ?

— Il est temps que je m’en aille…

— Ma femme va vous apporter votre chapeau et votre canne ! Vous dînez chez vous ?

Et il tendit sa main au procureur, qui n’osa pas la refuser. La porte refermée, Maigret resta immobile, le regard au plafond, et sa femme commença :

— Tu crois que… ?

— Est-ce que Rosalie travaille toujours à l’hôtel ?

— Je crois que c’est elle que j’ai rencontrée dans l’escalier.

— Tu devrais aller me la chercher.

— Les gens vont encore dire…

— Peu importe !

En attendant, Maigret se répétait :

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