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Simenon, Georges - Un crime en Hollande

Читать бесплатно Simenon, Georges - Un crime en Hollande. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Malgré la présence de la jeune fille, Maigret questionna encore, avec une douceur dont on ne l’eût pas cru capable :

— Vous avez montré ces lettres à votre sœur ?

— Non ! Mais quand cet homme…

— Où étaient-elles ?

— Dans le tiroir de la table de nuit… Je ne l’ouvrais jamais… C’était là aussi qu’il y avait le revolver…

Any parla en néerlandais et Mme Popinga traduisit machinalement :

— Ma sœur me dit que je devrais me coucher… Parce que voilà trois nuits que je ne dors pas… Il ne serait pas parti… Il a dû être imprudent une fois, n’est-ce pas ?… Il aimait rire, jouer… Des détails me sont revenus… Beetje qui venait toujours apporter des fruits et des gâteaux qu’elle faisait elle-même… Je croyais que c’était pour moi… Puis elle venait nous demander de jouer au tennis… Toujours à l’heure où elle savait bien que je n’avais pas le temps !… Mais je ne voulais pas voir le mal… J’étais contente que Conrad se repose un peu… Parce qu’il travaillait beaucoup et que Delfzijl était triste pour lui… L’an dernier, elle a failli venir à Paris avec nous… Et c’était moi qui insistais !…

Elle disait cela simplement, avec une lassitude où il y avait à peine de la rancœur.

— Il ne voulait pas partir… Vous avez entendu… Mais il avait peur de faire de la peine… C’était son caractère… Il a reçu des réprimandes, parce qu’il donnait de trop bonnes notes aux examens… A cause de cela, mon père ne l’aimait pas…

Elle remit un bibelot à sa place, et ce geste précis de ménagère trancha avec l’état d’esprit ambiant.

— Je voudrais seulement que tout soit fini… Parce qu’on ne veut même pas qu’il soit enterré… Vous comprenez ?… Je ne sais plus !… Qu’on me le rende !… Dieu se chargera bien de punir le coupable…

Elle s’anima. Elle poursuivit d’une voix plus ferme :

— Oui… C’est ce que je crois !… Ces choses-là, n’est-ce pas ? C’est une affaire entre Dieu et l’assassin… Nous, est-ce qu’on peut savoir ?…

Elle frémit, comme frappée d’une idée. Elle montra la porte. Elle dit très vite :

— Peut-être qu’il va la tuer !… Il en est capable !… Ce serait affreux…

Any la regardait avec une certaine impatience. Elle devait considérer toutes ces paroles comme inutiles et ce fut d’une voix très calme qu’elle prononça :

— Qu’est-ce que vous pensez, maintenant, monsieur le commissaire ?…

— Rien !…

Elle n’insista pas, mais son visage exprima le mécontentement.

— Je ne pense rien, parce qu’il y a avant tout la casquette d’Oosting ! dit-il. Vous avez entendu les théories de Jean Duclos. Vous avez lu les ouvrages de Grosz dont il vous a parlé… Un principe : ne pas se laisser détourner de la vérité par des considérations psychologiques… Suivre jusqu’au bout le raisonnement qui découle des indices matériels…

Impossible de savoir s’il persiflait ou s’il parlait sérieusement.

— Or, il y a une casquette et un bout de cigare ! Quelqu’un les a apportés, ou jetés dans la maison…

Mme Popinga soupira, pour elle-même :

— Je ne peux pas croire qu’Oosting…

Et soudain, dressant la tête :

— Cela me fait penser à une chose que j’avais oubliée…

Mais elle se tut, comme craignant d’en avoir trop dit, comme épouvantée par les conséquences de ses paroles !

— Dites !

— Non !… Cela ne signifie rien !…

— Je vous en prie…

— Quand Conrad allait chasser le chien de mer sur les bancs de Workum…

— Oui… Eh bien ?…

— Beetje allait avec eux… Parce qu’elle chasse aussi… Ici, en Hollande, les jeunes filles ont beaucoup de liberté…

— Ils couchaient en route ?…

— Parfois une nuit… Parfois deux…

Elle se prit la tête à deux mains, eut un mouvement d’impatience poussée au degré le plus extrême, gémit :

— Non ! je ne peux plus penser !… C’est trop affreux !… Trop affreux…

Cette fois-ci, les sanglots étaient là. Ils naissaient. Ils allaient éclater, et ce fut Any qui mit ses mains sur les épaules de sa sœur et la poussa doucement dans la pièce voisine.

VII

Un déjeuner chez Van Hasselt

Quand Maigret arriva à l’hôtel, il comprit qu’il se passait quelque chose d’anormal. La veille, il avait dîné à une table voisine de celle de Jean Duclos.

Or trois couverts étaient dressés sur la table ronde qui se trouvait au centre de la salle. La nappe était éblouissante, avec encore tous ses plis. Enfin il y avait trois verres par convive, ce qui, en Hollande, n’est de mise que pour une véritable cérémonie.

Dès l’entrée, le commissaire fut accueilli par l’inspecteur Pijpekamp, qui s’avança vers lui la main tendue, avec un sourire d’homme qui a préparé une heureuse surprise.

Il était en tenue de gala ! Un faux col haut de huit centimètres ! Une jaquette ! Il était rasé de près. Il devait sortir des mains du coiffeur, car il répandait encore une odeur de lotion à la violette.

Plus terne, Jean Duclos se tenait derrière lui, l’air ennuyé.

— Vous m’excuserez, mon cher collègue… J’aurais dû vous prévenir ce matin… J’aimerais vous recevoir chez moi, mais j’habite Groningen et je suis célibataire… Alors je me suis permis de vous inviter à déjeuner ici même !… Oh ! un petit déjeuner sans cérémonie.

Et tout en prononçant ces derniers mots, il regardait les couverts, les cristaux et attendait évidemment des protestations de Maigret.

Elles ne vinrent pas.

— J’ai pensé que, puisque le professeur est votre compatriote, vous seriez content de…

— Très bien ! Très bien ! dit le commissaire. Vous permettez que j’aille me laver les mains ?

Il le fit lentement, l’air grognon, dans le petit lavabo adjacent. La cuisine était proche et il entendait une rumeur affairée, des heurts de plats et de casseroles.

Quand il rentra dans la salle, Pijpekamp versait lui-même du porto dans des verres et murmurait avec un sourire ravi, modeste :

— Comme en France, n’est-ce pas ?… Prosit !… Santé, mon cher collègue…

Il était touchant de bonne volonté. Il s’appliquait à trouver des formules raffinées, à se montrer homme du monde jusqu’au bout des ongles.

— J’aurais dû déjà hier vous inviter… Mais j’ai été tellement… comment vous dites ?… secoué par cette affaire… Vous avez trouvé quelque chose ?…

— Rien !

Il y eut un éclair dans les prunelles du Hollandais et Maigret pensa : « Toi, mon petit bonhomme, tu as une victoire à m’annoncer et tu vas me sortir ça au dessert… A moins que tu n’aies pas la patience d’attendre jusque-là… »

Il ne se trompait pas. On servit d’abord de la soupe aux tomates, en même temps qu’un Saint-Emilion sucré à en donner mal au cœur, manifestement tripoté pour l’exportation.

— Santé !…

Brave Pijpekamp ! Il faisait tout son possible et même plus que son possible ! Et Maigret n’avait pas l’air de s’en apercevoir ! Il n’appréciait pas !

— En Hollande, on ne boit jamais en mangeant… Seulement après… Le soir, dans les grandes réunions, un petit verre de vin avec le cigare… On ne met pas de pain à table non plus…

Et il louchait vers le plat de pain qu’il avait commandé. Même le porto, qu’il avait choisi en remplacement du genièvre national !

Est-ce qu’on peut faire mieux ? Il en était tout rose ! Il regardait la bouteille de vin doré avec attendrissement. Jean Duclos mangeait en pensant à autre chose.

Et Pijpekamp eût tellement voulu mettre de l’entrain, de la gaieté, créer autour de ce déjeuner une atmosphère de folie, de vraie bombe à la française !

On apporta le huchpot. Le plat national. La viande nageait dans des litres de sauce, et Pijpekamp prit un air mystérieux pour prononcer :

— Vous me direz si vous aimez !…

Le malheur, c’est que Maigret n’était pas en train. Il flairait autour de lui un petit mystère qu’il ne s’expliquait pas encore très bien.

Il lui semblait qu’il y avait une sorte de franc-maçonnerie entre Jean Duclos et le policier. Et, par exemple, chaque fois que ce dernier remplissait le verre de Maigret, il avait un bref regard au professeur.

Du bourgogne chambrait à côté du poêle.

— Je croyais que vous buviez beaucoup plus de vin…

— Cela dépend…

Duclos n’était certainement pas tout à fait à son aise. Il évitait de se mêler à la conversation. Il buvait de l’eau minérale, sous prétexte qu’il était au régime.

Pijpekamp ne put attendre plus longtemps. Il avait parlé de la beauté du port, de l’importance du trafic sur l’Ems, de l’Université de Groningen, où les plus grands savants du monde viennent donner des conférences.

— Vous savez qu’il y a du nouveau…

— Vraiment ?…

— A votre santé ! A la santé de la police française ! Oui, maintenant, le mystère est à peu près éclairci…

Maigret le regarda de ses yeux les plus glauques, sans la moindre trace d’émotion, ni même de curiosité.

— Ce matin, vers dix heures, on m’a prévenu que quelqu’un m’attendait à mon bureau… Devinez qui ?…

— Barens ! Continuez…

Pijpekamp en fut plus navré encore que du peu d’effet qu’avait produit sur son hôte la table si luxueusement servie.

— Comment savez-vous ?… On vous a dit, n’est-ce pas ?…

— Rien du tout ! Qu’est-ce qu’il voulait ?…

— Vous le connaissez… Il est très timide… très… le mot français… oui, renfermé… Il n’osait pas me regarder… On aurait cru qu’il allait pleurer… Il a avoué qu’en sortant, la nuit du crime, de la maison Popinga, il n’était pas rentré à bord tout de suite…

Et l’inspecteur esquissa toute une série d’œillades.

— Vous comprenez ?… Il aime Beetje !… Et il était jaloux, parce que Beetje avait dansé avec Popinga !… Et il était fâché parce qu’elle avait bu du cognac !… Il les a vus sortir tous les deux…

» Il a suivi, de loin… Il est revenu derrière son professeur…

Maigret était sans pitié. Il voyait pourtant que l’autre eût tout donné pour un signe d’étonnement, d’admiration, d’angoisse.

— A votre santé, monsieur le commissaire !… Barens n’a pas dit tout de suite, parce qu’il avait peur… Mais voilà la vérité !… Il a vu un homme, tout de suite après le coup de feu, qui courait vers le tas de bois où il a dû se cacher…

— Il vous l’a décrit minutieusement, n’est-ce pas ?

— Oui…

L’autre nageait. Il n’avait plus aucun espoir d’épater son collègue. Son histoire avait fait long feu.

— Un marin… Sûrement un marin étranger… Très grand, très maigre et tout rasé…

— Et il y a bien entendu un bateau qui est parti le lendemain…

— Il en est parti trois depuis… L’affaire est claire !… Ce n’est pas à Delfzijl qu’il faut chercher… C’est un étranger qui a tué… Sans doute un matelot qui a connu Popinga autrefois, quand il naviguait… Un matelot qu’il aura fait punir quand il était officier, ou capitaine…

Jean Duclos présentait obstinément son profil au regard de Maigret. Pijpekamp faisait signe à Mme Van Hasselt, qui, en grande tenue, se tenait à la caisse, d’apporter une nouvelle bouteille.

Il restait à manger un chef-d’œuvre, un gâteau garni de trois sortes de crème sur lequel, par surcroît, le nom de Delfzijl s’inscrivait en chocolat.

Et l’inspecteur baissait modestement les yeux.

— Si vous voulez couper…

— Vous avez remis Cornélius en liberté ?…

Du coup, son voisin sursauta, regarda Maigret en se demandant s’il ne devenait pas fou.

— Mais…

— Si cela ne vous fait rien, nous le questionnerons ensemble tout à l’heure…

— C’est très facile ! Je vais téléphoner à l’école…

— Tant que vous y êtes, téléphonez aussi qu’on amène Oosting, que nous interrogerons ensuite…

— A cause de la casquette ?… Maintenant, cela s’explique, n’est-ce pas ?… Un marin, en passant, a vu la casquette sur le pont… Il l’a prise et…

— Naturellement !…

Pijpekamp aurait bien pleuré. Cette ironie lourde, à peine perceptible de Maigret, le déroutait au point qu’il se heurta au chambranle de la porte en pénétrant dans la cabine téléphonique.

Le commissaire resta un moment seul avec Jean Duclos, qui tenait le nez baissé sur son assiette.

— Vous ne lui avez pas dit, tant que vous y étiez, de me glisser discrètement quelques florins ?

Ces mots furent prononcés doucement, sans aigreur, et Duclos leva la tête, ouvrit la bouche pour protester.

— Chut !… Nous n’avons pas le temps de discuter… Vous lui avez conseillé de m’offrir un bon déjeuner, largement arrosé… Vous lui avez dit qu’en France c’est ainsi qu’on avait raison des fonctionnaires… Silence, vous dis-je !… Et qu’après ça je serais coulant comme du miel…

— Je vous jure que…

Maigret alluma sa pipe, se tourna vers Pijpekamp, qui revenait du téléphone et qui, regardant la table, bafouilla :

— Vous accepterez bien un petit verre de cognac… Il y en a du vieux…

— Vous permettez que ce soit moi qui vous l’offre ! Veuillez seulement dire à Madame de nous apporter une bouteille de fine et des verres à dégustation…

Mais Mme Van Hasselt apporta des petits verres. Le commissaire se leva, alla lui-même en prendre d’autres sur une étagère, les remplit à plein bord.

— A la santé de la police hollandaise ! dit-il.

Pijpekamp n’osait pas protester. L’alcool lui fit venir les larmes aux yeux, tant il était fort. Mais le commissaire, souriant, féroce, levait sans cesse son verre, répétait :

— A la santé de votre police !… A quelle heure Barens sera-t-il à votre bureau ?

— Dans une demi-heure !… Un cigare ?…

— Merci ! Je préfère ma pipe…

Et Maigret emplit à nouveau les verres, avec une telle autorité que ni Pijpekamp ni Duclos n’osèrent refuser de boire.

— C’est une belle journée ! dit-il à deux ou trois reprises. Je me trompe peut-être ! Mais j’ai l’impression que, ce soir, l’assassin de ce pauvre Popinga sera arrêté…

— A moins qu’il ne soit en train de naviguer dans la Baltique ! répliqua Pijpekamp…

— Bah !… Vous le croyez si loin ?…

Duclos leva un visage pâle.

— C’est une insinuation, commissaire ? questionna-t-il d’une voix coupante.

— Quelle insinuation ?

— Vous paraissez prétendre que, s’il n’est pas loin, il est peut-être très près…

— Quelle imagination, professeur !

On avait été à deux doigts de l’incident. Cela devait tenir en partie aux grands verres de fine. Pijpekamp était tout rouge. Ses yeux luisaient.

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