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Simenon, Georges - La nuit du carrefour

Читать бесплатно Simenon, Georges - La nuit du carrefour. Жанр: Полицейский детектив издательство неизвестно, год 2004. Так же читаем полные версии (весь текст) онлайн без регистрации и SMS на сайте kniga-online.club или прочесть краткое содержание, предисловие (аннотацию), описание и ознакомиться с отзывами (комментариями) о произведении.
Название:
La nuit du carrefour
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неизвестно
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Год:
неизвестен
Дата добавления:
28 октябрь 2019
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304
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Simenon, Georges - La nuit du carrefour краткое содержание

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Quand Maigret, avec un soupir de lassitude, écarta sa chaise du bureau auquel il était accoudé, il y avait exactement dix-sept heures que durait l'interrogatoire de Carl Andersen.

On avait vu tour à tour, par les fenêtres ans rideaux, la foule des midinettes et des employés prendre d'assaut, à l'heure de midi, les crémeries de la place Saint-Michel, puis l'animation faiblir, la ruée de six heures vers les métros et les gares, la flânerie de l'apéritif.

La Seine s'était enveloppée de buée. Un dernier remorqueur était passé, avec feux verts et rouges, traînant trois péniches. Dernier autobus. Dernier métro. Le cinéma dont on fermait les grilles après avoir rentré les panneaux-réclame...

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Georges Simenon

La nuit du carrefour

Maigret VII

I

Le monocle noir

Quand Maigret, avec un soupir de lassitude, écarta sa chaise du bureau auquel il était accoudé, il y avait exactement dix-sept heures que durait l’interrogatoire de Carl Andersen.

On avait vu tour à tour, par les fenêtres sans rideaux, la foule des midinettes et des employés prendre d’assaut, à l’heure de midi, les crémeries de la place Saint-Michel, puis l’animation faiblir, la ruée de six heures vers les métros et les gares, la flânerie de l’apéritif… La Seine s’était enveloppée de buée. Un dernier remorqueur était passé, avec feux verts et rouges, traînant trois péniches. Dernier autobus. Dernier métro. Le cinéma dont on fermait les grilles après avoir rentré les panneaux réclame…

Et le poêle qui semblait ronfler plus fort dans le bureau de Maigret. Sur la table, il y avait des demis vides, des restes de sandwiches.

Un incendie dut éclater quelque part, car on entendit passer les bruyantes voitures des pompiers. Il y eut aussi une rafle. Le panier à salade sortit vers deux heures de la Préfecture, revint plus tard par la cour du Dépôt, où il déversa son butin.

L’interrogatoire durait toujours. D’heure en heure, ou de deux en deux heures, selon sa fatigue, Maigret poussait un bouton. Le brigadier Lucas, qui sommeillait dans un bureau voisin, arrivait, jetait un coup d’œil sur les notes du commissaire, prenait la suite.

Et Maigret allait s’étendre sur un lit de camp pour revenir à la charge avec de nouvelles provisions d’énergie.

La Préfecture était déserte. Quelques allées et venues à la Brigades des mœurs. Un marchand de drogues qu’un inspecteur amena vers quatre heures du matin et qu’il cuisina sur-le-champ.

La Seine s’auréola d’un brouillard laiteux qui blanchit et ce fut le jour, éclairant les quais vides. Des pas résonnèrent dans les couloirs. Des sonneries de téléphone. Des appels. Des claquements de portes. Les balais des femmes de ménage.

Et Maigret, posant sa pipe trop chaude sur la table, se leva, regarda le prisonnier des pieds à la tête, avec une mauvaise humeur non exempte d’admiration.

Dix-sept heures d’interrogatoire serré ! Auparavant, on avait retiré à l’homme les lacets de ses chaussures, son faux col, sa cravate, et l’on avait vidé ses poches.

Pendant les quatre premières heures, on l’avait laissé debout au milieu du bureau, et les questions tombaient aussi dru que des balles de mitrailleuse.

— Tu as soif ?…

Maigret en était à son quatrième demi et le prisonnier avait esquissé un pâle sourire. Il avait bu avidement.

— Tu as faim ?…

On l’avait prié de s’asseoir, puis de se lever. Il était resté sept heures sans manger et on l’avait harcelé ensuite, tandis qu’il dévorait un sandwich.

Ils étaient deux à se relayer pour le questionner. Entre les séances, ils pouvaient sommeiller, s’étirer, échapper à la hantise de cet interrogatoire monotone.

Et c’étaient eux qui abandonnaient ! Maigret haussait les épaules, cherchait une pipe froide dans un tiroir, essuyait son front moite.

Peut-être ce qui l’impressionnait le plus n’était-ce pas la résistance physique et morale de l’homme, mais la troublante élégance, la distinction qu’il gardait jusqu’au bout.

Un homme du monde qui sort de la salle de fouille sans cravate, qui passe ensuite une heure, tout nu, avec cent malfaiteurs, dans les locaux de l’Identité judiciaire, traîné de l’appareil photographique aux chaises de mensuration, bousculé, en butte aux plaisanteries déprimantes de certains compagnons, garde rarement cette assurance qui, dans la vie privée, faisait partie de sa personnalité.

Et quand il a subi un interrogatoire de quelques heures, c’est miracle si quelque chose le distingue encore du premier vagabond venu.

Carl Andersen n’avait pas changé. Malgré son complet fripé, il restait d’une élégance qu’ont rarement l’occasion d’apprécier les gens de la Police judiciaire, une élégance d’aristocrate, avec ce rien de retenue, de raideur, cette pointe de morgue qui est surtout l’apanage des milieux diplomatiques.

Il était plus grand que Maigret, large d’épaules, mais souple et mince, étroit des hanches. Son visage allongé était pâle, les lèvres un peu décolorées.

Il portait un monocle noir à l’orbite gauche.

— Retirez-le, lui avait-on commandé.

Il avait obéi, avec une ombre de sourire. Il avait découvert un œil de verre, d’une désagréable fixité.

— Un accident ?…

— D’aviation, oui…

— Vous avez donc fait la guerre ?

— Je suis Danois. Je n’ai pas eu à faire la guerre. Mais j’avais un avion de tourisme, là-bas…

Cet œil artificiel était si gênant, dans un visage jeune, aux traits réguliers, que Maigret avait grommelé :

— Pouvez remettre votre monocle…

Andersen ne s’était pas plaint une seule fois, soit qu’on le laissât debout, soit qu’on oubliât de lui donner à boire ou à manger. De sa place, il pouvait apercevoir le mouvement de la rue, les tramways et les autobus franchissant le pont, un rayon de soleil rougeâtre, vers le soir, et maintenant l’animation d’un clair matin d’avril.

Il se tenait toujours aussi droit, sans pose, et le seul signe de fatigue était le cerne mince et profond qui soulignait son œil droit.

— Vous maintenez toutes vos déclarations ?

— Je les maintiens.

— Vous vous rendez compte de ce qu’elles ont d’invraisemblable ?

— Je m’en rends compte, mais je ne puis mentir.

— Vous espérez être remis en liberté, faute de preuve formelle ?

— Je n’espère rien.

Un rien d’accent, plus accusé depuis qu’il était fatigué.

— Tenez-vous à ce que je relise le procès-verbal de votre interrogatoire avant de vous le faire signer ?

Un geste vague d’homme du monde qui refuse une tasse de thé.

— Je vais en résumer les grandes lignes. Vous êtes arrivé en France, voilà trois ans, en compagnie de votre sœur Else. Vous avez vécu un mois à Paris. Vous avez loué ensuite une maison de campagne sur la route nationale de Paris à Etampes, à trois kilomètres d’Arpajon, au lieu-dit Carrefour des Trois-Veuves.

Carl Andersen approuva d’un léger signe de tête.

— Depuis trois ans, vous vivez là-bas dans l’isolement le plus strict, au point que les gens du pays n’ont pas vu cinq fois votre sœur. Aucun rapport avec vos voisins. Vous avez acheté une voiture de 5 CV, d’un type démodé, dont vous vous servez pour faire vous-même vos provisions au marché d’Arpajon. Chaque mois, toujours avec cette voiture, vous venez à Paris.

— Livrer mes travaux à la Maison Dumas et Fils, rue du 4-Septembre, c’est exact !

— Travaux consistant en maquettes pour des tissus d’ameublement. Chaque maquette vous est payée cinq cents francs. Vous en produisez en moyenne quatre par mois, soit deux mille francs…

Nouveau signe approbateur.

— Vous n’avez pas d’amis. Votre sœur n’a pas d’amies. Samedi soir, vous vous êtes couché comme d’habitude, aussi vous avez enfermé votre sœur dans sa chambre, voisine de la vôtre. Vous expliquez cela en prétendant qu’elle est très peureuse… passons !… A sept heures du matin, le dimanche, M. Emile Michonnet, agent d’assurances, qui habite un pavillon à cent mètres de chez vous, pénètre dans son garage et s’aperçoit que sa voiture, une six cylindres neuve, d’une marque connue, a disparu et a été remplacée par votre tacot…

Andersen ne bougea pas, eut un geste machinal vers sa poche vide, où devaient se trouver généralement des cigarettes.

— M. Michonnet, qui, depuis quelques jours, ne parlait dans tout le pays que de sa nouvelle auto, croit à une mauvaise plaisanterie. Il se rend chez vous, trouve la grille fermée et sonne en vain. Une demi-heure plus tard, il raconte sa mésaventure à la gendarmerie et celle-ci se rend à votre domicile… On n’y trouve ni vous ni votre sœur… par contre, dans le garage, on aperçoit la voiture de M. Michonnet et, sur le siège avant, penché sur le volant, un homme mort, tué d’un coup de feu tiré à bout portant dans la poitrine… On ne lui a pas volé ses papiers… C’est un nommé Isaac Goldberg, diamantaire à Anvers…

Maigret rechargea le poêle, tout en parlant.

— La gendarmerie fait diligence, s’adresse aux employés de la gare d’Arpajon, qui vous ont vu prendre le premier train pour Paris, en compagnie de votre sœur… On vous cueille tous les deux à votre arrivée à la gare d’Orsay… vous niez tout…

— Je nie avoir tué qui que ce soit…

— Vous niez aussi connaître Isaac Goldberg…

— Je l’ai vu pour la première fois, mort, au volant d’une voiture qui ne m’appartient pas, dans mon propre garage…

— Et au lieu de téléphoner à la police, vous avez pris la fuite avec votre sœur…

— J’ai eu peur…

— Vous n’avez rien à ajouter ?

— Rien !

— Et vous maintenez que vous n’avez rien entendu pendant la nuit de samedi à dimanche ?

— J’ai le sommeil très lourd.

C’était la cinquantième fois qu’il répétait exactement les mêmes phrases, et Maigret, excédé, toucha le timbre électrique. Le brigadier Lucas arriva.

— Je reviens dans un instant !

L’entretien entre Maigret et le juge d’instruction Coméliau, qui avait été saisi de l’affaire, dura une quinzaine de minutes. Le magistrat, d’avance, abandonnait pour ainsi dire la partie.

— Vous verrez que ce sera une de ces affaires comme il n’y en a par bonheur qu’une tous les dix ans et dont on ne découvre jamais le fin mot !… Et c’est sur moi qu’on tombe !… Tous les détails sont incohérents !… Pourquoi cette substitution d’autos ?… Et pourquoi Andersen ne se sert-il pas de celle qui est dans son garage pour fuir, au lieu de gagner Arpajon à pied et de prendre le train ?… Que vient faire ce diamantaire au Carrefour des Trois-Veuves ?… Croyez-moi, Maigret ! Pour vous comme pour moi, c’est toute une série d’ennuis qui commence… Relâchez-le si vous voulez… Vous n’avez peut-être pas tort de croire que, s’il a résisté à un interrogatoire de dix-sept heures, on n’en tirera rien de plus…

Le commissaire avait les paupières un peu rouges, parce qu’il avait trop peu dormi.

— Vous avez vu la sœur ?

— Non ! Quand on m’a amené Andersen, la jeune fille avait déjà été reconduite chez elle par la gendarmerie, qui voulait l’interroger sur les lieux. Elle est restée là-bas. On la surveille.

Ils se serrèrent la main. Maigret regagna son bureau, où Lucas observait mollement le prisonnier, qui avait collé son front à la vitre et qui attendait sans impatience.

— Vous êtes libre ! articula-t-il dès la porte.

Andersen ne tressaillit pas, mais esquissa un geste vers son cou nu, vers ses chaussures bâillantes.

— On vous rendra vos effets au greffe. Bien entendu, vous restez à la disposition de la Justice. A la moindre tentative de fuite, je vous fais conduire à la Santé.

— Ma sœur ?…

— Vous la retrouverez chez vous…

Le Danois dut quand même ressentir une émotion en franchissant le seuil, car il retira son monocle, se passa la main sur l’œil perdu.

— Je vous remercie, commissaire.

— Il n’y a pas de quoi !

— Je vous donne ma parole d’honneur que je suis innocent…

— Je ne vous demande rien !

Andersen s’inclina, attendit que Lucas voulût bien le piloter vers le greffe.

Quelqu’un s’était levé, dans l’antichambre, avait assisté à cette scène avec une stupéfaction indignée et se précipitait vers Maigret.

— Alors ?… Vous le relâchez ?… Ce n’est pas possible, commissaire…

C’était M. Michonnet, agent d’assurances, le propriétaire de la six cylindres neuve. Il entra d’autorité dans le bureau, posa son chapeau sur une table.

— Je viens, avant tout, au sujet de la voiture.

Un petit personnage grisonnant, vêtu avec une recherche maladroite, redressant sans cesse les pointes de ses moustaches cosmétiquées.

Il parlait en allongeant les lèvres, en esquissant des gestes qu’il voulait catégoriques, en choisissant ses mots.

Il était le plaignant ! Il était celui que la Justice doit protéger ! N’était-il pas une manière de héros ?

Il ne se laissait pas impressionner, lui ! La Préfecture tout entière était là pour l’écouter.

— J’ai eu un long entretien, cette nuit, avec Mme Michonnet, dont vous ferez bientôt la connaissance, je l’espère… Elle est de mon avis… Remarquez que son père était professeur au lycée de Montpellier et que sa mère donnait des leçons de piano… Si je vous dis cela… Bref…

C’était son mot favori. Il le prononçait d’une façon à la fois tranchante et condescendante.

— Bref, il est nécessaire qu’une décision soit prise dans le plus court délai… Comme chacun, comme les plus riches, y compris le comte d’Avrainville, j’ai acheté la nouvelle voiture à tempérament… J’ai signé dix-huit traites… Remarquez que j’aurais pu payer comptant, mais il est inutile d’immobiliser des capitaux… Le comte d’Avrainville, dont je viens de vous parler, a fait de même pour son Hispano… Bref…

Maigret ne bougeait pas, respirait avec force.

— Je ne puis me passer d’une voiture, qui m’est strictement nécessaire pour l’exercice de ma profession. Pensez que mon rayon s’étend à trente kilomètres d’Arpajon… Or, Mme Michonnet est de mon avis… Nous ne voulons plus d’une auto dans laquelle un homme a été tué… C’est à la Justice de faire le nécessaire, de nous procurer une voiture neuve, du même type que la précédente, à cette différence près que je la choisirai lie-de-vin, ce qui ne change rien au prix…

» Remarquez que la mienne était rodée et que je serai obligé de…

— C’est tout ce que vous avez à me dire ?

— Pardon !…

Encore un mot qu’il aimait employer.

— Pardon, commissaire ! Il est bien entendu que je suis prêt à vous aider de toutes mes connaissances et de mon expérience des choses du pays… Mais il est urgent qu’une auto…

Maigret se passa la main sur le front.

— Eh bien ! j’irai vous voir prochainement chez vous…

— Quant à l’auto ?…

— Lorsque les constatations seront terminées, la vôtre vous sera rendue…

— Puisque je vous dis que Mme Michonnet et moi…

— Présentez donc mes hommages à Mme Michonnet !… Bonjour, monsieur…

Ce fut si vite fait que l’assureur n’eut pas le temps de protester. Il se retrouva sur le palier, avec son chapeau qu’on lui avait poussé dans la main, et le garçon de bureau lui lançait :

— Par ici, s’il vous plaît ! Premier escalier à gauche… Porte en face…

Maigret, lui, s’enfermait à double tour, mettait de l’eau à chauffer sur son poêle pour préparer du café fort.

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