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Simenon, Georges - La guinguette à deux sous

Читать бесплатно Simenon, Georges - La guinguette à deux sous. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Gros – Demi-gros

On livre par sacs à domicile

Prix d’été

Un chantier entouré d’une palissade noirâtre. En face, de l’autre côté de la rue, un quai de déchargement portant la même raison sociale et des péniches au repos près des tas de charbon déchargé du jour même.

Au milieu des chantiers, une grosse maison, genre villa. M. Basso rangea sa voiture, eut un regard machinal pour s’assurer qu’il n’y avait pas de cheveux de femme sur ses épaules, entra chez lui.

Maigret le vit reparaître dans une chambre du premier étage dont les fenêtres étaient larges ouvertes. Il était avec une femme grande, blonde, jolie. Ils riaient tous les deux. Ils parlaient avec animation. M. Basso essayait son haut-de-forme et se regardait dans la glace.

On entassait des effets dans des valises. Il y avait une bonne en tablier blanc.

Un quart d’heure plus tard – il était cinq heures – la famille descendait. Un gamin de dix ans marchait le premier, portant un fusil à air comprimé. Puis la servante, Mme Basso, son mari, un jardinier avec les valises…

Tout cela regorgeait de bonne humeur. Des autos passaient, se dirigeant vers la campagne. À la Gare de Lyon, les trains dédoublés et triplés sifflaient éperdument.

Mme Basso s’assit près de son mari. Le gosse s’installa derrière, parmi les bagages, et baissa les vitres.

L’auto était sans luxe. Une bonne voiture de série, bleu de roi, presque neuve.

Quelques minutes plus tard on roulait vers Villeneuve-Saint-Georges. Puis c’était la route de Corbeil. On traversait cette ville. Un chemin défoncé, le long de la Seine.

Mon loisir.

C’était le nom de la villa, là-bas, entre Morsang et Seineport, au bord du fleuve. Une villa neuve, avec des briques éclatantes, des peintures fraîches, des fleurs qui semblaient avoir été lavées le matin.

Un plongeoir tout blanc, dans la Seine. Des canots.

— Vous connaissez le coin ? demanda Maigret à son chauffeur.

— Un peu…

— Il y a moyen de coucher quelque part ?

— À Morsang, au Vieux-Garçon… Ou alors plus haut, à Seineport, chez Marius…

— Et la guinguette à deux sous ?

L’autre fit un signe d’ignorance.

Le taxi ne pouvait rester longtemps au bord de la route sans être remarqué. La voiture des Basso était déjà vidée de son contenu. Dix minutes ne s’étaient pas écoulées que Mme Basso se montrait dans le jardin vêtue d’un costume de matelot en toile de Concarneau, un bonnet de marin américain sur la tête.

Son mari devait être plus pressé d’essayer son travestissement, car il apparut à une fenêtre, déjà sanglé dans une redingote invraisemblable, coiffé d’un haut-de-forme.

— Qu’est-ce que tu en dis ?

— Tu n’as pas oublié l’écharpe, au moins ?

— Quelle écharpe ?

— Eh bien ! un maire, ça porte une écharpe tricolore…

Sur le fleuve, des canoës glissaient lentement.

Un remorqueur sifflait, très loin. Le soleil commençait à sombrer dans les arbres de la colline d’aval.

— Allez au Vieux-Garçon ! dit Maigret.

Il aperçut une grande terrasse, au bord de la Seine, des embarcations de toutes sortes, une dizaine de voitures rangées derrière le bâtiment.

— Je vous attends ?

— Je ne sais pas encore.

La première personne qu’il rencontra fut une femme tout en blanc qui courait et qui faillit lui tomber dans les bras. Elle portait des fleurs d’oranger sur la tête. Un jeune homme en costume de bain la poursuivait. Tous deux riaient.

D’autres assistaient à la scène, du perron de l’auberge.

— N’abîme pas la mariée !… criait quelqu’un.

— Attends au moins la noce !

La mariée s’arrêtait, essoufflée, et Maigret reconnaissait la dame de l’avenue Niel, celle qui, deux fois par semaine, pénétrait avec M. Basso dans la maison meublée.

Dans un bachot peint en vert, un homme rangeait des engins de pêche, le front plissé, comme s’il se fût livré à un travail délicat et pénible.

— Cinq pernods, cinq !

Un jeune homme sortait de l’auberge, du blanc gras et des fards sur le visage. Il s’était fait la tête d’un paysan boutonneux et hilare.

— Est-ce réussi ?

— Tu aurais dû avoir les cheveux roux !

Une auto arrivait. Des gens en descendaient, qui étaient déjà habillés pour la noce villageoise. Une femme portait une robe en soie puce qui traînait par terre. Son mari avait mis la chaîne d’un bachot en guise de chaîne de montre sur son abdomen arrondi par un coussin glissé sous le gilet.

Les rayons du soleil devenaient rouges. C’est à peine si le feuillage des arbres frémissait. Un canoë coulait au fil de l’eau et son passager, demi-nu, couché à l’arrière, se contentait de le diriger d’une pagaie nonchalante.

— À quelle heure viennent les chars à bancs ?

Maigret ne savait pas trop où se mettre.

— Les Basso sont arrivés ?

— Ils nous ont doublés sur la route !

Soudain quelqu’un vint se camper devant Maigret, un homme d’une trentaine d’années, déjà presque chauve, au visage de clown. Une flamme malicieuse pétillait dans ses yeux. Et il lança avec un accent anglais prononcé :

— Voilà un copain pour faire le notaire !

Il n’était pas tout à fait ivre. Il n’était pas tout à fait sain non plus. Les rayons du soleil couchant empourpraient son visage, dont les prunelles étaient plus bleues que la rivière.

— Tu fais le notaire, pas vrai ? reprit-il avec une familiarité d’ivrogne. Mais si, mon vieux, on rigolera !

Et il ajouta, en prenant Maigret sous le bras :

— Viens boire un pernod.

Tout le monde riait. Une femme fit à mi-voix :

— Il va fort, James !

Mais l’autre, imperturbable, entraînait Maigret vers le Vieux-Garçon, commandait :

— Deux grands per !…

Et il rit lui-même de cette boutade hebdomadaire, pendant qu’on leur servait deux verres pleins jusqu’au bord.

II

Le mari de la dame

Quand on arriva en face de la guinguette à deux sous, Maigret n’avait pas encore son « tour de clé », comme il disait volontiers. Il avait suivi M. Basso sans trop de confiance. Au Vieux-Garçon, il avait regardé d’un œil morne les gens qui s’agitaient. Mais il n’avait pas ressenti ce petit pincement, ce décalage, ce tour de clé enfin, qui le plongeait dans l’atmosphère d’une affaire.

Tandis que James le forçait à trinquer avec lui, il avait vu des clients aller et venir, essayer des vêtements saugrenus, s’aider les uns les autres, pouffer, crier. Les Basso étaient arrivés et leur fils, à qui l’on avait fait une tête de petit idiot de campagne, aux cheveux couleur carotte, avait soulevé l’enthousiasme.

— Laisse-les faire ! disait James chaque fois que Maigret se tournait vers la bande. Ils rigolent et ils ne sont même pas soûls…

Deux chars à bancs s’étaient arrêtés. Encore des cris. Encore des rires et des bousculades. Maigret y avait pris place, près de James, tandis que les patrons du Vieux-Garçon et tout le personnel étaient rangés sur la terrasse pour assister au départ.

Au soleil avait succédé un crépuscule bleuté. On voyait, de l’autre côté de la Seine, de quiètes villas dont les fenêtres éclairées scintillaient dans la pénombre.

Les chars à bancs roulaient cahin-caha. Le regard du commissaire cueillait en quelque sorte des images autour de lui : le cocher qu’on taquinait et qui riait avec l’air de vouloir mordre ; une jeune fille qui avait réussi à se maquiller en Bécassine et qui s’efforçait de prendre un accent paysan ; un monsieur à cheveux gris qui portait une robe de grand-mère…

C’était confus, trop mouvant, trop inattendu aussi. C’est à peine si Maigret pouvait deviner à quel monde chacun appartenait. Il y avait toute une mise au point nécessaire.

— Celle-là, là-bas, c’est ma femme… annonça James en désignant la plus grassouillette des femmes, qui portait des manches à gigot.

Et il disait cela d’une voix morne, avec une petite flamme dans les yeux.

On chanta. On traversa Seineport et les gens vinrent sur les seuils pour assister au défilé. Des gamins coururent longtemps derrière les chars en hurlant d’enthousiasme.

Les chevaux se mirent au pas. On traversait un pont. Quelque part, une enseigne était visible dans le clair-obscur :

Eugène Rougier – Débitant.

La maison était toute petite, toute blanche, serrée entre le chemin de halage et la colline. Les caractères de l’enseigne étaient naïfs. À mesure que l’on approchait, on percevait des ritournelles de musique, entrecoupées de grincements.

Qu’est-ce qui provoqua le tour de clé ? Maigret eût été bien en peine de le dire. Peut-être la mollesse du soir, la petite maison blanche avec ses deux fenêtres lumineuses et le contraste avec cette invasion carnavalesque ?

Peut-être le couple qui s’avançait pour regarder la « noce » ? Lui, un jeune ouvrier d’usine. Elle, une belle fille vêtue de soie rose, les mains aux hanches…

La maison n’avait que deux pièces. Dans celle de droite, une vieille femme s’agitait autour de son fourneau. Dans celle de gauche, on devinait un lit, des portraits de famille.

Le bistrot était derrière. C’était un grand hangar tout un côté était ouvert sur le jardin. Des tables et des bancs. Un comptoir. Un piano mécanique et des lampions.

Des mariniers buvaient, au comptoir. Une fillette d’une douzaine d’années surveillait le piano mécanique qu’elle remontait de temps en temps et glissait deux sous dans la fente.

Tout cela s’anima très vite. À peine descendus des chars à bancs, les nouveaux venus dansaient, bousculaient les tables, réclamaient à boire. Maigret, qui avait perdu James de vue, le retrouva au comptoir, rêveur devant un pernod.

Dehors, sous les arbres, un garçon dressait les couverts. Et le conducteur d’un char soupirait :

— Pourvu qu’ils ne nous tiennent pas trop tard ! Un samedi !…

Maigret était seul. Il fit lentement un tour complet sur lui-même. Il vit la petite maison qui fumait, les chars, le hangar, le couple d’amoureux, la foule travestie.

— C’est cela ! grommela-t-il.

La guinguette à deux sous ! Une allusion à la pauvreté du lieu, ou encore aux deux sous qu’il fallait mettre dans le piano pour avoir de la musique.

Et c’était là qu’il y avait un assassin ! Peut-être quelqu’un de la noce ! Peut-être le jeune ouvrier ! Peut-être un marinier !…

Ou James ! Ou M. Basso ?…

Il n’y avait pas l’électricité. Le hangar était éclairé par deux lampes à pétrole et d’autres étaient posées sur les tables, dans le jardin, si bien que le décor était partagé en taches d’ombre et de lumière.

— À table !… On mange !…

Mais on dansait toujours. On buvait. Les yeux s’animaient. Quelques personnes durent prendre plusieurs apéritifs coup sur coup car, en moins d’un quart d’heure, il y eut de l’ivresse dans l’air.

La vieille femme du bistrot servait elle-même à table, s’inquiétait du succès de ses plats – du saucisson, une omelette et un lapin ! – mais personne n’y prenait garde. On mangeait sans même s’en rendre compte. Et toutes les voix réclamaient à boire.

Un charivari confus, couvrant la musique. Les mariniers, du comptoir, contemplaient la scène en continuant leur conversation lente sur les canaux du Nord et le halage électrique.

Les jeunes amoureux dansaient, joue à joue ; mais leurs regards ne quittaient pas les tables où l’on s’amusait.

Maigret ne connaissait personne. Il avait à côté de lui une femme qui s’était fait une tête ridicule, moustachue, piquée de grains de beauté multiples, et qui l’appelait sans cesse l’oncle Arthur.

— Passe-moi le sel, oncle Arthur…

— Alors, et ton viau, oncle Arthur ?…

On se tutoyait. On se donnait de grands coups de coude. Est-ce que ces gens-là se connaissaient très bien entre eux ? Est-ce que ce n’étaient que des compagnons de hasard ?

Et que pouvait bien faire dans la vie, par exemple, le bonhomme à cheveux gris habillé en vieille femme ?

Et cette dame vêtue en petite fille qui adoptait une voix de fausset !

Des bourgeois, comme les Basso ? Marcel Basso était à côté de la mariée. Il ne la chahutait pas. De temps en temps, seulement, il avait un regard entendu qui devait signifier : « Ce qu’on était bien, après midi ! »

Avenue Niel, dans la garçonnière meublée ! Est-ce que le mari était ici aussi ?

Quelqu’un fit partir des pétards. Un feu de Bengale s’alluma dans le jardin et le couple d’ouvriers le regarda tendrement, la main dans la main.

— On dirait un décor de théâtre… dit la belle fille en rose.

Et il y avait un assassin !

— Un discours ! Un discours ! Un discours !

Ce fut M. Basso qui se leva, un sourire ravi aux lèvres, qui toussa, feignit l’embarras, commença un discours saugrenu que hachaient les applaudissements.

À certain moment, son regard s’arrêta sur Maigret. C’était le seul visage grave autour de la table. Et le commissaire sentit une gêne chez l’homme, qui détourna la tête.

Mais deux fois, trois fois le regard revint vers lui, interrogateur, ennuyé.

— … et vous répéterez tous avec moi : Vive la mariée !…

— Vive la mariée !

On se levait. On embrassait la mariée. On dansait. On entrechoquait les verres. Maigret vit M. Basso qui s’approchait de James et lui posait une question. Sans doute :

— Qui est-ce ?

Il entendit la réponse :

— Je ne sais pas… Un copain !… Un chic type !…

Les tables étaient abandonnées. Tout le monde dansait dans le hangar et des gens venus on ne savait d’où restaient dans la nuit, à peine distincts des troncs d’arbres, à contempler ceux qui s’amusaient.

Les bouchons de mousseux sautèrent.

— Viens boire une fine ! dit James. Je suppose que tu ne danses pas…

Drôle de garçon ! Il avait bu déjà de quoi enivrer quatre ou cinq hommes normaux. Et il n’était pas ivre à proprement parler. Il se traînait, saumâtre, d’une démarche flegmatique. Il fit entrer Maigret dans la maison. Il s’installa dans le fauteuil Voltaire du patron.

Une grand-mère toute cassée lavait la vaisselle tandis que la patronne, qui devait être sa fille et qui n’avait pas loin de cinquante ans, s’affairait.

— Eugène !… Encore six bouteilles de mousseux… Tu ferais peut-être bien de demander au cocher d’aller en chercher à Corbeil.

Un petit intérieur de campagne, très pauvre. Une horloge à balancier, dans une caisse de noyer sculpté. Et James allongeait les jambes, saisissait la bouteille de fine qu’il avait commandée, en servait deux pleins verres.

— À ta santé !…

On ne voyait plus rien de la noce. On entendait seulement une rumeur qui couvrait la musique. Par la porte ouverte, on devinait la surface fuyante de la Seine.

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