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Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé

Читать бесплатно Simenon, Georges - Monsieur Gallet, décédé. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Il hâta le pas, arriva sur le quai alors qu’elle disparaissait à l’angle de la route nationale.

— Tout à l’heure ! lança-t-il à l’hôtelier qui essayait de l’arrêter au passage.

Et il fit quelques pas en courant, tant que la fugitive ne pouvait le voir, afin de réduire la distance qui les séparait. Non seulement c’était bien la silhouette qui s’harmonisait avec le nom d’Eléonore Boursang, mais c’était par excellence la femme qu’un homme comme Henry avait dû choisir.

Arrivé à son tour à la croisée des chemins, Maigret fut dépité. Elle avait disparu. C’est en vain qu’il plongea le regard dans le clair-obscur d’une petite épicerie, puis dans la forge proche.

Petit malheur, d’ailleurs, puisqu’il savait où la retrouver.

V

Les amants économes

Le brigadier de gendarmerie dut se faire, ce matin-là, une idée séduisante de la tâche qui incombe à un policier.

Il était levé depuis quatre heures du matin et il avait parcouru déjà une trentaine de kilomètres en vélo, d’abord dans le froid petit matin, puis dans un soleil de plus en plus cuisant, quand il arriva à l’Hôtel de la Loire pour la vérification périodique du registre des voyageurs.

Il était dix heures. La plupart des pensionnaires se promenaient au bord de l’eau ou se baignaient dans la rivière. Deux marchands de chevaux discutaient à la terrasse, et le patron, une serviette à la main, rectifiait l’alignement des tables et des lauriers en caisses.

— Vous n’allez pas dire un petit bonjour au commissaire ? s’enquit M. Tardivon.

Et plus bas, sur un ton confidentiel :

— Il est justement dans la chambre du crime ! Il a reçu des documents et des documents, et aussi de grandes photographies de Paris…

Si bien qu’un peu plus tard le brigadier frappait à la porte, s’excusait :

— C’est le patron qui m’a tenté, commissaire… Quand il m’a dit que vous procédiez à l’examen des lieux, j’ai été alléché… Je sais que vous avez des méthodes spéciales, à Paris, et, si cela ne vous dérangeait pas, je serais trop content de prendre une leçon en vous regardant faire…

C’était un bon garçon, dont le visage rond et rose reflétait le désir ingénu de plaire. Il se faisait aussi petit que possible, ce qui n’était pas facile avec ses souliers ferrés, ses guêtres et son képi qu’il ne savait où poser.

La fenêtre était large ouverte ; le soleil du matin tombait en plein sur le chemin des orties, de sorte qu’à contre-jour la chambre était presque obscure. Et Maigret, en manches de chemise, la pipe aux dents, le faux col déboutonné, la cravate dénouée, dégageait une impression de bien-être qui devait frapper le gendarme.

— Asseyez-vous ici, tenez !… Mais, vous savez, il n’y a rien d’intéressant à voir.

— Vous êtes trop modeste, commissaire…

C’était tellement naïf que Maigret détourna la tête pour cacher un sourire. Il avait apporté dans la chambre tout ce qui avait trait à l’affaire. Après s’être assuré que la table, recouverte d’un tapis d’indienne à ramages rougeâtres, ne pouvait rien lui révéler, il y avait étalé ses dossiers, depuis le rapport du médecin légiste jusqu’aux photos des lieux et de la victime que l’Identité judiciaire lui avait envoyées le matin même.

Enfin, cédant à un sentiment plutôt superstitieux que scientifique, il avait posé la photographie d’Emile Gallet sur la cheminée de marbre noir ornée d’un bougeoir en cuivre.

A terre, il n’y avait pas de tapis. Le plancher, en chêne, était verni, et les premiers enquêteurs avaient dessiné à la craie les contours du corps tel qu’ils l’avaient trouvé.

Dehors, dans la verdure, s’élevait un murmure confus, intensément vivant, fait de chants d’oiseaux, du bruissement du feuillage, du bourdonnement des mouches et du caquet lointain des poules sur la route, le tout scandé par les coups espacés du marteau sur l’enclume de la forge.

Des voix embrouillées arrivaient parfois de la terrasse, ou encore on entendait le roulement d’une voiture sur le pont suspendu.

— Ce ne sont pas les documents qui vous manquent ! Je n’aurais jamais cru…

Mais le commissaire n’écoutait pas. Posément, en tirant de petites bouffées de sa pipe, il étendait sur le sol, à la place où s’étaient trouvées les jambes du cadavre, un pantalon de drap noir, tissé si serré qu’après avoir été porté une dizaine d’années, sans doute, à en juger par son lustre, il eût pu encore servir dix ans.

Maigret étala de même une chemise en percale et, à sa place normale, un plastron empesé. Mais l’ensemble n’eut pas de forme, ne devint à la fois saugrenu et émouvant que quand, au bout des jambes du pantalon, il posa une paire de chaussures à élastiques.

Cela ne ressemblait pas à un corps, non ! C’en était plutôt une représentation caricaturale si inattendue que le brigadier lança une œillade à son compagnon, fit entendre un petit rire gêné.

Maigret ne riait pas. Lourd et obstiné, il allait et venait lentement, consciencieusement. Il examina la jaquette, la remit au portemanteau après avoir constaté qu’elle n’était pas trouée à l’endroit où le poignard avait frappé. Le gilet, qui, lui, était déchiré à hauteur de la poche gauche, prit sa place sur le plastron.

— Voici donc comment il était habillé ! dit-il à mi-voix.

Il consulta une photo de l’Identité judiciaire, corrigea son œuvre en ajoutant à son mannequin inconsistant un faux col très haut, en celluloïd, et un nœud de satin noir.

— Vous voyez, brigadier ? Samedi, il a dîné à huit heures. Il a mangé des pâtes, car il était au régime. Ensuite, selon son habitude, il a lu le journal en buvant de l’eau minérale. Un peu après dix heures, il est entré dans cette chambre el il a retiré sa jaquette, tout en gardant ses chaussures et son faux col.

En réalité, Maigret parlait moins pour le gendarme, qui l’écoutait avec application et qui croyait de son devoir d’approuver chaque phrase, que pour lui-même.

— Où pouvait bien être le couteau à ce moment-là ? C’est un couteau à cran d’arrêt, mais d’un modèle de poche, comme beaucoup de gens ont l’habitude d’en porter. Attendez…

Il replia la lame du couteau qui se trouvait sur la table avec les autres pièces à conviction, glissa l’objet dans la poche gauche du pantalon noir.

— Non ! Cela fait des faux plis…

Il essaya à droite et se montra satisfait.

— Voilà ! Il a son couteau dans sa poche. Il vit. Et, entre onze heures et minuit et demi, selon le médecin, il est mort. Il y a de la poussière de chaux et de pierre meulière au bout de ses chaussures. Or, en face de la fenêtre, sur le mur de la propriété de Tiburce de Saint-Hilaire, je relève des traces laissées par des souliers du même genre.

» Est-ce pour grimper sur le mur qu’il a retiré sa jaquette ? Car il n’est pas un homme à se mettre à son aise, même chez lui, il ne faut pas l’oublier !

Maigret circulait toujours, n’achevait pas toutes ses phrases, n’accordait pas un coup d’œil à son auditeur immobile sur une chaise.

— Dans la cheminée, d’où l’on a retiré le poêle pour l’été, je retrouve des papiers brûlés… Reprenons les gestes qu’il a dû faire : retirer sa jaquette, brûler les papiers, disperser les cendres avec le pied de ce bougeoir (car il y a de la suie sur le cuivre), escalader le mur d’en face après avoir enjambé l’appui de fenêtre et revenir ici par le même chemin. Enfin, prendre le couteau dans sa poche et l’ouvrir… Ce n’est pas grand-chose, mais si nous savions déjà dans quel ordre ces faits et gestes se sont déroulés…

» Entre onze heures et minuit et demi, il est donc à nouveau ici. La fenêtre est ouverte et il reçoit une balle dans la tête… Aucun doute là-dessus ! La balle a précédé le coup de couteau… Et elle a été tirée du dehors…

» Or, Gallet a saisi son couteau. Il n’a pas essayé de sortir, ce qui semble indiquer que c’est l’assassin qui est entré, car on ne se bat pas à coups de couteau avec un adversaire qui se trouve à sept mètres de distance…

» Mieux ! Gallet a la moitié de la figure arrachée. La blessure saigne. Et l’on ne retrouve pas une goutte de sang près de la fenêtre.

» Les traces prouvent que, blessé, il n’a pas circulé dans un rayon de plus de deux mètres…

» Forte ecchymose au poignet gauche ! écrit le médecin qui a pratiqué l’autopsie. Donc, notre homme tient son couteau de la main gauche et l’on saisit cette main pour retourner l’arme contre lui.

» La lame pénètre dans le cœur et il tombe tout d’une pièce. Il lâche le couteau et l’assassin ne s’inquiète pas, sachant qu’on n’y relèvera que les empreintes digitales de la victime.

» Le portefeuille reste dans la poche de Gallet ; aucun objet n’est volé. Et pourtant l’Identité judiciaire prétend qu’il y a, en particulier sur la valise, des parcelles infimes de caoutchouc, comme si quelqu’un l’avait maniée avec des gants…

— Curieux ! Curieux ! s’extasia gentiment le gendarme, qui eût été incapable de répéter le quart de ce qu’il venait d’entendre.

— Le plus curieux, c’est que, outre ces traces de caoutchouc, on ait retrouvé un peu de poussière de rouille…

— Le revolver était peut-être rouillé !

Maigret se tut, alla se camper devant la fenêtre et tel quel, en négligé, avec les manches de sa chemise blanche qui bouffaient, sa silhouette se détachant sur le rectangle lumineux, il était énorme. Au-dessus de sa tête montait un mince filet de fumée bleue.

Le brigadier, docile, restait dans son coin, hésitait à changer la position de ses jambes.

— Vous ne venez pas voir mes vagabonds ? questionna-t-il timidement.

— Ils sont toujours là ? Relâchez-les !

Et Maigret revint vers la table en se frottant la tête à rebrousse-poil, taquina le dossier rose, changea les photos de place, fixa son interlocuteur.

— Vous avez un vélo ? Voulez-vous faire un saut jusqu’à la gare et demander à quelle heure, samedi, Henry Gallet, un jeune homme de vingt-cinq ans, grand, maigre, pâle, vêtu de sombre, portant des lunettes d’écaille, a pris le train pour Paris ?… Au fait, vous n’avez jamais entendu parler d’un M. Jacob ?

— A part celui de la Bible… risqua le brigadier.

Les vêtements d’Emile Gallet s’étalaient toujours sur le plancher, comme une caricature de cadavre. Au moment où le gendarme se dirigeait vers la porte, on frappa et M. Tardivon annonça :

— Une visite pour vous, commissaire ! Une dame Boursang, qui voudrait vous dire deux mots…

Le brigadier aurait préféré rester, mais son compagnon ne l’y invita pas. Après un coup d’œil satisfait à la chambre, Maigret dit :

— Faites entrer…

Et il se pencha vers le mannequin dégonflé, hésita, sourit, planta le couteau à la place du cœur, tassa du doigt le tabac dans sa pipe.

Eléonore Boursang avait revêtu un tailleur clair, d’une coupe sage, qui, loin de la rajeunir, lui donnait plutôt trente-cinq ans que trente.

Ses bas étaient bien tendus, ses chaussures correctes et ses cheveux blonds arrangés avec soin sous une toque de paille blanche. Elle était gantée.

Maigret s’était retiré dans un coin d’ombre, curieux de voir comment elle se présenterait. Lorsque M. Tardivon la quitta sur le seuil, elle marqua un temps d’arrêt, parut déroutée par le contraste entre la vive lumière de la fenêtre et le clair-obscur de la chambre.

— Le commissaire Maigret ? prononça-t-elle enfin en avançant de quelques pas et en se tournant vers la silhouette qu’elle ne faisait encore que deviner. Je m’excuse de vous déranger, monsieur…

Il vint à elle, pénétra dans la lumière. Lorsqu’il eut refermé la porte, il dit :

— Veuillez vous asseoir !

Et il attendit, sans l’aider le moins du monde par son attitude, affectant au contraire une humeur acariâtre.

— Henry a dû vous parler de moi et c’est pourquoi je me suis permis, me trouvant à Sancerre, de vous importuner.

Il continua à garder le silence, sans parvenir à la troubler. Elle parlait posément, avec une certaine dignité qui n’était pas sans rappeler Mme Gallet.

Une Mme Gallet plus jeune, un peu plus jolie que la mère de Henry l’avait été, sans doute, mais aussi représentative qu’elle d’une même classe sociale.

— Vous devez comprendre ma situation. Après ce… cet affreux drame, je voulais quitter Sancerre, mais Henry, dans sa lettre, m’a conseillé de rester… Je vous ai aperçu deux ou trois fois… J’ai appris par les gens du pays que vous étiez chargé de découvrir l’assassin… Alors je me suis décidée à venir vous demander si vous aviez trouvé quelque chose… Ma situation est délicate, étant donné qu’officiellement je ne suis rien pour Henry, ni pour sa famille…

Cela n’avait pas l’air d’un discours préparé. Les phrases lui venaient aux lèvres sans effort et le débit était sans précipitation.

A plusieurs reprises, son regard s’était posé sur le poignard planté dans la forme baroque que dessinaient les vêtements sur le sol, mais elle n’avait pas tressailli.

— Votre amant vous a chargée de me cuisiner ? lança soudain Maigret avec une brutalité voulue.

— Il ne m’a chargée de rien ! Il est accablé par le coup qui l’a frappé… Et ce n’est pas le moins horrible que je n’aie pas pu être auprès de lui pour les obsèques…

— Il y a longtemps que vous le connaissez ?

Elle ne parut pas remarquer que l’entretien tournait à l’interrogatoire, sa voix resta égale.

— Il y a trois ans… J’ai trente ans… Henry n’en a que vingt-cinq… Et je suis veuve…

— Vous êtes originaire de Paris ?

— De Lille… Mon père était chef comptable dans une filature… A vingt ans, j’ai épousé un ingénieur textile qui a été tué par une machine moins d’un an après mon mariage… J’aurais dû recevoir une rente de la société qui l’employait… Mais elle a prétendu que l’accident était imputable à l’imprudence de la victime…

» Alors, comme je devais gagner ma vie et que je ne voulais pas travailler dans une ville où chacun me connaît, je me suis installée à Paris. Je suis entrée comme caissière dans une maison de commerce de la rue Réaumur…

» J’avais intenté un procès à la filature. L’affaire a traîné devant toutes les juridictions…

» Il y a deux ans seulement que j’ai obtenu gain de cause et que, désormais à l’abri du besoin, j’ai pu quitter ma place…

— Vous étiez caissière lorsque vous avez connu Henry Gallet ?

— Oui ! Il venait souvent voir mes patrons, comme démarcheur de la Banque Sovrinos…

— Il n’a jamais été question de mariage entre vous ?

— Au début, nous en avons parlé, mais, si je m’étais mariée avant le jugement, ma position devant le tribunal, pour la pension, eût été moins favorable…

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