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Simenon, Georges - Le port des brumes

Читать бесплатно Simenon, Georges - Le port des brumes. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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Julie sanglotait, toute résistance brisée, et Maigret poursuivait :

— Seulement, autour du mort, tout le monde se tait, tout le monde ment, au point qu’on pourrait croire que tout le monde a quelque chose à se reprocher, que tout le monde est complice !

— Ce n’est pas vrai ! cria-t-elle.

Et Grand-Louis, de plus en plus mal à l’aise, se versa à boire, emplit en même temps le verre du commissaire.

— Grand-Louis, le premier, se tait.

Julie regarda son frère à travers ses larmes, comme frappée par la justesse de ces paroles.

— Il sait quelque chose… Il sait beaucoup de choses… Est-ce qu’il a peur de l’assassin ?… Est-ce qu’il a quelque chose à craindre ?…

— Louis ! lui cria-t-elle.

Et Louis regardait ailleurs, les traits durs.

— Dis que c’est faux, Louis !… Tu entends ?…

— Je ne sais pas ce que le commissaire…

Il se leva. Il ne tenait plus en place.

— Louis ment plus que les autres ! Il prétend ne pas connaître le Norvégien et il le connaît ! Il prétend ne pas avoir de rapports avec le maire et je le trouve chez celui-ci, occupé à lui assener des coups de poing.

Un vague sourire sur les lèvres du forçat. Mais Julie ne l’entendait pas ainsi.

— C’est vrai, Louis ?

Et, comme il ne répondait pas, elle lui saisit le bras.

— Alors, pourquoi ne dis-tu pas la vérité ?… Tu n’as rien fait, j’en suis sûre !…

Il se dégagea, troublé, peut-être faiblissant. Maigret ne lui donna pas le temps de se reprendre.

— Dans tout ce fatras de mensonges, il ne faudrait sans doute qu’une toute petite vérité, un tout petit renseignement qui ferait crouler l’édifice…

Mais non ! Malgré les regards suppliants de sa sœur, Louis se secouait comme un géant que des ennemis minuscules et rageurs harcèlent.

— Je ne sais rien…

Et Julie, sévère, déjà méfiante :

— Pourquoi ne parles-tu pas ?

— Je ne sais rien !…

— Le commissaire dit…

— Je ne sais rien !…

— Écoute, Louis ! J’ai toujours eu confiance en toi ! Tu le sais bien ! Et je t’ai défendu, même contre le capitaine Joris…

Elle rougit de cette phrase malheureuse, se hâta de parler d’autre chose :

— Il faut que tu dises la vérité ! Je n’en peux plus… Et je ne resterai pas davantage dans cette maison, toute seule…

— Tais-toi !… soupira-t-il.

— Qu’est-ce que vous voulez qu’il vous dise, commissaire ?

— Deux choses. D’abord, qui est Martineau. Ensuite pourquoi le maire se laisse battre…

— Tu entends, Louis ?… Ce n’est pas terrible !

— Je ne sais rien…

La colère montait en elle.

— Louis, fais attention !… Je finirai par croire…

Et le feu ronronnait toujours. Et le tic-tac de la pendule était lent, étirant sur le balancier de cuivre le reflet de la lampe.

Louis était trop grand, trop fort, trop rude, avec sa tête et son épaule de travers, pour cette cuisine proprette de petit rentier. Il ne savait que faire de ses grosses pattes. Son regard fuyant ne savait sur quoi s’arrêter.

— Il faut que tu parles !

— J’ai rien à dire…

Il voulut se verser à boire, mais elle se précipita sur la carafe.

— C’est assez ! Ce n’est pas la peine que tu t’enivres encore…

Elle était dans un état douloureux de nervosité. Elle sentait confusément que la minute était tragique. Elle se raccrochait à son espoir de tout éclaircir d’un mot.

— Louis… cet homme… Ce Norvégien, c’est celui qui devait acheter le Saint-Michel et devenir ton patron, n’est-ce pas ?

La réponse vint, catégorique :

— Non !

— Alors, qui est-ce ? On ne l’a jamais vu dans le pays ! Il ne vient pas d’étrangers ici…

— Je ne sais pas…

Elle s’obstinait, avec une subtilité instinctive de femme.

— Le maire t’a toujours détesté… C’est vrai que tu as dîné chez lui ce soir ?…

— C’est vrai…

Elle trépigna d’impatience.

— Mais alors, dis-moi quelque chose ! Il le faut ! Ou je te jure que je vais croire que…

Elle n’allait pas plus loin. Elle était affreusement malheureuse. Elle regardait le fauteuil d’osier, le poêle familier, l’horloge, le flacon aux fleurs peintes.

— Tu aimais bien le capitaine… Je le sais !… Tu l’as dit cent fois, et si vous vous êtes disputés c’est que…

Il fallait expliquer cela.

— Ne croyez pas ce qui n’est pas, monsieur le commissaire ! Mon frère aimait le capitaine Joris… Et le capitaine l’aimait bien aussi… Seulement, il y a eu… Ce n’est pas grave !… Louis ne se connaît plus quand il a de l’argent en poche, et alors il dépense tout, n’importe comment… Le capitaine savait qu’il venait me prendre mes économies… Il lui faisait de la morale… C’est tout !… S’il lui interdisait de venir ici, à la fin, c’était à cause de cela… Pour qu’il ne me prenne plus mon argent !… Mais il me disait, à moi, qu’au fond Louis était un brave garçon qui n’avait que le défaut d’être faible…

— Et Louis, dit lentement Maigret, savait peut-être que, Joris mort, vous héritiez de trois cent mille francs ?

Ce fut si rapide que le commissaire faillit avoir le dessous. Tandis que Julie poussait un cri perçant, Grand-Louis tombait à bras raccourcis sur Maigret, qu’il essayait de prendre à la gorge.

Le commissaire put saisir un de ses poignets au col. D’une pression lente, mais sûre, il le tordit derrière le dos du matelot, gronda :

— Bas les pattes !

Julie, les coudes contre le mur, la tête dans les bras repliés, pleurait de plus belle, poussait de faibles cris de détresse.

— Mon Dieu ! Mon Dieu !

— Tu ne veux pas parler, Louis ? martela Maigret en lâchant l’ex-forçat.

— Je n’ai rien à dire.

— Et si je t’arrête ?

— Tant pis !

— Suis-moi !

Julie s’écria :

— Monsieur le commissaire ! Je vous en supplie ! Louis, parle, pour l’amour de Dieu !

Ils étaient déjà à la porte vitrée de la cuisine. Grand-Louis se retourna, le visage tout rouge, les yeux brillants, avec une moue indescriptible. Il tendit une main vers l’épaule de sa sœur.

— Lilie, je te jure…

— Lâche-moi !

Il hésita, fit un pas vers le corridor, se retourna encore.

— Écoute…

— Non ! Non, va-t’en !

Alors il traîna ses pieds derrière Maigret, s’arrêta sur le seuil, fut tenté de se retourner, mais résista. La porte se referma sur eux. Ils n’avaient pas fait cinq pas dans la bourrasque qu’elle s’ouvrait, qu’on voyait la forme claire de la jeune fille, qu’on entendait appeler :

— Louis !

Trop tard. Les deux hommes marchaient dans la nuit, droit devant eux.

Une rafale de pluie les détrempa en l’espace de quelques secondes. On ne voyait rien, pas même les limites de l’écluse. Pourtant une voix appela dans l’ombre, au-dessous d’eux :

— C’est toi, Louis ?

C’était Lannec, à bord duSaint-Michel. Il avait entendu des pas. Il passait la tête par l’écoutille. Il devait savoir que le marin n’était pas seul, car il prononça très vite, en bas breton :

— Saute sur le gaillard d’avant et on file !

Maigret, qui avait compris, attendait, incapable de savoir, dans l’ombre, où commençait le Saint-Michel et où il finissait, ne voyant de son compagnon qu’une masse hésitante dont la pluie faisait luire les épaules.

X

Les trois du bateau

Un coup d’œil vers le trou noir qu’était le large ; un autre plus furtif à Maigret. Grand-Louis haussa les épaules, demanda au commissaire, dans un grognement :

— Vous montez à bord ?…

Maigret s’aperçut que Lannec tenait quelque chose à la main : un bout d’amarre. Il suivit celle-ci des yeux, la vit qui tournait autour d’une bitte et revenait à bord. Autrement dit, leSaint-Michel était amarré en double, ce qui lui permettait d’appareiller sans mettre un homme à terre.

Le commissaire ne dit rien. Il savait le port désert. Julie devait sangloter dans sa cuisine, à trois cents mètres de là, et à part elle, les êtres les plus proches étaient blottis dans la chaleur de la Buvette de la Marine.

Il posa un pied sur la lisse, sauta sur le pont, suivi par Louis. Malgré la protection des jetées, l’eau de l’avant-port était agitée et le Saint-Michel était soulevé à chaque vague comme par une aspiration puissante.

Rien que quelques reflets jaunes sur des choses mouillées dans le noir. Une vague silhouette, à l’avant : le capitaine, qui regardait Louis avec étonnement. Il portait de hautes bottes caoutchoutées, un huilé, un suroît. Il ne lâchait pas son filin.

Et nul ne prenait une initiative. On attendait quelque chose. Les trois hommes devaient observer Maigret, tellement étranger à eux, avec son pardessus à col de velours et son chapeau melon qu’il maintenait de la main.

— Vous ne partirez pas cette nuit ! dit-il.

Pas de protestation. Mais un coup d’œil échangé de plus près entre Lannec et Grand-Louis. Cela voulait dire : « On part quand même ? » — « Vaut mieux pas… »

Les rafales devenaient si violentes qu’on pouvait à peine tenir sur le pont, et ce fut Maigret encore qui se dirigea vers l’écoutille, qu’il connaissait.

— On va causer… Appelez aussi l’autre matelot…

Il préférait ne laisser personne derrière lui. Les quatre hommes descendirent l’escalier roide. On retira les cirés et les bottes. La lampe à cardan était allumée et il y avait des verres sur la table, à côté d’une carte marine zébrée de traits de crayon et maculée de graisse.

Lannec mit deux briquettes dans le petit poêle, hésita à offrir à boire à son visiteur qu’il regardait de travers. Quant au vieux Célestin, il était allé se tasser dans un coin, hargneux, inquiet, se demandant pourquoi on le faisait pénétrer dans le poste arrière.

Une impression très nette se dégageait des attitudes : personne ne voulait parler, parce que personne ne savait où on en était. Les yeux du capitaine interrogeaient Grand-Louis, qui lui répondait par des regards désespérés.

Ce qu’il avait à dire n’exigeait-il pas de longues explications ?

— Vous avez bien réfléchi ? grommela Lannec après avoir toussé pour s’éclaircir la voix, qu’il avait enrouée.

Maigret s’était assis sur un banc, les deux coudes sur la table. Il jouait machinalement avec un verre vide, si gras qu’il n’était plus transparent.

Grand-Louis, debout, devait pencher la tête pour ne pas toucher le plafond. Lannec, par contenance, tripotait quelque chose dans l’armoire.

— Réfléchi à quoi ?

— Je ne sais pas quels sont vos droits. Ce que je sais, c’est que je ne dépends, moi, que des autorités maritimes. Elles seules ont le droit d’empêcher un bateau d’entrer dans un port ou d’en sortir…

— Et alors ?

— Vous m’empêchez de quitter Ouistreham… J’ai un chargement à prendre à La Rochelle, avec dommages et intérêts à la clé par journée de retard…

Cela s’engageait mal, sur un ton sérieux, semi-officiel. Maigret connaissait ces discours-là ! Est-ce que le maire ne l’avait pas menacé d’une façon à peu près pareille ? Puis Jean Martineau, qui parlait, lui, non des autorités maritimes, mais de son consul ?

Il fut un moment à aspirer fortement l’air, à leur lancer à tous trois un regard rapide, de ses prunelles qui devenaient joyeuses.

— Fais pas le malin ! dit-il en breton. Et verse plutôt à boire.

Cela pouvait rater. Le vieux matelot fut le premier à se tourner vers Maigret avec étonnement.

Grand-Louis se dérida. Lannec questionna, pas encore dégelé :

— Vous êtes Breton ?

— Pas tout à fait… Je suis de la Loire… Seulement, j’ai fait une partie de mes études à Nantes…

Une moue ! La moue des Bretons de la côte à qui on parle des Bretons de l’intérieur, et surtout des demi-Bretons de la région nantaise.

— Il n’y a plus de ce schiedam de l’autre jour ?

Lannec prit la bouteille, remplit les verres, lentement, parce qu’il était heureux d’avoir une contenance. Il ne savait pas encore ce qu’il devait faire. Maigret était là, tout rond, cordial, la pipe aux dents, le chapeau rejeté sur la nuque, à s’installer confortablement.

— Tu peux t’asseoir, Grand-Louis…

L’autre obéit. La gêne n’était pas dissipée, mais elle était d’une autre sorte. Ces hommes s’en voulaient de ne pas répondre par la cordialité. Et, pourtant, ils étaient obligés de se tenir sur leurs gardes.

— À votre santé, les enfants ! Et avouez qu’en vous empêchant de prendre la mer cette nuit je vous évite un vilain coup de tabac…

— C’est surtout la passe… murmura Lannec en buvant une gorgée d’alcool… Une fois au large, ça va… Mais avec le courant de l’Orne, et tous les bancs de sable, la passe est mauvaise… Chaque année, il y en a quelques-uns qui s’échouent…

— Le Saint-Michel n’a jamais eu de malheur !

L’homme se hâta de toucher du bois. Célestin grogna de mauvaise humeur en entendant parler de malheur.

— Le Saint-Michel ? C’est peut-être le meilleur voilier de la côte… Tenez ! Il y a deux ans, par forte brume, il est allé se mettre au plein sur les cailloux de la côte anglaise… Il y avait un ressac d’enfer… Un autre y serait resté… Eh bien ! une fois remis à flot par la marée suivante, il n’a même pas eu besoin d’aller en cale sèche…

Sur ce terrain-là, Maigret sentait qu’on pouvait s’entendre. Mais il n’était pas disposé à parler navigation toute la nuit. Les vêtements mouillés commençaient à dégager de la vapeur, des filets d’eau dégoulinaient le long de l’escalier. Et pour tout dire, le commissaire supportait mal le balancement de plus en plus accentué du bateau, qui de temps en temps donnait un grand coup de flanc sur les pilotis.

— Ça fera un beau yacht !… prononça-t-il en regardant ailleurs.

Quand même ! Lannec tressaillit.

— Oui, ça pourrait faire un beau yacht ! corrigea-t-il. Rien que le pont à changer. Alléger un peu la voilure, surtout dans ses hauts…

— Le Norvégien a signé ?

Lannec regarda vivement Grand-Louis qui soupira. Ils auraient donné gros, ces deux-là, pour avoir seulement quelques secondes d’entretien en tête à tête. Qu’est-ce que Louis avait raconté ? Qu’est-ce que le capitaine pouvait dire ?

Grand-Louis avait un air buté. Il ne se faisait pas d’illusions. Impossible d’expliquer à son compagnon ce qui se passait. C’était tellement compliqué !

Et, naturellement, cela allait amener des malheurs ! Il préféra boire. Il se versa de l’alcool. Il avala d’un trait le contenu de son verre et eut pour le commissaire un regard résigné, à peine agressif.

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