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Simenon, Georges - La guinguette à deux sous

Читать бесплатно Simenon, Georges - La guinguette à deux sous. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Sans la tuberculose, on l’aurait sans doute retrouvé comme dernier comparse dans la bande de Lenoir. Mais sa santé l’avait conduit au sanatorium. Il avait dû y faire le désespoir des médecins et des infirmières. Chapardages, petits délits divers. Et Maigret devinait que, de punition en punition, on l’avait renvoyé d’un sanatorium à l’autre, d’un hôpital à une maison de repos, d’une maison de repos à un patronage de redressement moral !

Il ne s’effrayait pas. Il avait une bonne réponse à tout : son poumon ! Il en vivait, en attendant d’en mourir !

— Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

— Tu refuses de me désigner l’homme du canal ?

— Connais pas !

Il prononçait ces mots tandis que ses yeux pétillaient d’ironie. Et même il reprenait son saucisson, y mordait à pleines dents, mastiquait avec application.

— D’abord, Lenoir n’a rien dit ! grommela-t-il après réflexion. C’est pas au moment d’en finir qu’il aurait parlé…

Maigret ne s’énervait pas. Il tenait le bon bout. De toute façon, il avait maintenant un élément de plus pour arriver à la vérité.

— Encore une canette, grand-mère !

— Heureusement que j’ai pensé à en monter trois à la fois !

Elle regardait curieusement Victor en se demandant quel crime il avait pu commettre.

— Quand je pense que vous étiez bien soigné dans un sana et que vous en êtes parti ! Comme mon fils !… Ça aime mieux rôder que…

Dans le soleil qui baignait le paysage, Maigret suivait les évolutions des canots. L’heure de l’apéritif approchait. Un petit voilier, où avaient pris place la femme de James et deux amies, accostait le premier à la rive. Les trois femmes adressaient des signes à un canoë qui abordait à son tour.

Et d’autres suivaient. La vieille, qui s’en apercevait, soupirait :

— Et mon fils qui n’est pas rentré !… Je ne vais pas pouvoir les servir… Ma fille est partie au lait…

Elle n’en saisissait pas moins des verres qu’elle allait poser sur les tables de la terrasse, puis elle fouillait dans une poche cachée sous son large jupon, faisait sonnailler de la monnaie.

— Va leur falloir des gros sous pour la musique…

Maigret restait à sa place, à observer tour à tour les nouveaux arrivants et le vagabond tuberculeux qui continuait à manger avec indifférence. Il apercevait sans le vouloir la villa des Basso, avec son jardin fleuri, son plongeoir dans la rivière, les deux bateaux amarrés, l’escarpolette du gamin.

Il tressaillit soudain parce qu’il crut percevoir un coup de feu dans le lointain. Au bord de la Seine aussi, les gens avaient levé la tête. Mais on ne voyait rien. Il ne se passait rien. Dix minutes s’écoulaient. Les clients du Vieux-Garçon s’installaient autour des tables. La vieille sortait, les bras chargés de bouteilles d’apéritif.

Alors une silhouette sombre dévala la pente de gazon, dans l’enclos des Basso. Maigret reconnut un de ses inspecteurs qui, maladroitement, enlevait la chaîne d’un canot, ramait de toutes ses forces vers le large.

Il se leva, regarda Victor.

— Tu ne bouges pas d’ici, hein !

— Si ça vous fait plaisir.

On s’était interrompu, dehors, de commander à boire, pour regarder l’homme en noir qui ramait. Maigret marchait jusqu’aux roseaux du bord de l’eau, attendait avec impatience.

— Qu’est-ce que c’est ?

L’inspecteur était essoufflé.

— Montez vite… Je vous jure que ce n’est pas ma faute…

Il ramait à nouveau, avec Maigret à bord, vers la villa.

— Tout était tranquille… Le légumier venait de partir… Mme Basso se promenait dans le jardin avec le gamin… Je ne sais pas pourquoi, je trouvais qu’ils avaient une drôle de façon de se promener, comme des gens qui attendent quelque chose… Une auto arrive, une auto toute neuve… Elle s’arrête juste devant la grille… Un homme descend…

— Un peu chauve, mais encore jeune ?

— Oui !… Il entre… Il marche dans le jardin avec Mme Basso et le garçon… Vous connaissez mon poste d’observation… J’étais assez loin d’eux… Ils se serrent la main… La femme reconduit l’homme à la grille… Il monte sur son siège, pousse le démarreur… Et, avant que j’aie pu faire un mouvement, Mme Basso se précipite à l’intérieur avec son fils tandis que la voiture file à toute allure…

— Qui a tiré ?

— Moi. Je voulais crever un pneu.

— Berger était avec toi ?

— Oui. Je l’ai envoyé à Seineport pour téléphoner partout.

C’était la seconde fois qu’il fallait alerter toutes les gendarmeries de Seine-et-Oise. La barque touchait terre. Maigret pénétrait dans le jardin. Mais qu’y faire ? C’était au téléphone à travailler, à alerter les gendarmes.

Maigret se pencha pour ramasser un mouchoir de femme, marqué aux initiales de Mme Basso. Il était presque réduit en charpie, tant elle l’avait tiraillé en attendant James.

Ce qui affectait peut-être le plus le commissaire, c’était le souvenir des pernods de la Taverne Royale, deux heures de sourd engourdissement passées côte à côte avec l’Anglais, à la terrasse de la brasserie.

Il en ressentait comme un écœurement. Il avait la sensation pénible de n’avoir pas été lui-même, de s’être laissé dominer par une sorte d’envoûtement.

— Je continue à garder la villa ?

— Par crainte que les briques s’en aillent ? Va rejoindre Berger. Aide-le à tendre le filet. Tâche de te procurer une moto pour me tenir au courant heure par heure.

Sur la table de la cuisine, à côté de légumes, une enveloppe portant, de l’écriture de James : À remettre sans faute à Mme Basso.

C’était évidemment le légumier qui avait apporté la lettre. Elle avertissait la jeune femme de ce qui allait se passer. C’est pourquoi elle se promenait nerveusement dans le jardin avec son fils !

Maigret remonta dans le bachot. Quand il arriva à la guinguette à deux sous, la bande entourait le vagabond, que le médecin questionnait et à qui l’on avait offert un apéritif.

Victor eut le culot d’adresser une œillade au commissaire comme pour lui dire : « Je suis en train de tirer mon petit plan ! Laissez faire…»

Et il continua à expliquer :

— … Il paraît que c’est un grand professeur… On m’a rempli le poumon avec de l’oxygène, comme ils disent, puis on l’a refermé comme un ballon d’enfant…

Le docteur souriait des termes employés, mais confirmait par signes, pour ses compagnons, la véracité du récit.

— On doit maintenant me faire la même chose avec la moitié de l’autre… Car on a deux poumons, bien entendu… Ce qui fait qu’il ne m’en restera qu’un demi…

— Et tu bois des apéritifs ?

— Parbleu ! À votre santé !

— Tu n’as pas des sueurs froides, la nuit ?

— Des fois ! quand je couche dans une grange pleine de courants d’air !

— Qu’est-ce que vous buvez, commissaire ? demanda quelqu’un. Il ne s’est rien passé, au moins, qu’on est venu vous chercher de la sorte ?

— Dites, docteur, est-ce que James s’est servi ce matin de votre voiture ?

— Il m’a demandé la permission de l’essayer. Il va rentrer…

— J’en doute !

Le médecin sursauta, se dressa d’émotion, bégaya en essayant de sourire.

— Vous plaisantez…

— Je ne plaisante pas le moins du monde. Il vient de s’en servir pour enlever Mme Basso et son fils.

— James ?… questionna avec ahurissement la femme de celui-ci, qui n’en pouvait croire ses oreilles.

— James, parfaitement !

— Ce doit être une farce !… Il aime tant les mystifications !…

Celui qui s’amusait le plus, c’était Victor, qui sirotait son apéritif en contemplant Maigret avec une béate ironie.

Le débitant rentrait de Corbeil avec sa petite voiture tirée par un poney. Il en débarqua des caisses de siphons, annonçait en passant :

— Encore des histoires ! Voilà maintenant qu’on ne peut plus circuler sur les routes sans se faire arrêter par les gendarmes ! Heureusement qu’ils me connaissent…

— Sur la route de Corbeil ?

— Il y a quelques minutes… Ils sont dix, près du pont, à arrêter toutes les voitures et à exiger les papiers… Si bien qu’il y a au moins trente autos immobilisées…

Maigret détourna la tête. Il n’y était pour rien. C’était la seule méthode possible, mais une méthode lourde, inélégante, brutale. Et c’était beaucoup, deux dimanches de suite, dans le même département, pour une affaire sans envergure dont les journaux avaient à peine parlé.

Est-ce qu’il s’y était mal pris ? Est-ce qu’il avait vraiment pataugé ?

À nouveau lui revint le souvenir désagréable de la Taverne Royale et des heures passées avec James.

— Qu’est-ce que vous prenez ? lui demandait-on à nouveau. Un grand péri…

Encore un mot qui lui était désagréable, car c’était comme la synthèse de toute cette semaine-là, de toute l’affaire, de la vie dominicale de la bande de Morsang.

— De la bière ! répliqua-t-il.

— À cette heure-ci ?

Le brave garçon qui voulait lui offrir l’apéritif ne dut pas comprendre pourquoi Maigret, soudain furieux, martelait :

— À cette heure-ci, oui !

Le vagabond reçut, lui aussi, un regard hargneux. Le docteur, parlant de lui, expliquait au pêcheur de brochets :

— C’est un cas… Je connaissais le traitement, mais je n’avais jamais vu une application aussi complète du pneumothorax…

Et, à voix basse :

— N’empêche qu’il n’en a plus pour un an.

Maigret déjeuna au Vieux-Garçon, seul dans son coin comme une bête malade qui grogne à la moindre approche. Deux fois l’inspecteur vint le trouver en moto.

— Rien. La voiture a été signalée sur la route de Fontainebleau, mais ensuite on ne l’a plus vue…

C’était beau ! Un barrage sur la route de Fontainebleau ! Des milliers de voitures arrêtées !

Deux heures plus tard, on apprenait d’Arpajon qu’un garagiste avait fourni de l’essence à une auto répondant au signalement de celle du docteur.

Mais était-ce bien celle-là ? L’homme affirmait qu’il n’y avait pas de femme dedans.

À cinq heures, enfin, une communication de Montlhéry. L’auto tournait sur l’autodrome, comme pour des essais de vitesse, quand une crevaison l’avait immobilisée. Par hasard un agent avait demandé au chauffeur son permis de conduire. Il n’en avait pas.

C’était James tout seul ! On attendait des instructions de Maigret pour le relâcher ou l’écrouer.

— Des pneus neufs ! se lamentait le docteur. Et à la première sortie ! Je finirai par croire qu’il est fou… Ou alors, il était soûl, comme toujours…

Et il demanda à Maigret la permission de l’accompagner.

VI

Marchandages

On fit un détour pour passer à la guinguette à deux sous prendre le vagabond qui, une fois dans la voiture, se retourna vers le patron et lui lança une œillade qui signifiait : « Vous voyez avec quels égards on me traite, hein ! »

Il était sur le strapontin, en face de Maigret. La glace était ouverte et il eut le culot de minauder :

— Cela ne vous ferait rien de fermer ?… À cause de mon poumon, n’est-ce pas ?…

À l’autodrome, il n’y avait pas de courses ce jour-là. Quelques sportsmen étaient seuls à s’entraîner sur la piste, devant les gradins vides. On n’en avait que davantage une impression d’immensité.

Quelque part, une voiture arrêtée, un uniforme de gendarme et un homme casqué de cuir agenouillé devant une moto.

— C’est par là ! dit-on au commissaire.

Victor s’intéressait surtout à un bolide qui tournoyait sur la piste à quelque deux cents kilomètres à l’heure et, cette fois, il avait ouvert lui-même la glace pour se pencher.

— C’est bien ma voiture ! dit le docteur. Pourvu que…

Alors, devant le motocycliste occupé à réparer, on distingua James qui, placide, le menton dans la main, donnait des conseils au mécanicien. Il leva la tête en voyant Maigret s’approcher avec ses deux compagnons, murmura :

— Tiens ! Déjà ?…

Puis il regarda Victor des pieds à la tête, étonné, se demandant apparemment ce qu’il faisait là.

— Qui est-ce ?

Si Maigret avait mis de l’espoir dans cette rencontre, il dut déchanter. Victor regarda à peine l’Anglais, continua à s’intéresser à la ronde de l’auto de course. Le docteur avait déjà ouvert les portières de sa voiture pour s’assurer qu’elle n’avait pas souffert.

— Il y a longtemps que vous êtes ici ? grommela le commissaire à l’adresse de James.

— Je ne sais plus… Peut-être assez longtemps, oui…

Il était d’un flegme incroyable. Impossible de se douter qu’il venait d’enlever une femme et un gamin au nez de la police et qu’à cause de lui toute la gendarmerie de Seine-et-Oise était encore sur pied de guerre.

— N’aie pas peur ! dit-il au docteur. Il n’y a que le pneu… Le reste est intact… Une bonne machine… Peut-être un peu trop dure à démarrer…

— C’est Basso qui, hier, vous a demandé d’aller chercher sa femme et son fils ?

— Vous savez bien que je ne peux pas répondre à des questions pareilles, mon vieux Maigret.

— Et vous ne pouvez pas non plus me dire où vous les avez déposés…

— Avouez qu’à ma place vous…

— Il y a en tout cas quelque chose de très fort, quelque chose qu’un professionnel n’aurait pas trouvé !

James le regarda avec un étonnement plein de modestie.

— Quoi ?

— L’autodrome ! Mme Basso est en sûreté… Mais il vaut mieux que la police ne retrouve pas la voiture tout de suite… Les routes sont gardées… Alors vous pensez à l’autodrome !… Et vous tournez, vous tournez…

— Je vous jure qu’il y a longtemps que j’avais envie de…

Mais le commissaire ne s’inquiétait plus de lui, se précipitait vers le docteur, qui voulait poser la roue de rechange.

— Pardon ! L’auto reste jusqu’à nouvel ordre à la disposition de la Justice.

— Quoi ?… Mon auto ?… Qu’est-ce que j’ai fait, moi ?…

Il eut beau protester, la voiture fut enfermée dans un box dont Maigret emporta la clé. Le gendarme attendait des instructions. James fumait une cigarette. Le vagabond regardait toujours rouler les bolides.

— Emmenez celui-là ! dit Maigret en le désignant. Qu’on le boucle à la permanence de la Police judiciaire.

— Et moi ? demanda James.

— Vous n’avez toujours rien à me dire ?

— Rien de spécial. Mettez-vous à ma place !

Alors Maigret, bourru, lui tourna le dos.

Le lundi, il se mit à pleuvoir et Maigret en fut ravi, car la grisaille s’harmonisait mieux avec son humeur et avec les besognes de la journée.

D’abord les rapports sur les événements de la veille, rapports qui devaient justifier le déploiement de forces commandé par le commissaire.

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