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Simenon, Georges - Maigret chez les Flamands

Читать бесплатно Simenon, Georges - Maigret chez les Flamands. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
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— Elle accepte de se marier, malgré votre fils ?

— Elle veut l’adopter.

Ses traits ne bougeaient pas. Mais on le sentait malade d’écœurement, ou de lassitude. Il observait Maigret du coin de l’œil, avec la crainte de le voir poser de nouvelles questions.

— Chez vous, tout le monde semble considérer que le mariage aura lieu bientôt… Est-ce que Marguerite est votre maîtresse ?

Il gronda, très bas :

— Non…

— Elle n’a pas voulu ?

— Ce n’est pas elle… C’est moi… Je n’y ai même jamais pensé… Vous ne pouvez pas comprendre…

Et, soudain rageur :

— Il faudra bien que je l’épouse ! C’est nécessaire ! Voilà !

Les deux hommes ne se regardaient toujours pas. Maigret, qui n’avait pas son pardessus, commençait à se ressentir de la fraîcheur.

À cet instant, la porte de la boutique s’ouvrit. On entendit le timbre qui était déjà familier au commissaire. Puis la voix de Marguerite, trop douce, trop enveloppante.

— Joseph !… Qu’est-ce que tu fais ?…

Le regard de Peeters croisa celui de Maigret. On eût dit qu’il répétait :

— Voilà !

Tandis que Marguerite poursuivait :

— Tu vas prendre froid… Tout le monde est à table… Qu’est-ce que tu as ? Tu es pâle…

Un temps d’arrêt, pour regarder l’angle de la petite rue où se dressait, invisible de l’épicerie, la maison des Piedbœuf.

Anna découpait les tartes.

Mme Peeters parlait peu, comme si elle se fût rendu compte de son infériorité. Par contre, dès qu’un de ses enfants parlait, elle approuvait par des sourires ou des hochements de tête.

— Vous excuserez mon indiscrétion, monsieur le commissaire… Je vais peut-être dire une bêtise…

Et elle posait sur l’assiette de Maigret un grand quartier de tarte au riz.

— … J’ai entendu dire qu’on avait retrouvé des objets à bord de l’Étoile-Polaire et que le marinier était en fuite… Il est venu plusieurs fois ici… J’ai dû le mettre dehors, d’abord parce qu’il veut tout à crédit, ensuite parce qu’il est ivre du matin au soir… Mais ce n’est pas ce que je voulais dire… S’il est en fuite, c’est qu’il est coupable… Et, dans ce cas, l’enquête est finie, n’est-ce pas ?…

Anna mangeait avec indifférence, sans regarder Maigret. Marguerite disait à Joseph :

— Un petit morceau… Je t’en prie !… Fais cela pour moi…

Et Maigret, la bouche pleine, s’adressait à Mme Peeters :

— Je pourrais vous répondre si j’avais la direction de l’enquête, ce qui n’est pas le cas… N’oubliez pas que c’est votre fille qui m’a prié de venir ici pour essayer de prouver votre innocence…

Van de Weert s’agitait sur sa chaise, comme un homme qui veut parler et à qui l’on ne laisse pas placer un mot.

— Mais enfin…

— L’inspecteur Machère reste maître de la situation et…

— Mais enfin, commissaire, il existe pourtant une hiérarchie… Ce n’est qu’un inspecteur et vous êtes…

— Ici, je ne suis rien… Tenez ! À l’instant même, je voudrais interroger l’un de vous qu’il aurait le droit de ne pas répondre… Je suis allé à bord de la péniche parce que le marinier l’a bien voulu… Le hasard m’a fait découvrir l’arme du crime, ainsi que le petit manteau que portait la victime…

— Mais alors…

— Alors rien ! On va essayer d’arrêter l’homme. À l’heure qu’il est, c’est peut-être fait ! Seulement, il est capable de se défendre. Par exemple, il peut dire qu’il a trouvé ce vêtement et ce marteau et qu’il les a gardés sans savoir ce qu’ils représentaient… Il peut dire aussi qu’il s’est enfui sous le coup de la peur… Il a déjà eu des démêlés avec la justice… Il sait qu’on le croira plus difficilement qu’un autre…

— Cela ne tient pas debout !

— Une accusation ne tient presque jamais debout, pas plus que la défense… On pourrait en accuser d’autres… Savez-vous ce que j’ai appris ce midi ?… Que Gérard, le frère de Germaine, ne sait depuis un mois comment il se tirera du mauvais pas dans lequel il s’est mis… Il a des dettes partout… Pis que cela ! On l’a convaincu d’avoir pris de l’argent dans la caisse et, jusqu’à concurrence de la somme, on retient chaque mois la moitié de son traitement…

— C’est vrai ?

— De là à dire qu’il a fait disparaître sa sœur pour obtenir des dommages-intérêts…

— Ce serait affreux ! soupira Mme Peeters, que cette conversation empêchait de manger.

— Vous l’avez assez bien connu, vous ! dit Maigret en se tournant vers Joseph.

— Il y a longtemps, je l’ai un peu fréquenté…

— Avant la naissance de l’enfant, n’est-ce pas ?… Vous êtes allés plusieurs fois faire des excursions ensemble… Si je ne me trompe, votre sœur vous a même accompagnés aux grottes de…

— C’est vrai ? s’étonna Mme Peeters en se tournant vers sa fille. Je ne savais pas cela.

— Je ne me souviens pas ! dit Anna, qui ne s’arrêta pas de manger et dont le regard était fixé sur le commissaire.

— C’est d’ailleurs sans importance… Mais qu’est-ce que je disais ?… Voulez-vous me donner un morceau de tarte, mademoiselle Anna ?… Non, pas aux fruits… Je reste fidèle à votre magnifique tarte au riz… C’est vous qui l’avez faite ?

— C’est elle ! se hâta d’affirmer la mère.

Et le silence se fit soudain, parce que Maigret se taisait et que personne n’osait prendre la parole. On perçut le bruit des mâchoires. Le commissaire laissa tomber sa fourchette par terre et dut se baisser pour la ramasser. Dans ce mouvement, il vit que le pied finement chaussé de Marguerite était posé sur le pied de Joseph.

— L’inspecteur Machère est un garçon débrouillard !

— Il n’a pas l’air très intelligent ! articula lentement Anna.

Et Maigret lui sourit d’un sourire complice.

— Si peu de gens ont l’air intelligent ! Moi, par exemple, dès que je me trouve en présence d’un coupable possible, j’ai soin de faire l’imbécile…

C’était bien la première fois que Maigret se laissait aller à ce qui pouvait passer pour des confidences.

— Votre front ne peut changer ! se hâta de déclarer poliment le docteur Van de Weert. Et, pour quelqu’un qui a fait un peu de phrénologie… Tenez ! Je suis certain que vous êtes terriblement emporté…

Le goûter finissait enfin. Le commissaire, le premier, repoussait sa chaise, prenait sa pipe qu’il se mettait en devoir de bourrer.

— Savez-vous ce que vous devriez faire, mademoiselle Marguerite ? Vous mettre au piano et nous jouer la Chanson de Solveig…

Elle hésita, regarda Joseph pour lui demander conseil, tandis que Mme Peeters murmurait :

— Elle joue si bien !… Et elle chante !…

— Je ne regrette qu’une chose : c’est que l’entorse de Mlle Maria l’empêche d’être parmi nous… Pour mon dernier jour…

Anna tourna vivement la tête dans sa direction.

— Vous partez bientôt ?

— Ce soir… Je ne suis pas rentier… En outre, je suis marié et ma femme s’impatiente…

— Et l’inspecteur Machère ?

— Je ne sais pas ce qu’il décidera… Je suppose…

Le timbre de la boutique résonnait. Il y avait des pas précipités, puis des coups frappés à la porte.

C’était Machère lui-même, très agité.

— Le commissaire est-il ici ?

Il ne l’avait pas vu tout de suite, étonné qu’il était de tomber en pleine réunion de famille.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Il faut que je vous parle.

— Vous permettez ?

Et il accompagna l’inspecteur jusqu’à la boutique où il s’accouda au comptoir.

— Ce que je peux avoir horreur de ces gens-là !

Machère, crispé, désignait du menton la porte de la salle à manger.

— Rien que l’odeur de leur café et de leur tarte…

— C’est ce que tu voulais me dire ?

— Non ! J’ai des nouvelles de Bruxelles… Le train y est bien arrivé à l’heure prévue…

— Mais le marinier n’y était plus !

— Vous le saviez déjà ?

— Je m’en doutais ! Est-ce que tu l’as pris pour un imbécile ? Moi pas ! il a dû descendre dans une petite gare, prendre un autre train, puis un autre encore… Ce soir, il sera peut-être en Allemagne, peut-être à Amsterdam, peut-être même à Paris…

Mais Machère le regardait en ricanant.

— S’il avait de l’argent !

— Que veux-tu dire ?

— Que j’ai fait mon enquête. L’homme s’appelle Cassin. Hier matin, il n’était pas capable de régler son ardoise chez le bistrot et l’on a refusé de lui servir à boire… Il y a mieux que cela ! Il devait de l’argent à tout le monde… Au point que les commerçants avaient décidé de ne pas laisser partir son bateau…

Maigret regardait son compagnon avec une parfaite indifférence.

— Et puis ?

— Je ne m’en suis pas tenu là. Et cela a été dur, parce que nous sommes dimanche et que la plupart des gens ne sont pas chez eux… Je suis allé jusqu’au cinéma pour interroger certaines personnes…

Maigret, tout en fumant sa pipe, s’amusait à mettre des poids sur les deux plateaux de la balance, en essayant de réaliser l’équilibre.

— J’ai découvert que Gérard Piedbœuf a emprunté deux mille francs, hier, en donnant comme garantie la signature de son père, car personne ne voulait de la sienne…

— Ils se sont rencontrés ?

— Justement ! Un douanier a vu Gérard Piedbœuf et Cassin qui marchaient le long de la berge, ensemble, du côté de la douane belge…

— Quelle heure était-il ?

— À peu près deux heures…

— C’est parfait !

— Qu’est-ce qui est parfait ? Si Piedbœuf a donné de l’argent au marinier…

— Attention aux conclusions, Machère ! C’est tellement dangereux de vouloir conclure…

— N’empêche que l’homme, qui n’avait pas un sou le matin, est parti par le train l’après-midi, et qu’il avait de l’argent en poche. Je suis allé à la gare. Il a payé sa place avec un billet de mille francs… Il paraît qu’il en avait d’autres…

— Ou un autre ?

— Peut-être d’autres, peut-être un autre… Qu’est-ce que vous feriez, à ma place ?

— Moi ?

— Oui.

Maigret soupira, frappa sa pipe contre son talon pour la vider, montra la porte de la salle à manger :

— Je viendrais prendre un bon verre de genièvre… Surtout qu’on va nous jouer un morceau de piano !

— C’est tout ce que…

— Allons ! viens… Tu n’as quand même plus rien à faire en ville à cette heure-ci… Où est Gérard Piedbœuf ?

— Au Cinéma Scala, avec une ouvrière de l’usine.

— Je parie qu’ils ont pris une loge !

Et Maigret, avec un rire silencieux, poussa son collègue vers la pièce commune où la pénombre commençait à estomper les contours. Un filet de fumée montait lentement du fauteuil de Van de Weert. Mme Peeters était dans la cuisine, occupée à ranger la vaisselle. Marguerite, au piano, laissait ses doigts aller et venir nonchalamment sur les touches.

— Vous tenez vraiment à ce que je joue ?

— J’y tiens… Assieds-toi ici, Machère…

Joseph était debout, le coude droit sur la cheminée, le regard fixé sur la fenêtre glauque.

L’hiver peut s’enfuir,

Le printemps bien-aimé

Peut s’écouler…

Les feuilles d’automne

Et les fruits de l’été

Tout peut passer…

La voix manquait de fermeté. Marguerite faisait un effort pour aller jusqu’au bout. Deux fois elle rata ses accords.

Mais tu me reviendras,

Ô mon beau fiancé,

Pour ne plus me quitter…

 

Anna n’était plus là. Elle n’était pas dans la cuisine, où l’on entendait Mme Peeters aller et venir en faisant aussi peu de bruit que possible, par respect pour la musique.

… Je t’ai donné mon cœur…

Marguerite ne pouvait pas voir la silhouette lugubre de Joseph, qui avait laissé éteindre sa cigarette.

Maintenant que la nuit tombait, le feu de boulets mettait des reflets pourpres sur tous les objets, surtout sur les pieds vernis de la table.

Au grand étonnement de Machère, qui n’osa pas bouger, Maigret sortit d’un mouvement si insensible que cela passa inaperçu. Il monta l’escalier sans faire craquer une seule marche, se trouva devant deux portes closes.

Le palier était déjà dans une obscurité quasi complète. Seuls les boutons des portes faisaient deux taches laiteuses, car ils étaient en porcelaine.

Enfin le commissaire mit sa pipe tout allumée dans sa poche, tourna un des boutons, entra et referma l’huis derrière lui.

Anna était là. À cause des rideaux, la pièce était plus sombre que la salle à manger. C’était comme une poussière grise, plus opaque par places, entre autres dans les angles, qui flottait dans l’air.

Anna ne bougeait pas. Est-ce qu’elle n’avait rien entendu ?

Elle était devant la fenêtre, à contre-jour, le visage tourné vers le paysage crépusculaire de la Meuse. Sur l’autre rive, on avait allumé des lampes qui dardaient des rayons aigus dans le clair-obscur.

De dos, on aurait pu croire qu’Anna pleurait. Elle était grande. Elle paraissait plus vigoureuse, plus « statue » que jamais.

Et sa robe grise se fondait littéralement dans l’ambiance.

Une lame du plancher, une seule, gémit au moment où Maigret n’était plus qu’à un pas de la jeune fille, mais cela ne la fit pas tressaillir.

Alors il lui posa la main sur l’épaule, avec une douceur surprenante, en même temps qu’il soupirait, comme un homme qui peut s’abandonner enfin aux confidences :

— Et voilà !

Elle se tourna vers lui, tout d’une pièce. Elle était calme. Pas une ride ne venait rompre la sévère harmonie de ses traits.

Rien que le cou qui se gonflait un peu, lentement, sous une mystérieuse pression intérieure.

Les notes du piano arrivaient avec netteté et l’on distinguait toutes les syllabes de la Chanson de Solveig.

Que Dieu veuille encore

Dans sa grande bonté

Te protéger…

 

Et deux yeux clairs cherchaient les yeux de Maigret tandis que les lèvres, qui avaient failli se soulever dans un sanglot, devenaient de la même rigidité qu’Anna tout entière.

X

La « Chanson de Solveig »

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

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